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Affaires

Syndicats-Etat : un dialogue de sourds

Les grèves se multiplient, les syndicats demandent à  l’administration de revoir substantiellement les salaires des fonctionnaires.
L’Etat met en avant les efforts consentis : en sept ans, les salaires ont augmenté, en moyenne de 55%, largement plus que les 14,8% d’inflation.
Les syndicats considèrent que l’offre «unilatérale» du gouvernement est insuffisante.

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Le 13 février 2008 : 80% des fonctionnaires avaient répondu au mot d’ordre de grève, selon les syndicats. 10 février 2009 : de nouveau, les fonctionnaires débraient et les syndicats revendiquent le même taux de participation (80%), tandis que l’Etat parle de «seulement» de 40%. Quelques jours auparavant (le 23 janvier 2009), une grève eut lieu également, mais sans la participation de la CDT (Confédération démocratique du travail).
En un an, le dialogue social est passé par là, des décisions (gouvernementales) ont été prises, des améliorations de revenus ont eu lieu, mais la contestation enfle toujours, puisque d’autres grèves des fonctionnaires ont bien eu lieu avant celle du 10 février dernier : le débrayage des fonctionnaires des collectivités locales les 17 et 18 décembre 2008 et celui de l’ensemble des fonctionnaires le 23 janvier 2009. Et ce n’est pas fini.  Une réunion de la coordination intersyndicale, composée de l’Union marocaine du travail (UMT), de la Fédération démocratique du travail (FDT), de l’Organisation démocratique du travail (ODT) et de l’Union nationale des travailleurs du Maroc (UNTM-PJD) et, éventuellement, de la CDT devait se réunir jeudi 19 février pour étudier la suite à donner au mouvement de grève.
Décidément, chacun des protagonistes du dialogue social a sa propre idée de ce qu’est un revenu décent, de ce qu’est le niveau de l’inflation et de ce que sont les possibilités des finances du pays (ou de l’entreprise).
Pourquoi donc la dernière grève des fonctionnaires ? Est-ce parce que ces derniers n’ont pas obtenu satisfaction de leurs revendications, ou bien cela obéit-il à un simple calcul politicien des directions syndicales à l’approche d’échéances électorales, comme certains les en accusent précipitamment?
Et pourtant, depuis quelques années, les pouvoirs publics ont fait des efforts conséquents en termes d’amélioration des niveaux de rémunérations des fonctionnaires, si l’on considère, selon les chiffres fournis par le ministère de la modernisation des secteurs publics (MMSP), qu’en moyenne, sur sept ans (2000-2007), les salaires ont augmenté de 55%, à raison de 7% chaque année.
Pour les syndicats, il s’agit là à peine du rattrapage de l’inflation, ce qui est évidemment en dessous de la vérité puisqu’à raison de 2% par an, sur sept ans, on arrive à 14,8%. Mais, même si le coût de la vie a progressé moins rapidement que les traitements, les syndicats font peu de crédit des statistiques officielles qu’ils n’accusent pas d’être sciemment manipulées, mais qu’ils jugent en deçà de la réalité. «Nous n’accusons personne, mais nous ne sommes pas d’accord sur la manière d’appréhender le niveau de hausse des prix», confie un syndicaliste de la CDT.

L’écart entre les rémunérations est de 1 à 26 selon le gouvernement
Pour Mustapha Brahma, membre du bureau exécutif de la CDT, si les syndicats sont mécontents, c’est tout simplement parce que «le gouvernement a agi de manière unilatérale, sans prendre en compte leurs doléances». Contrairement à ce qui se dit ici et là sur le retrait des syndicats du dialogue social, M. Brahma est formel: «Nous n’avons jamais quitté la table des négociations, c’est le gouvernement qui a refusé de discuter des revendications des syndicats. Pour lui, les seules questions à discuter sont le droit de grève, la loi sur les syndicats, la suppression des échelles 1 à 4, mais pas de hausse de salaires, alors que pour nous c’est le sujet principal».
L’UMT, elle, à travers son Union syndicale des fonctionnaires (USF), fait le même constat que la CDT à propos du dialogue social et pose les mêmes revendications. Au gouvernement qui met en avant les 16 milliards de DH consacrés selon lui à l’amélioration des revenus, Mustapha Brahma s’interroge sur le procédé qui a permis de sortir un tel chiffre, qui concerne d’ailleurs une législature, c’est-à-dire cinq ans. «J’aimerais bien qu’on nous explique cette arithmétique», s’exclame-t-il.
Mustapha Brahma rappelle que si le gouvernement avait suivi la proposition faite par la CDT en 2008 de donner 500 DH de plus par mois à chaque salarié, «cela ferait 15 milliards sur cinq ans, donc moins que les 16 milliards dont parle le gouvernement, avec, en prime, la certitude que l’argent tombe dans la poche des salariés, publics ou privés». Du coup, les mesures du gouvernement apparaissent aux yeux des syndicats plus qu’insuffisantes. «Les mesures fiscales et salariales prises par le gouvernement de manière unilatérale à la veille du 1er mai 2008, suite au dialogue social formel du mois d’avril précédent n’ont pas eu d’impact significatif sur l’amélioration des conditions de vie des salariés», estime l’UMT.
Au-delà de la légitimité des salariés et des fonctionnaires de revendiquer l’amélioration des conditions de leur existence (la grève étant un droit constitutionnel), il y a manifestement un malentendu sur cette question. Si personne, y compris les syndicats, ne peut nier l’effort des pouvoirs publics en termes de hausses des rémunérations, une interrogation reste néanmoins posée: les augmentations décidées profitent-elles à tous ? Surtout, profitent-elles à ceux qui en ont le plus besoin ? Il est évident qu’une augmentation de 5% sur un salaire de 10 000 DH n’a pas la même valeur que le même taux appliqué à un salaire de 3 000 DH. La grande disparité entre les revenus en témoigne : 1 à 30, selon les syndicats, 1 à 26 selon le MMSP. Abordant cette question dans son dernier rapport sur le Maroc, la Banque mondiale note que l’inégalité des traitements s’est aggravée de 42,5 % entre 1985 et 2005, avec une nette détérioration depuis 1998. Solution ?