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Déduction des intérêts des crédits habitat, un cadeau fiscal qui profite peu aux particuliers
Le montant annuel des déductions ne totalise que 300 MDH pour un encours de crédits acquéreur qui dépasse les 180 milliards de DH. Par manque de moyens et de volonté, les entreprises, surtout de petite et moyenne taille, se montrent encore peu diligentes pour faire profiter leurs salariés de cet avantage.

Al’heure où les professionnels de l’immobilier militent pour la mise en place de nouveaux leviers fiscaux dans le but de relancer la demande de logements, il convient de s’assurer de l’efficacité des incitations existantes. Or, cela ne semble visiblement pas être le cas s’agissant particulièrement de la déduction des intérêts des crédits habitat des revenus imposables. A examiner le rapport des dépenses fiscales accompagnant la Loi de finances, l’ensemble des avantages de ce genre recensés en 2014 (derniers chiffres disponibles) ne dépasse pas 300 MDH. Nous avons sollicité la Direction générale des impôts pour connaître le nombre de bénéficiaires correspondant à ce volume mais notre requête n’a pas eu de suite. Cependant, plusieurs indicateurs portent à croire que la sollicitation de ce cadeau fiscal reste en dessous du potentiel. Jugez-en ! Les déductions au titre des intérêts sur prêt immobilier ne représentent qu’une broutille dans le total des dépenses fiscales évalué par l’administration à 34,6 milliards de DH sur la même année. Leur volume reste aussi faible comparé aux dérogations profitant au secteur immobilier qui représentent 6,6 milliards de DH. Ensuite, par rapport à une production de crédits à l’habitat de 27 milliards de DH en 2014, accordés à plus de 81 000 emprunteurs, et un encours de 181 milliards de DH, le montant des déductions est encore plus négligeable. Ceci sachant que les bénéficiaires de crédits Mourabaha et de prêts accordés par les œuvres sociales ainsi que par les entreprises ont droit à cet avantage fiscal.
Il est vrai que l’ensemble des crédits acquéreur ne donne pas systématiquement droit à la déduction des intérêts. Celle-ci n’est en effet accessible que si le prêt finance une habitation principale.
L’avantage est plus intéressant pour les gros salaires
Cette barrière ne concerne que peu de monde puisque la majorité des particuliers emprunte dans ce dessein. D’après une récente enquête du ministère de l’habitat, 79% du parc national de logements est à usage d’habitation principale.
La déduction est aussi plafonnée à 10% du revenu global imposable, ce qui est de nature à limiter l’importance de ce cadeau. Plus le revenu des emprunteurs est bas, moins ils sont susceptibles d’en profiter du fait que leur plafond de déduction sera réduit. Les détenteurs de crédits acquéreur dont le revenu est inférieur à 4 000 DH représentent effectivement 40% des bénéficiaires de prêts actuellement. Mais cela signifie aussi que le reste dispose de ressources plus importantes avec même un revenu de plus de 10 000 DH pour un quart des détenteurs de crédits habitat, selon les données de Bank Al-Maghrib.
L’on est conforté davantage dans l’idée que les déductions des intérêts sur prêts immobiliers ne profitent pas comme il se doit aux contribuables, en sondant les directions administratives et financières des entreprises ainsi que les cabinets de comptabilité. A ce stade, précisons qu’en règle générale, pour les salariés, ce sont les employeurs qui déduisent les intérêts à la source sur la base d’un ensemble de justificatifs (certificat de résidence, contrat de prêt, tableau d’amortissement…). Ce traitement se fait de manière plus ou moins efficace, selon la taille de l’entreprise. Les grandes entités s’y prennent facilement grâce à leurs logiciels de comptabilité et elles peuvent même prendre des initiatives en faveur de leurs employés selon les procédures en place, explique Hamid Errida, associé gérant du cabinet de conseil fiscal Accounthink. Toutefois, des exceptions existent. Le gérant d’un cabinet d’audit relate par exemple le cas d’une filiale d’un groupe international dans les nouvelles technologies, employant 300 salariés, qui se refuse à prendre en charge la déduction des intérêts pour le compte de ses employés parce qu’elle n’y a pas été autorisée par sa maison-mère.
Les organismes de financement n’informent pas suffisamment leurs clients
Le manque de diligence pour garantir aux salariés leurs avantages est même la règle parmi les entreprises de moindre taille qui représentent évidemment le plus grand nombre. Elles rechignent dans leur grande majorité à prendre en charge ce type de déductions, selon les professionnels, surtout si elles gèrent leur comptabilité au moyen de solutions basiques et si elles sont limitées par leur organisation (absence de département dédié à la gestion des ressources humaines…). Parfois, elles manquent tout simplement de volonté, notent les cabinets de comptabilité, d’autant plus que ce type d’opérations peut amener un risque fiscal et que les salariés ne se manifestent pas encore systématiquement pour profiter de leur avantage, rapportent des directeurs administratifs et financiers. Il est étonnant à ce titre de constater que les banques ne mettent pas encore automatiquement leurs clients au courant de la déduction à laquelle ils ont droit alors que cela constitue indéniablement un argument de vente pour placer un crédit auprès de la clientèle.
Cet avantage induit en effet une rentrée d’argent régulière intéressante pour les contribuables. Par exemple, un salarié percevant un revenu brut mensuel de 25000 DH et qui rembourse un crédit de 750 000 DH sur 20 ans, peut se faire restituer plus de 800 DH d’impôt par mois (soit 9 600 DH par an) sur les premières années de son financement (le montant de la déduction se réduit avec la diminution des intérêts supportés au fil des remboursements). C’est l’équivalent de ce que pourrait économiser ce contribuable si sa banque lui faisait une ristourne de 2 points de pourcentage sur son taux de financement !
Lorsque le salarié ne bénéficie pas de la déduction à la source auprès de son employeur, il a toujours la possibilité d’adresser lui-même une déclaration à l’administration pour bénéficier d’une restitution d’impôt. Cette voie s’impose par ailleurs aux non-salariés. Une douzaine de pièces sont à joindre à cette déclaration lors de la première demande et d’autres justificatifs doivent encore être fournis à chaque demande ultérieure. Il faut ensuite s’armer de patience car le délai de restitution qui commence à trois mois en général peut dépasser un an, selon les professionnels.
