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SIAM : Entretien avec Pr Ouafaa Fassi Fihri, Directrice de la recherche scientifique et de la formation doctorale
Le Maroc a beaucoup à gagner en développant la filière produit de terroir. Les conditions de financement de la recherche-innovation-développement demeurent assez timides.

Comment évaluez-vous l’état de la recherche agricole au Maroc ?
La recherche agricole au Maroc est connue et reconnue depuis plusieurs décennies à travers des projets et des partenariats nationaux et internationaux. Actuellement, la recherche agricole devrait connaître un nouveau souffle car les bailleurs de fonds ne donnent plus les mêmes facilités aux chercheurs marocains dans le domaine de l’agriculture. Ceci est justifié par le fait que le Maroc a pris un nouveau virage dans la recherche agricole. Cette nouvelle orientation vise plutôt une recherche appliquée aux conditions marocaines et utilisable par les agriculteurs et les éleveurs sur le terrain. Il existe plusieurs chantiers à mettre en œuvre, à l’instar de la mise en place d’un système de gouvernance approprié, le renforcement du mécanisme de financement compétitif pour la recherche, la mise en place des unités mixtes et des équipes collaboratives de recherche, le développement d’un système d’évaluation de l’impact et de suivi des programmes de recherche agricole et l’établissement de comités de coordination au niveau national et régional avec des priorités et aux besoins (chercheurs, agriculteurs / organisations professionnelles / agro-industriels, conseillers agricoles, DEFR/DRA).
L’agriculture figure parmi les premiers secteurs au Maroc à s’appuyer sur la recherche scientifique en tant que levier pour son développement. En effet, depuis la création par les colons des Jardins d’essais en 1914 le centre expérimental agricole à Rabat en 1923, le dispositif d’enseignement et recherche agricole s’est enrichi les années suivantes par la mise en place de plusieurs institutions telles que l’ENA et l’INRH (1945), l’IAV Hassan II (1963), l’Ecole nationale forestière (1970) et la restructuration de l’INRA en 1982, pour ne citer que ces dernières.
Depuis, la recherche dans ce secteur s’est renforcée par un accroissement en ressources humaines et en moyens. Ce qui a permis la création de plusieurs départements et laboratoires au sein de ces établissements. La coopération internationale a également beaucoup soutenu la recherche dans ce secteur. La majorité des enseignants-chercheurs a effectué sa thèse dans des établissements étrangers et a tissé des relations permettant la conduite d’activités de recherche soutenues principalement par les appels à projets internationaux ou bilatéraux.
Au niveau national, plusieurs programmes ont vu le jour et qui sont soutenus par le département de l’agriculture, permettant aux universités de s’intéresser également à la recherche dans le secteur agricole.
Malgré ces avancées, la recherche agricole devrait se repositionner afin de mieux considérer la conjoncture actuelle et répondre aux véritables besoins nationaux. Une récente étude menée par le MAPM sur le dispositif national de la recherche agricole a permis d’identifier des niches d’excellences mais aussi des facteurs limitant le développement de cette recherche tels que le statut du chercheur et du doctorant, la disponibilité de soutien conséquent à la recherche et à sa valorisation et la faible mutualisation des ressources et moyens. D’où l’idée de création d’un pole polytechnique pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche relevant du MAPM.
Jusqu’à quel point participez-vous à la promotion et le développement de cette recherche agricole ?
La trilogie Recherche-Développement-Innovation (RDI) est une nécessité impérieuse pour un établissement de formation supérieure du XXIe siècle. C’est elle qui conditionne le niveau de compétitivité des entreprises et des nations. Les expériences internationales montrent que tout développement technologique agricole, agroalimentaire et rural ne peut se faire sans un système de RDI solidement ancré dans les politiques nationales. Cela découle du fait que si les transferts de technologies sont relativement aisés dans beaucoup de secteurs, cela n’est ni direct ni automatique pour l’agriculture. En effet, les transferts de technologies en agriculture nécessitent des recherches d’adaptation profondes du fait des spécificités agro-écologiques et des risques potentiels d’introduction de maladies dévastatrices ou de contamination de ressources génétiques locales. La Recherche-Innovation-Développement est structurellement nécessaire et indispensable pour répondre aux besoins spécifiques des systèmes agricoles. L’IAV conduit avec ses partenaires nationaux des activités de transfert de savoir et de technologies auprès des agriculteurs sur le terrain qui peut prendre plusieurs formes : stages, accompagnement technique, prestation de service, etc.
Au niveau de l’IAV Hassan II, la ré-accréditation de l’école doctorale en 2010 a permis de rouvrir les portes du centre d’étude doctorale en agronomie et médecine vétérinaire à l’ensemble des lauréats qui souhaitent poursuivre leurs thèses. Aussi, nous accueillons actuellement plus de 200 thésards provenant de différentes institutions universitaires et non universitaires (INRA, etc.). Il est à noter qu’il s’agit de la seule école doctorale dans le domaine.
Vous intéressez-vous à toutes les filières ou y a-t-il des filières plus privilégiées que d’autres ?
On s’intéresse à toutes les filières soutenues par le PMV (agrumicole, céréalière, oléicole, laitière, maraîchage, de primeur, palmier dattier, semencière, sucrière, produits de terroir, avicole et viande rouge).
Selon vous, sur quelles filières le Maroc devrait-concentrer davantage d’efforts ?
Il est difficile de hiérarchiser l’importance des filières. Certaines sont indispensables au marché local et nécessitent donc un soutien de la recherche pour améliorer la qualité du produit tout en tenant compte du facteur environnemental et des coûts de production pour livrer un produit sain, de qualité et dans de meilleures conditions au consommateur. Par ailleurs, d’autres produits de haute valeur ajoutée sont destinés à l’export et dans ce sens ils nécessitent de s’aligner sur les normes exigées par le marché.
Le Maroc a, par ailleurs, beaucoup à gagner en développant la filière produit de terroir tout en s’appuyant sur sa biodiversité locale et en faisant valoir son savoir-faire ancestral.
De quelle manière l’IAV contribue-t-il à atteindre les objectifs que le Plan Maroc Vert compte atteindre ?
LaStratégierecherche-formation-innovation suivie vise à construire un programme thématique intégré fédérateur qui répond aux besoins de l’économie nationale et qui renforce les stratégies et les politiques de développement. Le programme mené combine la vision de recherche nationale et la stratégie PMV de relance du secteur agricole. Les recherches menées par l’IAV Hassan II figurent au centre des domaines prioritaires définis dans la Stratégie nationale de recherche 2025.
Les objectifs de recherche précis revêtant une dimension sectorielle reposent sur l’orientation stratégique de la recherche. Ces axes sont définis selon une dimension qui intègre les filières et secteurs économiques et une dimension thématique axée sur les technologies et les domaines de recherche nécessaires pour soutenir les filières et secteurs d’activité agro-économiques.
En ce qui concerne le domaine agricole (production végétale et production animale), la définition des objectifs est liée aux filières de production. Le secteur des industries agroalimentaires intègre la transformation des produits ciblés par le PMV, notamment les viandes, le lait, la conserve végétale, le sucre et les huiles. Le secteur des écosystèmes naturels et forestiers bénéficie de thématiques pour la gestion durable de ces ressources. De plus, la dimension valorisation de la qualité et protection des consommateurs est renforcée. Cette stratégie sert à mobiliser les chercheurs et se base sur l’objectif stratégique de l’établissement pour contribuer activement à l’équilibre alimentaire global du pays, la valorisation des chaînes de valeur, la croissance de la productivité, de la qualité et de la sécurité alimentaire. Ces efforts de soutien de la recherche aux politiques sont stratégiques pour assurer la compétitivité du produit Maroc. Les enjeux sont grands et les possibilités d’amélioration immenses.
Qu’en est-il des moyens humains et financiers mis à la disposition de l’IAV ?
Les conditions de financement de la recherche-innovation-développement demeurent assez timides pour conduire des projets de haute valeur technologique. A ce titre, la recherche à l’IAV Hassan II connaît certaines contraintes. Il manque de marge de manœuvre puisque 96% du budget est alloué aux salaires et au fonctionnement et maintenance des structures. II ne prévoit donc pas une rubrique dédiée à la recherche. De plus, les financements acquis auprès de sources extérieures se font dans le cadre de projets individuels tributaires des coopérations internationales et partenariats nationaux.
En effet, la rareté progressive des financements internationaux, combinée à des effets de déconcentration induits par des programmes de recherche internationaux disparates et à la nécessité d’accompagner les priorités nationales, appellent à la mise en place et au renforcement d’une dynamique nouvelle. Ainsi, cette nécessité d’une vision à long terme est une des leçons qu’on peut tirer de la réussite des pays émergents. Ceux-ci ont compris depuis longtemps que la recherche n’est pas un luxe et que la recherche ne peut être productrice de richesses que si une politique durable de financement de la recherche locale est mise en place. Deux décennies plus tard, ces pays ont renforcé leurs capacités de recherche, d’innovation et d’export.
L’IAV Hassan II et ses chercheurs doivent produire des innovations immédiates s’ils veulent continuer à solliciter le support de la collectivité. Ils doivent ainsi valoriser les opportunités nouvelles à travers des grands groupes tels que l’OCP et le Groupe Crédit Agricole du Maroc. Il existe actuellement des priorités sûres qu’il faudra saisir immédiatement pour des accords à long terme gagnant-gagnant.
En parallèle, l’IAV doit continuer à jouer un rôle de leader au niveau de la coopération et des partenariats internationaux et ce, en renforçant la participation de ses équipes aux différents appels d’offres pour les projets internationaux de coopération. Il s’agit également d’établir des alliances durables avec des centres de recherche et des universités reconnus et des partenariats stratégiques avec des bailleurs de fonds internationaux. Par ailleurs, la nouvelle Stratégie nationale de formation et de recherche agricole lancée en 2013 par le MAPM devrait être opérationnelle en parallèle avec la création du pôle polytechnique (Loi en cours). Ce Pôle va regrouper les 3 établissements de formation agricole qui sont l’IAV, ENA et ENFI pour former un pôle d’excellence en matière de formation et de recherche.
Il y a, au Maroc, un manque flagrant d’initiatives privées dans la recherche agricole. Quel est l’état actuel du secteur privé dans le domaine de la recherche et à votre avis comment devrait-on renforcer ces efforts émanant du secteur privé ?
Dans le secteur agricole, très peu d’entreprises sont actives en matière de recherche. Toutefois, des contrats programmes entre les professionnels et l’Etat ont concerné la promotion de la recherche. En effet, ces contrats prévoient un soutien à la recherche dans les fédérations professionnelles du secteur agricole. A titre d’exemple, le contrat MAPM- AMABIO (Association marocaine de la filière des productions biologiques), prévoit un budget de 9 MDH pour soutenir 7 projets de recherche appliquée pour la filière biologique portant sur le maïs, agrumes, cultures maraîchères, etc..
En parallèle, il faut renforcer le partenariat privé et professionnel. L’objectif est de prospecter les opportunités locales de partenariat avec le secteur privé et d’identifier les domaines de collaboration en matière de recherche-développement et d’assistance technique. Nous pourrons ainsi engager des actions auprès des entreprises, des institutions financières, des associations professionnelles, des ONG pour amener les entreprises et la profession à créer des partenariats et établir des conventions avec les équipes de recherche de l’IAV. Ces partenariats d’appui à la profession et à la compétitivité de l’entreprise Maroc sont stratégiques et peuvent être durables (formation, technologies).
