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Salaires : Entre 50 et 208 DH de plus par mois pour 150 000 fonctionnaires
La décision de porter le salaire minimum dans la fonction publique à 3 000 DH concernera plusieurs échelles par effet de cascade. Environ 70000 agents appartiennent aux administrations publiques, le reste aux collectivités locales. Le salaire mensuel moyen représente 3 fois le PIB par habitant.

Abdelilah Benkirane avait promis dans son programme électoral un SMIG à 3000 DH, il vient d’honorer en partie sa promesse : à partir de juillet de cette année, aucun salaire dans la fonction publique ne sera inférieur à 3000 DH. Bien sûr, dans la fonction publique, il n’y a pas de SMIG, puisque celui-ci est une rémunération horaire, laquelle ne peut se concevoir que dans le privé où, pour une multitude de raisons, une entreprise peut être amenée à faire travailler une main-d’œuvre pour des périodes bien précises. Mais tout de même : 3000 DH étant désormais un minimum que tout fonctionnaire doit percevoir, cela ressemble à un SMIG… «catégoriel», même si ça n’en est pas un au sens commun du terme.
Cela étant précisé, la question est de savoir maintenant combien de personnes vont bénéficier de cette augmentation. La réponse renvoie directement à une autre interrogation : qu’entend-on par fonction publique ? S’agit-il seulement de la fonction publique étatique (administration centrale et services déconcentrés), ou bien faut-il y intégrer la fonction publique territoriale, c’est-à-dire les agents et fonctionnaires des collectivités locales ?
Pour certains, et parmi eux des parlementaires, la hausse décidée par le gouvernement pour les fonctionnaires ayant de faibles rémunérations ne concerne que ceux qui exercent dans les ministères et leurs services extérieurs. «Cette question a été posée lors du dialogue social et la réponse a été que seuls les fonctionnaires de l’administration centrale et des services déconcentrés bénéficieront de l’augmentation des salaires à 3000 DH», déclare à La Vie éco Mohamed Daidaa, président du groupe parlementaire de la Fédération démocratique du travail (FDT) à la Chambre des conseillers. Ce n’est pas l’avis de Said Chaoui, secrétaire national de la Fédération nationale des ouvriers et fonctionnaires des collectivités locales, affiliée à l’Union marocaine du travail (UMT). Celui-ci est formel: «La revalorisation touchera aussi les agents des collectivités locales, et il n’y a d’ailleurs pas de raison que ce ne soit pas le cas. Nous avons posé la question et la réponse a été positive. C’est officiel». Dans ce cas, combien de fonctionnaires vont bénéficier de l’augmentation ? Dans la fonction publique étatique, le nombre de personnes percevant aujourd’hui moins de 3000 DH s’élève à 10 000 environ, selon les indications d’un haut responsable du ministère de la fonction publique et de la modernisation de l’administration. Mais comme dans la fonction publique, les rémunérations sont strictement encadrées, correspondant à la position de chacun dans la hiérarchie des échelles et des échelons, une augmentation du salaire minimum déclenche de facto un mouvement de hausse en cascade qui ne s’arrête que lorsque l’écart normal entre les «grades» est rétabli. Ainsi, en portant à 3000 DH les salaires qui n’atteignaient pas ce seuil, on s’oblige à augmenter les fonctionnaires percevant déjà 3 000 DH, puis ceux qui viennent immédiatement après, et ainsi de suite. Sans cela, on créerait évidemment une situation d’injustice où des fonctionnaires ayant des grades différents toucheraient le même salaire.
Partant de cette considération, le nombre de fonctionnaires qui seront augmentés ne sera pas de 10 000 mais sans doute de beaucoup plus. Certaines sources parlent de quelque 70 000 personnes rien que dans la fonction publique étatique. Pour les collectivités locales, notre syndicaliste, Said Chaoui, avance le chiffre de 80000 agents qui perçoivent aujourd’hui moins de 3 000 DH. «Le chiffre dépasserait même les 80000 agents, sachant que les 2/3 des effectifs opérant dans les collectivités locales, soit environ 100000 personnes, sont situés dans les échelles 5 à 9», précise-t-il encore. Il faut savoir que les agents classés aux échelles 5 et 6 sont des personnels d’exécution, et ceux des échelles 7 et 8 des personnels intermédiaires; la catégorie cadre démarrant à partir de l’échelle 10. Au total (Etat et collectivités locales), cela fait donc quelque 150000 personnes qui devraient bénéficier de l’augmentation du salaire minimum décidée récemment.
Quelle rationalité dans la distribution des hauts salaires ?
Mais, bien entendu, la revalorisation ne sera pas la même pour tous. Elle sera d’ampleur variée, correspondant à la position de chacun. Comme le révèle M. Chaoui, l’augmentation va de 50 DH à 208 DH. La hausse maximum allant à l’échelle 5, échelon 1, et la minimum à l’échelle 8, échelon 1. Pour cette raison même, il est difficile de connaître d’ores et déjà l’impact financier de la mesure ; les services concernés de l’administration s’activant en ce moment à mettre au point ce dossier avant l’échéance de juillet prochain.
Ce qui est sûr, par contre, c’est que, après cette augmentation, le salaire moyen dans la fonction publique augmentera en conséquence. Il est aujourd’hui de 7 250 DH nets par mois, contre 5 333 DH en 2007, soit une hausse de 36%. Dans le secteur privé affilié à la CNSS, le salaire mensuel moyen s’établit à 4 728 DH par mois en 2013, soit plus de 1,5 fois moins que dans la fonction publique étatique
Les fonctionnaires de l’Etat sont-ils trop bien payés ? Selon le rapport du ministère des finances sur les ressources humaines, accompagnant le projet de Loi de finances 2014, le salaire mensuel moyen net dans la fonction publique au Maroc représente 3 fois le PIB par habitant. Qu’en est-il ailleurs ? Le même rapport nous apprend qu’en Turquie, par exemple, le salaire mensuel moyen net dans l’administration représente 1,9 fois le PIB par habitant et en France 1 fois seulement. Certains répondent toujours, face à des arguments de ce type, que si le salaire moyen dans la fonction publique marocaine est élevé, c’est parce que le PIB est faible. Raison de plus, pourra-t-on dire, pour réfréner la croissance de la masse salariale dans la fonction publique. Quand on a moins, peut-on distribuer plus ?
Cela dit, il est très aléatoire, pour le moins, de conclure que tous ceux qui émargent à la fonction publique sont grassement payés. Il en est qui, avec le même niveau de compétence et de responsabilité, perçoivent des salaires 5 voire 8 fois moins que ce qui est en vigueur dans les établissements et entreprises publics, pour ne rien dire du secteur privé, notamment le secteur financier. Au summum de sa carrière dans la fonction publique, un fonctionnaire touche 41 000 DH par mois. Et cette catégorie de fonctionnaires est numériquement très faible : une trentaine de personnes. Ce sont les secrétaires généraux. Souvent, il faut une vingtaine d’années, voire davantage, pour accéder à ce poste. Dans les grands établissements et entreprises publics, ce niveau de salaire peut parfois être atteint au bout de quatre à cinq ans d’ancienneté ! Ne parlons pas du privé où les salaires sont librement négociés, dans le cas bien sûr des personnes ayant de grandes qualifications.
En matière de salaires, et ce n’est pas spécifique au Maroc, il y a quelque chose d’incompréhensible, voire d’irrationnel dans leur distribution. Par exemple, les ministres au Maroc (et en France aussi) sont moins bien payés que des responsables dont ils assurent pourtant la tutelle ! A quelle logique cela obéit-il?
