Affaires
Salaheddine Mezouar serre-t-il la vis aux ministères ?
La fin de mandat du gouvernement et de l’exercice budgétaire attise les tensions entre départements. On accuse l’argentier de bloquer les projets d’investissement.

En cette fin d’exercice budgétaire, qui coïncide avec celle du mandat de l’actuel gouvernement, la tension est montée d’un cran entre les services des différents ministères et les Finances, à propos de l’exécution de leurs budgets. Les premiers reprochent sans détours au département de Salaheddine Mezouar de bloquer leurs engagements de dépenses. Secrétaires généraux, directeurs de budget et leurs chefs de division et de service affirment ne plus savoir à quel saint se vouer «tellement les dossiers en suspens s’entassent». La situation est, selon eux, «d’autant plus inquiétante que deux dates fatidiques approchent : d’abord le 25 novembre où se dérouleront les élections et où les administrations vivent normalement dans un climat de flottement, pour ne pas dire d’incertitude, dû aux éventuels changements à la tête des ministères ; et surtout le 25 décembre, date limite fixée par les Finances pour la clôture du traitement des dossiers». Une course contre la montre est donc engagée. La question est d’une extrême importance puisque l’enjeu est d’assurer le bon fonctionnement des affaires, mais surtout, pour les patrons de ces institutions, de présenter de bons résultats à la veille des élections législatives qui entraîneront l’installation d’un nouveau gouvernement. C’est pourquoi chefs de division et directeurs affirment saisir directement ces derniers temps leur ministre pour une intervention auprès de son collègue des finances pour tenter de solutionner leurs problèmes de déblocage des fonds nécessaires.
Les ministres, eux, suivent personnellement et avec grand intérêt ces dossiers, convaincus que leur bonne gestion contribuera à doper leur bilan et par conséquent à augmenter leurs chances de briguer un nouveau mandat au sein du prochain gouvernement.
Les Finances assurent que le budget d’investissement sera exécuté tel qu’il est voté
Autant dire que la situation se complique et les plaintes de plusieurs départements s’accumulent. C’est le cas, entre autres, du ministère du commerce extérieur dont plusieurs conventions de financement sont gelées depuis plusieurs mois. «C’est toute notre stratégie qui est en stand by. On ne comprend pas pourquoi on refuse de valider nos conventions de financement bien qu’elles soient programmées dans la morasse de la Loi de finances 2011», déplore un responsable du département d’Abdellatif Maazouz. Et il n’est pas le seul, puisque le Secrétariat d’Etat chargé du développement territorial, d’Abdeslam Al Mesbahi, vit la même situation. Idem pour le programme de lutte contre les maisons menaçant ruine, initié par le ministère de l’habitat en coordination avec plusieurs départements, dont essentiellement l’Intérieur (collectivités locales). L’Education nationale et la Santé sont également touchées.
De fait, la plupart des plaintes concernent la Trésorerie générale du Royaume (TGR) dont l’accord est obligatoire pour engager toute dépense publique. Cela s’inscrit dans les prérogatives de cet organisme qui veille au respect de la régularité budgétaire. Du coup, il procède à un contrôle strict préalablement à tout engagement. Et le «visa» n’est accordé que lorsque les propositions d’engagement de dépenses sont faites sur un crédit disponible, sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires d’ordre financier, et lorsque les calculs de ces propositions sont exacts. Les contrôleurs de la TGR examinent également la répercussion éventuelle de l’engagement sur l’emploi total du crédit de l’année en cours et des années ultérieures avant de le valider. Et c’est la longueur de cette procédure qui est actuellement à l’origine de la grogne des responsables de plusieurs ministères, qui avancent plusieurs motifs pour expliquer ce comportement.
Pour certains, ces «blocages» sont volontaires et ils sont dus à des considérations de rigueur budgétaire. Ils n’hésitent pas à aller plus loin en affirmant que des instructions ont été données de manière officieuse par le ministère des finances à ses services de contrôle pour réduire au maximum les dépenses à cause de difficultés financières de l’Etat.
D’autres n’hésitent pas à avancer des motifs politiques. «Les départements gérés par des ministres RNI ne souffrent pas des mêmes problèmes. Au contraire, ils bénéficient d’une souplesse élargie», accuse un responsable au cabinet d’un ministre USFP.
20 milliards de DH non exploités par les entreprises publiques
Resserrement budgétaire ou calcul politique ? Les deux arguments sont catégoriquement rejetés par les Finances. Selon une source autorisée, «les efforts d’investissement annoncés dans le cadre de la Loi de finances sont maintenus et il n’y aura pas de réduction de budget à ce niveau. De même, tous les ministères sont traités sur un pied d’égalité», se défend-on, avant d’insister sur le fait que le département des finances ne se réclame d’aucun parti politique.
L’on rappelle en effet que les mesures de restriction adoptées par le gouvernement n’ont pas touché le volet investissement et c’est plutôt le budget de fonctionnement qui a été réduit, le Premier ministre ayant publié une circulaire où il exhorte les ministères «à réduire de 10% leurs dépenses dans ce domaine, et en priorité celles qui se rapportent à la construction de sièges et à tout genre de location, dont notamment les véhicules et les locaux», rappelle la même source aux Finances, qui reconnaît que le contrôle des engagements de dépenses connaît effectivement quelques perturbations. Sauf que cela est dû, selon lui, «aux capacités managériales de certains départements ministériels qui font défaut» . Ainsi, déplore un contrôleur provincial de la TGR, «les erreurs sont récurrentes dans les dossiers présentés» (voir encadré). Et pour la moindre défaillance, les contrôleurs de la TGR n’hésitent pas à rejeter un dossier.
Il faut dire aussi que, malgré les efforts consentis par les Finances, les procédures de comptabilité publique demeurent encore compliquées, de l’aveu même des responsables de ce département. Cela s’est accentué après le renforcement du contrôle par la Cour des comptes. Les derniers rapports de cette institution, qui ont mis à nu différentes irrégularités dans la gestion administrative de ministères et d’organismes publics, ont poussé les trésoriers à se montrer plus vigilants et plus exigeants en matière de respect de la procédure. «On préfère rejeter un dossier pour le moindre motif plutôt que de risquer d’être épinglés par la Cour des comptes», témoigne un contrôleur régional.
La situation s’est aggravée car la fréquence des erreurs a augmenté avec l’accroissement des budgets observé ces dernières années. Le budget d’investissement de l’administration à lui seul est passé de 14 milliards de DH en 2005 à 57 milliards en 2011. Mais, parallèlement, les ressources humaines des départements ministériels n’ont pas suivi. De plus, «l’aspect relatif à la gestion financière a été délaissé au profit du volet technique, notamment dans les ministères budgétivores», fait remarquer un haut responsable des Finances qui déplore le fait que «des organismes dotés de fonds importants sont gérés par des cadres qui n’ont jamais reçu de formation en gestion financière». C’est le cas, évoque-t-il à titre d’exemple, des CHU et hôpitaux et des académies de l’Education nationale. Résultat : le report de fonds non exploités par les ministères progresse de manière notable. Ainsi, il reste 13 milliards de DH non consommés sur les 54 milliards programmés dans le cadre du budget d’investissement de 2010. Et rien n’augure que 2011 sera meilleure. Bien au contraire, «durant le premier semestre, le taux d’engagement du Budget de l’Etat n’atteint pas 50% et le taux d’émission est à moins de 30 %», souligne-t-on. Et on estime à 15 milliards de DH le montant qui fera l’objet de report sur le budget d’investissement de cette année.
Notons enfin que ce constat n’est pas propre aux ministères. Les entreprises publiques, elles aussi, disposent actuellement de 20 milliards de DH non exploités, «alors qu’elles continuent de recevoir des subventions et de contracter des crédits», observe non sans ironie ce responsable des Finances.
