Affaires
Santé publique : le rapport qui dérange
Les patients supportent plus de la moitié des frais de leur hospitalisation
15 % des patients de la Santé publique vendent des biens personnels et s’endettent pour se faire soigner dans le public
Victimes de la masse salariale qui absorbe jusqu’à 81% de leur budget, les hôpitaux n’ont pas les moyens.
Et si le système de la santé publique au Maroc n’était pas aussi public et gratuit qu’on le croyait ? Il faut bien en convenir à la lumière des conclusions d’une sur la contribution des ménages aux soins hospitaliers qui n’a pas encore été rendue publique. Cette étude, menée par la direction des Hôpitaux et des soins ambulatoires, avec le concours d’un bureau d’études belge, a été réalisée entre juillet 2002 et juin 2003 et dont le rapport final vient d’être élaboré dans le cadre du Projet de financement et de gestion du secteur de la santé (PFGSS) financé par la Banque mondiale. L’étude, dont les conclusions devaient préparer les hôpitaux à la mise en place de l’AMO (assurance maladie obligatoire) et du RAMED (régime d’assurance maladie pour les économiquement défavorisés) met à nu un système de santé publique au fonctionnement budgétaire fortement déséquilibré.
Une différence entre les hôpitaux urbains et ruraux
Cinq sites ont été ainsi sélectionnés pour les besoins de cette enquête. Il s’agit des hôpitaux publics Al Idrissi de Kénitra, Mohammed V de Tanger, Ben M’sik de Casablanca, Mohammed V de Sefrou et de l’hôpital de Khémisset. Les deux derniers étant considérés comme des « hôpitaux ruraux».
La première conclusion de taille de l’enquête est le niveau élevé de la part prise en charge par le patient dans les coûts d’une hospitalisation. Cette charge est estimée à 1236 DH, soit pratiquement près de la moitié des coûts directs et indirects d’une hospitalisation puisque l’hôpital supporte de son côté 1 462 DH. Une précision s’impose à ce niveau. En réalité, le patient supporte bien plus que la moitié. Ces 1462 DH payés par l’hôpital incluent toutes les dépenses engagées, soit à la fois les frais du personnel, le coût des équipements et des médicaments…
Mais il y a pire ; un autre chiffre permet de nuancer toutefois la contribution de l’hôpital et de l’estimer à sa juste valeur : pour un montant de 120 DH de médicaments et de consommables (seringues, coton…) fournis par les hôpitaux lors de chaque admission, le patient doit acheter lui-même l’équivalent de 355 DH à l’extérieur de l’hôpital. Autrement dit, concluent les rédacteurs du rapport, «les restrictions en terme de budget de médicaments, consommables, réactifs et autres des hôpitaux étudiés ont pour conséquence directe que l’argent du patient s’en va alimenter le secteur privé».
Par ailleurs, l’examen des frais engagés directement par le patient montre aussi une différence nette entre les hôpitaux dits urbains et ceux du monde rural (Sefrou et Khémisset) : plus de 1 200 DH pour les premiers et plus de 900 DH pour les seconds. Ces frais sont dominés par l’achat de médicaments et consommables (29 %) ainsi que les frais de transport (visites du patient) et le coût des repas apportés au patient par son entourage, qui représentent quant à eux 34 % du total. La période d’hospitalisation constitue ainsi une charge financière pour la famille du malade. Celle-ci est appelée à contribuer fortement au financement de cette durée. Remarque importante : 86 % de ces dépenses est payé en dehors de l’hôpital au profit du secteur privé (seulement 170 DH sont versés à l’hôpital public).
Que retenir de tous ces chiffres ? Tout simplement que cette situation a pour conséquence directe d’entretenir fortement le cercle vicieux de la pauvreté aussi bien des patients que des hôpitaux.
En effet, si sur les 789 patients ayant expliqué comment ils avaient payé les différents frais relatifs à leur épisode d’hospitalisation, 39% ont déclaré avoir payé sur des revenus réguliers, 35% ont dû se faire aider par leur entourage et 15 % se sont résignés à avoir recours à l’emprunt et à la vente
de biens personnels. Ceci montre donc clairement, et sans équivoque, qu’une période d’hospitalisation, même dans les hôpitaux publics, n’est pas, d’un point de vue financier, un événement anodin pour la majorité des patients. Le système de la santé publique entretient donc le cercle vicieux de la pauvreté pour la population la plus indigente. L’hospitalisation devient chez nous une source d’appauvrissement et d’aggravation de la précarité de la population en l’absence d’une couverture sociale. D’autant plus que les mutualistes et les assurés ne représentent que 5,4% des patients s’adressant à des hôpitaux publics. Cette clientèle préfère en effet recourir aux cliniques privées. Le reste des clients du public est constitué, à hauteur de 75 %, d’indigents.
Le rapport relève aussi une faille importante du système de la santé publique national : l’examen des coûts moyens par admission à la charge du patient, selon sa catégorie sociale, montre que ce sont les personnes en situation précaire qui payent le plus. «Ce qui s’explique par le fait qu’ils ne sont couverts par aucune assurance ou mutuelle et qu’ils doivent donc supporter la totalité des coûts, principalement des coûts payés à l’extérieur de l’hôpital».
Les budgets des hôpitaux subventionnés à hauteur de 70%
Le deuxième niveau de cette dynamique négative concerne l’appauvrissement cette fois-ci des structures publiques et «l’enrichissement du secteur privé». Explications: les faibles dotations de l’hôpital en médicaments et consommables les obligent à payer des frais supplémentaires pour en acheter auprès du privé, ce qui génère un effet pervers : les patients connaissant le faible taux de prise en charge à l’hôpital public et devant faire acheter leurs médicaments dans le privé, chercheront à se faire exempter pour cause d’indigence réelle ou par complaisance, réduisant ainsi de facto les recettes des hôpitaux. Et faute de ressources convenables, ces derniers ne peuvent pas augmenter leurs dépenses relatives aux frais variables tels que les médicaments et consommables. Une situation qui aggrave le déséquilibre du budget de fonctionnement des hôpitaux, déjà financé à hauteur de 70 % par des subventions étatiques. Et ce n’est pas tout. Les budgets croulent sous le poids de la masse salariale. Le rapport souligne que la proportion de cette dernière dans les coûts hospitaliers totaux, hors amortissement, varie de 77 à 81 %, au moment où celle des médicaments et consommables ne dépasse pas, dans le meilleur des cas, 12 %.
«Au vu de ce constat, et connaissant l’importance du médicament pour la visibilité d’une structure de santé en tant qu’indicateur de qualité du point de vue du patient, le sous-financement chronique, pour les coûts variables, a pour conséquence d’associer une mauvaise image à l’hôpital public», note le rapport.
Cette situation de déficit financier structurel, les hôpitaux publics la partagent avec les CHU. A Casablanca par exemple, seulement 23,5 % des patients paient directement, 5,13 % sont des mutualistes et 52 % des indigents. Ces derniers s’ajoutent aux 17 % de personnes accueillies dans les urgences et qui ne s’acquittent jamais de leurs factures. Le déficit lié à ces catégories dites non-payantes est estimé par Mohamed El Andaloussi, directeur général du CHI Ibn Rochd, à 155 millions de DH par an, comblé en partie par des subventions de l’Etat (114 millions de DH en 2003).
L’espoir du RAMED
Comment alors remédier à la pauvreté aussi bien de la population que des institutions ? Pour s’affranchir de ce paradoxe, celui de soigner et appauvrir en même temps, l’hôpital public se doit d’opérer une mue qualitative qui ne peut s’enclencher sans un renforcement de ses moyens, financiers notamment.
De l’avis de Abdelali Belghiti Alaoui, directeur des Hôpitaux et des soins ambulatoires, la solution réside dans la mise en place du RAMED et de l’AMO. Deux conditions sont toutefois émises pour assurer le succès de ce système, programmé initialement pour le 1er janvier 2005 mais dont l’entrée en vigueur se fera de manière progressive et… lente. Il faudra d’abord que leur entrée en vigueur soit concomitante. Car, si le RAMED est repoussé, la population indigente risque d’être abandonnée à son sort «alors que l’équité voudrait que cette catégorie ne soit pas lésée par son statut social». Un avis partagé par M. El Andaloussi pour lequel le RAMED est une étape-clé de l’autonomie financière des CHU.
La deuxième condition est que la mise en place de la couverture sociale généralisée soit accompagnée par un renforcement des moyens des hôpitaux publics permettant un redressement de leur situation budgétaire. La crainte, selon plusieurs spécialistes, est que la partie qui sera couverte par l’AMO ne soit pas comblée par des fonds injectés dans les budgets des hôpitaux, ce qui entraînera une aggravation de l’appauvrissement de ces structures. Pour le RAMED, le montage financier est plus équilibré puisqu’il prévoit deux catégories d’indigents: l’indigent absolu qui ne supportera aucune dépense durant son hospitalisation et l’indigent relatif pour lequel une sorte de prix-plafond sera fixé quelle que soit la nature de la prestation. «Aujourd’hui, nous supportons les frais d’hospitalisation de ces deux catégories. Le RAMED nous permettra d’être remboursés. Encore faut-t-il que la partie qui est aujourd’hui supportée par les patients eux-mêmes soit comblée par des injections de fonds», souligne M.Belghiti pour lequel l’autonomie financière des hôpitaux publics est une condition sine qua non de la réussite de l’AMO. Un projet sujet à plusieurs spéculations. La primature semble ne pas avoir encore tranché aujourd’hui, à deux mois du 1er janvier, au sujet de la mini-douzaine de scénarios soumis à son arbitrage
Pour un montant de 120 DH de médicaments et de consommables fournis par l’hôpital, le patient doit acheter lui-même l’équivalent de 355 DH à l’extérieur.
Alors que 75% des clients d’un hôpital public sont des indigents, la contribution des patients au financement de leur séjour dans un hôpital public varie entre 810 DH/admission à Sefrou et 1 635 DH/admission à Casablanca.
