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SIAM 2017 : Entretien avec Ouafae Fassi Fihri, Directrice de la recherche scientifique et de la formation doctorale
La durabilité signifie produire en quantité suffisante, tout en réduisant les impacts négatifs des pratiques culturales et en préservant la biodiversité et les ressources naturelles. Les rotations culturales, la valorisation de la biodiversité végétale, l’ajustement de la fertilisation des sol.., sont quelques techniques préconisées.

Comment percevez-vous le concept de durabilité dans le domaine agricole ?
La question qui est très souvent posée, comment nourrir 9 milliards d’humains d’ici 2050, nous interpelle tous: scientifiques, décideurs politiques, agriculteurs à l’échelle du globe. Beaucoup répondent à cette question par l’agriculture durable. Le concept de durabilité ou développement durable revêt trois dimensions : une dimension écologique, une dimension sociologique et une dimension économique. Avec ces trois piliers, un processus peut être qualifié de durable. Donc l’agriculture durable est un mode de production agricole économiquement viable, socialement équitable et qui ne nuit ni à l’environnement ni à la santé du consommateur et de l’agriculteur.
Cela signifie produire en quantité suffisante pour nourrir tous les humains, tout en réduisant les impacts négatifs des pratiques culturales sur la santé et l’environnement et tout en préservant la biodiversité et les ressources naturelles : eau, sol, air, etc. En effet, on ne cesse de démontrer que l’agriculture intensive est une des causes de la dégradation de la qualité des eaux un peu partout dans le monde. La diffusion de nitrates et de phosphates dans les sols, puis dans les nappes phréatiques et les cours d’eau, ainsi que l’utilisation abusive des pesticides sont à l’origine de pollutions ponctuelle et diffuse. Tous ces problèmes ont incité beaucoup de gouvernements à instaurer des mesures agroenvironnementales dans leurs politiques agricoles.
Pensez-vous que la durabilité est prise en compte par les agriculteurs marocains ?
A ce propos, il faut distinguer du moins les agriculteurs du Pilier I et ceux du pilier II comme ils ont été définis dans la stratégie du Plan Maroc Vert. Les premiers, qui en principe pratiquent des cultures à haute valeur ajoutée et dont la production est en général destinée à l’exportation, sont conscients du problème. D’ailleurs beaucoup de mesures, notamment agro-environnementales, sont imposées par les exigences des systèmes de management de la qualité adoptés qui leur permettent d’accéder à certains marchés européens ou autres. Ces exigences, qui sont à la base de la certification de nos produits agricoles, concernent aussi bien des aspects liés à la protection de l’environnement (gestion des pesticides et des engrais), que la protection des ouvriers et conditions de travail et la protection du consommateur (nature des interventions phytosanitaires, respect des conditions d’application et résidus de pesticides ). Pour les agriculteurs du pilier II, c’est surtout l’agriculture solidaire qui est concernée. Pour cette catégorie, on est loin de l’intensification des cultures. L’utilisation des intrants (pesticides et engrais) est à son strict minimum. En tout cas, la stratégie du conseil agricole adoptée par le MAPM a un rôle à jouer dans ce sens.
Quelles sont les grandes techniques que vous recommandez pour optimiser la production dans les différentes filières ?
Partant du principe que la préservation de l’intégrité de l’environnement n’est plus un choix, l’adoption de certaines techniques trouve tout son intérêt. A titre d’exemple, les rotations culturales, la valorisation de la biodiversité végétale pour gérer durablement la fertilité des sols, l’ajustement de la fertilisation des sols (agriculture de précision), la lutte intégrée et la minimisation des interventions chimique, etc. A coté de cela, il faut sensibiliser les agriculteurs aux impacts négatifs se rapportant aux différentes dégradations et pollutions résultant de pratiques agricoles inappropriées ou d’une intensification agricole non maîtrisée. Il serait nécessaire d’adopter des mesures incitatives pour que les agriculteurs adhèrent à cette stratégie.
Quelles sont les filières agricoles qui ont déjà trouvé un équilibre entre les 3 dimensions précitées ?
Je cite surtout la filière biologique qui, par ses trois principes de base, à savoir la protection de l’environnement, la préservation de la biodiversité et la conservation des sols et des ressources naturelles, se situe pleinement dans cette optique de durabilité. Cette filière concerne des superficies non négligeables, environ 7 500 ha au total, de cultures maraîchères, oliviers, agrumes, plantes aromatiques et médicinales, caroubier, menthe-verveine, céréales, vigne, safran, et d’autres espèces fruitières. Ajouter à cela toutes les filières PAR (plans agricoles régionaux) qui bénéficient de plus d’une assistance technique de la part du MAPM.
Ce concept de durabilité, tel que vous l’expliquez, a-t-il une place dans votre cursus de formation ?
Oui, absolument. Comme il est de notre rôle de former des ingénieurs agronomes qui vont œuvrer, entre autres, dans le domaine de la production agricole qui est en pleine mutation, on veille à ce que ces ingénieurs possèdent, en plus des compétences techniques et managériales, des compétences leur permettant de prévoir et mesurer l’impact des méthodes de production sur l’environnement et de proposer des solutions adaptées pour maîtriser la pollution de l’air , du sol et de l’eau, et gérer les déchets générés par les activités agricoles. En application de la loi 01-00 portant organisation de l’enseignement supérieur au Maroc, le système d’accréditation des cursus de formation sur 4 à 5 ans offre la possibilité de redresser à chaque fois nos programmes de formation sur la base des nouvelles exigences du secteur. Les aspects liés à la durabilité dans le secteur agricole sont très représentés dans nos cursus de formation d’ingénieurs agronomes, toutes spécialités confondues. A titre d’exemple, on trouve des modules qui traitent les aspects de management des ressources en sol et en eau, impact des pesticides sur la santé et environnement, des études d’impact de projets agricoles, agro-écologie, compostage, systèmes d’irrigation économes d’eau, mode de conduite de certaines cultures biologiques.
