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Affaires

Remous dans les ports : les dessous d’une histoire de gros sous

Enjeu de la bataille, la manne d’un milliard de DH de chiffre d’affaires que devront se partager l’ex-Odep et les sociétés privées.
Les négociations butent sur le partage du portefeuille manutention.
La tension risque de persister.

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A l’approche de l’entrée en vigueur de la loi portuaire, le 3 décembre 2006, le ton est monté d’un cran entre le ministère de l’équipement et du transport et les compagnies maritimes. Objet de la discorde : le partage de l’activité de manutention dans l’enceinte du port de Casablanca, et donc du chiffre d’affaires, entre les intervenants. D’un côté, on trouve la Sodep, née de l’éclatement de l’ex-Odep (Office d’exploitation des ports) en deux entités, et de l’autre, Consoport, émanation d’une compagnie maritime privée, l’IMTC, et de la Comanav, compagnie nationale appelée à être privatisée dans les plus brefs délais. Sur la ligne de front : les dockers, environ 2 000 personnes dans les principaux ports du Maroc dont 1 200 environ dans le seul port de Casablanca, regroupés sous la houlette de l’Association des agents maritimes consignataires de navires et stevedores du Maroc (Assamat) où le syndicat UMT est largement dominant.

Pour comprendre les raisons de ce bras de fer, il faut rappeler deux objectifs visés par la nouvelle loi, en l’occurrence l’instauration d’une concurrence saine entre les ports du Royaume et l’introduction de «l’unicité» dans la manutention dans l’enceinte des ports, sachant que, jusqu’à aujourd’hui, le travail de chargement et de déchargement des bateaux est assuré par les dockers travaillant pour le compte de sociétés privées, alors que le travail sur les quais, y compris le stockage, est assuré par l’Odep. Dès l’entrée en vigueur de la loi, les armateurs auront donc affaire à un seul intervenant pour charger ou décharger la marchandise et éventuellement la stocker.

Les syndicats estiment que le gouvernement les a «menés en bateau»
Or, de source digne de foi, l’activité à terre, c’est-à-dire sur les quais, générait pour l’Odep un chiffre d’affaires de 800 millions de dirhams, alors que le chiffre d’affaires de l’activité sur les bateaux ne dépasse guère les 300 millions de dirhams. La question revient donc à se demander comment partager ce gâteau entre les sociétés de manutention dans le port, entre le privé et le public. La proposition du ministère de tutelle aurait été d’attribuer un quai et un terminal pour chaque partie. Ce qui n’est pas du goût des représentants des compagnies maritimes : les quais ne sont pas de la même importance, en tout cas les deux principaux terminaux n’ont pas les mêmes capacités ni en terme d’accueil des bateaux, ni en terme de stockage. Celui proposé à Consorport pourrait, nous dit-on, recevoir jusqu’à 100 000 conteneurs, alors que l’autre, qui reviendrait à Sodep, a une capacité de 600 000 conteneurs. «Quand on sait que le but de la loi est d’instaurer une vraie concurrence entre les opérateurs, on est en droit de se poser des questions sur cette répartition», s’insurge Rezgui Amaallaoui, directeur de l’Assamat. L’esprit de la loi a été violé, renchérit Miloud Moukharik, le numéro 2 de l’UMT. «Nous avons été menés en bateau par le gouvernement durant toutes les étapes de l’élaboration de cette loi et de son adoption par le Parlement. Et si nous avons soutenu le texte de loi, et surtout accepté que le problème du partage de la manutention soit négocié en dehors de cette loi, c’est que nous avons eu la garantie et du ministre de l’équipement et du transport, Karim Ghellab, et du Premier ministre, Driss Jettou, que tous les emplois seraient sauvegardés», explique-t-il.

Le «chacun pour soi» est-il une solution ?
Que faire alors ? Certains émettent le souhait que le portefeuille manutention soit partagé en deux parts égales entre Sodep et Consorport, alors que d’autres préconisent carrément le «chacun pour soi», c’est-à-dire que chaque compagnie manutentionnaire prenne en charge ses propres clients. Or, il s’avère que si la Sodep n’a pas de clients, puisque le travail de l’Odep était cantonné sur les quais, les compagnies privées n’ont pas non plus les moyens de faire des investissements dans des grues et autres matériels lourds, puisqu’elles utilisent actuellement ceux du port, en d’autres termes celui de l’Odep. Ce dernier, syndicats de dockers en tête, tire argument du fait qu’il a construit les ports du Maroc et n’est donc pas prêt à lâcher le morceau.

Dans cette histoire, la Comanav se trouve entre le marteau et l’enclume, même si ses responsables restent très discrets dans ces négociations. En tant que future entreprise privée et actionnaire de Consoport, elle aimerait avoir une part plus importante de l’activité, mais en tant qu’entreprise publique elle ne peut pas afficher la même virulence que son partenaire l’IMTC. L’affaire n’est donc pas près de se dénouer, même si le dialogue n’a pas été interrompu.

Par ailleurs, et c’est peut- être là le fin mot de l’histoire, selon de nombreux spécialistes, le port de Casablanca ne nécessiterait pas plus de 400 manutentionnaires pour tourner à plein régime, au lieu des 1 200 actuellement recensés. Difficile donc d’échapper à un plan social.