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Affaires

Said Ahmidouch : «Le taux de cotisation devrait être augmenté de 2 points pour assurer l’équilibre du régime»

Un contrôle mieux organisé a permis de régulariser la situation de beaucoup de salariés non déclarés. Le DG de la CNSS estime que toutes les clés sont disponibles pour la réforme des retraites. Pour lui, l’effort à  faire par la caisse pour préserver son équilibre financier est tout à  fait supportable.

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Ahmidouch 2015 04 13

Au lendemain du dernier conseil d’administration de la CNSS, qui s’est tenu le 17 décembre 2014, le directeur général de la caisse, Said Ahmidouch, fait le point sur la situation de la caisse. Il souligne, chiffres à l’appui, que la pérennité du régime n’est pas menacée, même si un relèvement du taux de cotisation est nécessaire pour maintenir l’équilibre financier au-delà de 2060. En dix ans, le nombre d’assurés a été multiplié par deux, et l’AMO n’a pas impacté l’équilibre financier de la caisse. Le régime de couverture médicale de base a rapproché la caisse de ses assurés et a imposé plus de transparence dans la gestion. Le DG de la CNSS attribue ces résultats à une meilleure organisation et à un maillage plus serré sur le terrain.

Souvent critiquée, la CNSS a connu plusieurs restructurations pour améliorer son image auprès de ses assurés. Comment se porte la caisse aujourd’hui ?

La caisse se porte bien et plusieurs actions ont été mises en place afin d’améliorer la relation avec les assurés. Plus d’écoute, plus d’efficacité et plus de rigueur dans la gestion et l’amélioration du panel des prestations ont permis à la CNSS de créer de nouveaux liens avec ses assurés.

Concrètement… ?

Nous pouvons retenir plusieurs indicateurs. Premièrement, la CNSS est devenue plus attractive étant donné qu’elle a développé une offre consistante de prestations. Preuve en est l’évolution du nombre d’assurés qui atteint aujourd’hui, pour le régime général, plus de 3 millions d’assurés contre 1,5 million en 2005. Soit 170 000 à 180000 entreprises du secteur privé affiliées. La CNSS a doublé le nombre de ses assurés en dix ans ans alors qu’en 40 ans, c’est-à-dire depuis sa création en 1960 jusqu’en 2005, elle n’a pu compter que 1,5 million d’assurés avec une offre réduite aux allocations familiales et aux pensions de retraite.
Deuxièmement, la caisse a élargi ses prestations notamment par la mise en place de l’Assurance maladie obligatoire en 2005, ce qui a permis à 5,1 millions de personnes, assurées et ayants droit, de bénéficier d’une couverture médicale de base. On peut également citer l’entrée en vigueur de l’Indemnité pour perte d’emploi (IPE) appliquée depuis janvier 2015. Et on ne peut passer sous silence les solutions apportées à certaines catégories d’assurés, notamment le versement des pensions aux veuves et le remboursement des cotisations salariales pour les personnes n’ayant pas totalisé les 3 240 jours nécessaires au versement d’une pension de retraite. Au 31 mars dernier, 32 297 personnes ont bénéficié de cette mesure qui a coûté 148 MDH à la CNSS.
Et enfin, troisièmement, nous avons joué la carte de la proximité en développant notre réseau qui compte aujourd’hui 87 agences dont 25 à Casablanca. Sans compter les agences mobiles qui se déplacent dans les zones éloignées du Maroc ainsi que les kiosques AMO.

Comment avez-vous procédé pour élargir la population couverte ?

On peut dire que ces réalisations sont la résultante de nos actions commerciales marquées par une large présence à travers le pays et la multiplication des prestations, mais elles sont également le fruit de nos actions coercitives, notamment le contrôle et l’inspection qui ont fait l’objet d’une réorganisation pour plus d’efficacité.

En effet, le contrôle des affiliés a été souvent montré du doigt pour son irrégularité et sa faible force de dissuasion. Qu’en est-il actuellement ?

Aujourd’hui, le contrôle et l’inspection relèvent d’une structure spécifique qui centralise la programmation et l’organisation des opérations. Aussi, le contrôle se fait désormais par des équipes et non plus par une seule personne, et enfin le ciblage des entreprises se fait selon des critères bien précis et déterminés. Ces critères permettent d’identifier la sous-déclaration ou bien la non-déclaration. Outre le système de veille en interne, nous nous basons sur les réclamations faites par les assurés. Tout cela donne plus d’efficacité et de crédibilité à l’inspection.

Quels sont alors les secteurs les plus touchés par le contrôle ?

Durant ces deux dernières années, il ressort des opérations d’inspection que certains secteurs arrivent en tête. Le gardiennage est l’activité qui enregistre le plus grand nombre de litiges avec la CNSS. Viennent ensuite l’enseignement privé, le bâtiment et travaux publics, le textile, les centres d’appel et les exploitations agricoles. Ces secteurs sont suivis de très près par la CNSS.

Et les bons élèves de la CNSS, de quel traitement privilégié bénéficient-ils ? Avez-vous par exemple mis en place une catégorisation des entreprises ?

Formellement, le système de catégorisation n’existe pas, mais nous nous basons sur la catégorisation faite par certains organismes. Par exemple, nous nous appuyons sur le label social développé par la CGEM. Ce qui permet de réserver un traitement privilégié aux entreprises labellisées pour qui le risque de contrôle est moindre. Elles sont considérées comme des affiliés VIP qui traitent directement avec un chargé de clientèle au niveau de l’agence.

On suppose maintenant que les problèmes organisationnels sont maîtrisés. Mais qu’en est-il de la viabilité financière de la caisse ?

La branche des pensions gérée par la CNSS est constituée des pensions de vieillesse, des survivants et d’invalidité. La cotisation est assise sur un plafond de 6000 DH et elle est gérée selon la technique de répartition provisionnée : le taux de cotisation est fixé de manière à assurer l’équilibre du régime sur une période minimale de cinq ans. Parallèlement, la CNSS constitue des réserves techniques sous forme de fonds de prévoyance alimenté de l’excédent des recettes sur les dépenses de chaque exercice. La caisse réalise périodiquement une évaluation actuarielle de la branche des pensions pour réajuster le taux de cotisation afin d’assurer l’équilibre. Selon les conclusions de la dernière étude actuarielle, les cotisations ne suffiront plus à faire face aux prestations à partir de 2026. Le maintien de l’équilibre financier au-delà de 2060 nécessiterait une augmentation de 2 points du taux actuel qui passerait de 11,89% à 14%. Ce qui est à la portée de la caisse et peut se faire sur plusieurs années. Ces résultats ont été confirmés par les études réalisées par la Cour des comptes.

Ce qui signifie que la situation de la CNSS est plus confortable que celles des autres caisses, notamment la CMR et le RCAR ?

Oui, l’effort à faire par la CNSS pour préserver son équilibre financier est tout à fait supportable. On peut passer sur une durée de cinq ans de 11,89 à 14% et avoir donc un taux d’équilibre. Pour la Caisse marocaine des retraites, par exemple, l’effort requis pour assurer l’équilibre n’est pas économiquement supportable puisque pour garantir les mêmes prestations avec l’évolution démographique actuelle, son taux de cotisation doit passer de 20 à 54% !

Que faire donc pour assurer l’équilibre de la CMR et où en est aujourd’hui le chantier de la réforme des régimes de retraites ?

Toutes les clés sont disponibles pour réformer les régimes de retraites. Le gouvernement a les yeux rivés sur la CMR car elle constitue l’urgence et tout le monde est d’accord sur le déséquilibre de cette caisse. Aujourd’hui, il y a un statu quo, mais il faut agir rapidement et apporter, en premier lieu, comme cela a été proposé, les modifications nécessaires dans le cadre d’une réforme paramétrique en agissant sur l’âge de départ à la retraite et le taux de cotisation. Ces rectifications constitueront une plate-forme de réforme pour toutes les caisses. Beaucoup de retard a été pris puisque le projet est lancé depuis 2003, il faut agir rapidement.

Pour revenir à la CNSS, peut-on dire que, contrairement aux craintes exprimées en 2006, la mise en place de l’AMO n’a pas altéré son équilibre financier ?

Mise en place en 2005, l’AMO couvre aujourd’hui une population de 5 millions de personnes. Soit une évolution de 12,2% par rapport à 2013. Les dépenses au titre de 2014 s’élèvent à 2,3 milliards de DH pour des cotisations de l’ordre de 4,52 milliards, en évolution de 9,8% par rapport à 2013. Le régime fonctionne aujourd’hui sans difficultés.  Doté au départ d’un panier limité aux ALD et ALC, le régime a connu une extension aux soins ambulatoires et aux soins dentaires. Il est plus attractif et permet une accessibilité de la couverture médicale. Le taux de remboursement varie de 90 à 100% pour les maladies lourdes. Sans compter la transparence de la gestion et la rapidité des traitements des dossiers par les agences et les kiosques AMO implantés dans un premier temps à Casablanca. La CNSS reçoit 11 695 dossiers par jour et assure un délai de remboursement de 31 jours alors que le délai réglementaire est de 90 jours.  

Pour une meilleure accessibilité aux soins, la CNSS a mis en place le ticket modérateur pour les médicaments. Ce qui n’est pas du goût de certains pharmaciens…

La mise en place du ticket modérateur est une initiative de la CNSS pour une meilleure accessibilité aux soins de nos assurés. Nous avons signé une convention ouverte avec les pharmaciens afin de prendre en charge les dépenses médicaments et ce mécanisme revêt une grande importance pour les médicaments coûteux. Le patient présente son ordonnance au pharmacien, récupère ses médicaments et le pharmacien est payé par la CNSS dans un délai de 12 jours à partir du jour de la remise de la facture à la caisse. Aujourd’hui, un millier de pharmacies ont adhéré à ce système.

Quel est le coût de cette prise en charge des médicaments pour la CNSS ?

En 2014, nous avons accordés 14 600 prises en charge au profit de 4 094 bénéficiaires. Nous avons payé 160 MDH pour 13 723 factures présentées par 897 officines.   

Depuis 2005, l’offre AMO a connu une extension des prestations mais on ne peut parler de l’extension de la population des bénéficiaires puisque l’application de l’article 114 de la loi 65-00 est toujours suspendue. Que pensez-vous de la situation actuelle ? Les entreprises qui n’ont pas encore basculé sont-elles selon vous dans l’illégalité ?

L’entrée en vigueur de l’article 114 dépend de la décision de l’autorité administrative compétente. Ceci dit, la CNSS est aujourd’hui prête à accueillir cette population qui est estimée à 500000 personnes relevant de 3800 entreprises non affiliées AMO. Le point de vue de la CNSS est le suivant : il faut que le basculement se fasse pour être en cohérence avec la loi qui vise une couverture médicale généralisée à la totalité des salariés. Ceci étant, la CNSS, pour des raisons de pérennité, n’a pas besoin de cette population. Techniquement, il faut que la CNSS et les assureurs privés puissent, au préalable, mettre en place une plate-forme cohérente d’échanges entre la couverture de base et la complémentaire afin que l’assuré n’ait qu’un seul interlocuteur qui s’appellerait CNSS. Le basculement vers l’AMO entraînerait des besoins importants de couverture complémentaire et constitue un relais de croissance pour les assureurs privés.

Outre le cas de l’article 114, il y a également les indépendants qui sont toujours en dehors du régime. Où en est la couverture de cette frange de la population ?

Le chantier est lancé par le gouvernement, comme vous le savez, depuis plusieurs mois. L’extension de l’AMO aux indépendants concerne 6 millions de personnes éligibles. Mais il faut souligner que la couverture de cette catégorie d’assurés doit respecter le principe de l’obligation et de la progressivité. Aujourd’hui, le travail a permis d’élaborer la loi cadre qui sera examinée lors de cette session parlementaire et l’objectif du gouvernement est de procéder aux premières adhésions avant la fin de 2015 ou au plus tard au début de 2016.

C’est un engagement de la CNSS ?

Cela devrait être possible pour les professions organisées. Les autres suivront au fur et mesure en fonction de leur degré d’organisation pour répondre au principe de généralisation auquel doit répondre le régime de l’AMO.