Affaires
Syndicats vs gouvernement : le fond et la forme…
L’UMT, la CDT, la FDT et l’UGTM ont décidé d’une grève générale nationale pour le 24 février courant. Ils reprochent au gouvernement de ne pas les associer aux réformes qu’il a entreprises depuis son avènement. Certaines réformes sont pourtant à l’état de projet depuis plus de 10 ans !

Quel dénouement possible au bras de fer qui oppose les syndicats au gouvernement ? Depuis à peu près quatre ans, chaque camp paraît arc-bouté sur ses positions, et les différentes rencontres qu’ont eues les deux parties n’ont finalement pas permis de briser la méfiance de part et d’autre. Même si, globalement, la contestation syndicale a quelque peu reflué au cours de ces dernières années (du moins en termes de journées de travail perdues), depuis la fin de l’année 2015, elle se rappelle au souvenir des pouvoirs publics, culminant avec la grève générale nationale prévue pour le 24 février courant.
Réunis le 10 février au siège de l’UMT à Casablanca, les syndicats UMT, CDT, FDT et UGTM ont en effet décidé d’organiser une grève générale mercredi 24 février dans l’ensemble des activités économiques, qu’elles soient publiques ou privées. Et cette décision, selon l’UMT, est irrévocable. Autrement dit, même si le gouvernement décide, entre-temps, de renouer le dialogue, la grève aura quand même lieu. Celle-ci, rappelons-le, fait suite à de nombreuses autres formes de protestation, comme la marche du 6 avril 2014, la grève générale dans la fonction publique le 10 décembre 2015 et le meeting devant le Parlement le 12 janvier 2016. L’alliance des quatre syndicats n’exclut pas que d’autres mesures soient décidées à l’avenir si leurs revendications n’étaient pas prises au sérieux.
L’Exécutif, en ce qui le concerne, ne donne pas l’impression, pour le moment, de s’en inquiéter outre mesure, décidé qu’il est à mener à terme les réformes sur lesquelles il s’était engagé dans son programme gouvernemental. Même s’il ne nie pas le rôle que peuvent jouer les partenaires sociaux sur les scènes économiques et sociales, le gouvernement ne semble pas disposé à partager ses prérogatives, notamment celles de proposer des projets de réformes suivant la vision qui est la sienne, ce que lui reprochent précisément les quatre syndicats protestataires.
Il y a sept mois, le chef du gouvernement rencontrait les syndicats et selon un des participants, Abderrahmane Azzouzi de la FDT, les deux parties étaient tombées d’accord pour mettre sur pied une commission qui se pencherait sur l’ensemble des points de discorde. Au lieu de cela, indique M. Azzouzi, «le gouvernement nous a surpris en allant déposer au Parlement le projet de loi sur la retraite, alors que son chef s’était engagé lors de notre rencontre de juin 2015 de ne rien entreprendre sans nous consulter». Encore récemment (le 16 janvier 2016), M. Benkirane recevait dans une rencontre qualifiée d’informelle la coalition des quatre centrales syndicales, mais la réunion n’a rien changé aux postions des uns et des uns. Après lui avoir rappelé «son engagement de ne rien entreprendre sur la question des retraites sans les consulter», dixit M. Azzouzi, les syndicats avaient demandé au chef du gouvernement de retirer son projet du circuit législatif. Celui-ci refusa tout net, expliquant à ses interlocuteurs qu’ils pouvaient toujours, s’ils y tenaient, apporter des amendements au projet, à travers leurs représentants à la Chambre des conseillers et même que la majorité les soutiendrait volontiers.
Après le temps de la réflexion, le temps de la décision
Mais visiblement, sur ce dossier, comme sur bien d’autres d’ailleurs, la symbolique a son poids : les syndicats auraient tant aimé être associés à cette réforme et si cela avait été le cas, ils l’auraient probablement acceptée en contrepartie de quelques aménagements à la marge. Il est difficile cependant de soutenir que les partenaires sociaux de manière générale n’ont pas connaissance du contenu de la réforme ou que celle-ci a été faite à la va-vite. Cela fait des années que le sujet est l’objet de maints débats, d’études aussi sérieuses les unes que les autres, de recommandations, de questionnements divers. Et les syndicats eux-mêmes ont exprimé leurs points de vue là-dessus. On peut même considérer que, peut-être, le débat et la réflexion ont pris plus de temps qu’il n’en fallait. Et la remarque vaut aussi pour la compensation. C’est pratiquement au début de l’année 2000 que ces dossiers sont posés sur la table des discussions. De sorte que lorsque ce gouvernement s’installe en janvier 2012, ce qui était attendu de lui, c’était moins de débattre que de décider. Le temps de la réflexion était déjà consommé par les gouvernements précédents, il manquait la décision. Moyennant quoi il y aurait quelque mauvaise foi à reprocher à l’actuelle majorité d’entreprendre des réformes que depuis une dizaine d’années au moins tout le monde appelait de ses vœux.
Reste la forme : il est toujours préférable, comme cela se pratique dans certains pays, d’associer à la réforme les partenaires sociaux. Surtout sur un sujet aussi sensible que celui des retraites. Mais ce qui est souhaitable est-il obligatoire ? Il ne faut toutefois pas se méprendre : la retraite n’est pas le seul sujet qui préoccupe les syndicats. Ceux-ci ont des doléances qui, peut-être, intéressent les salariés beaucoup plus que la retraite. Et la première de ces doléances, parce qu’elle commande tout le reste, c’est la liberté syndicale. Et là, beaucoup ne comprennent pas que les engagements pris dans l’Accord social d’avril 2011 de ratifier la convention de l’OIT n° 87 sur la liberté syndicale et d’abroger l’article 288 du code pénal n’aient pas été, à ce jour, honorés. «Si le gouvernement peut expliquer qu’il n’a pas les moyens financiers pour augmenter les salaires, directement ou par une baisse de l’imposition, quel est son argument à propos de la non-concrétisation des engagements relatifs à la liberté syndicale ?», s’interroge un syndicaliste. Signalons à ce propos que le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a lui aussi invité le gouvernement, depuis 2013 déjà, à ratifier la convention n°87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.
