Affaires
REACH : la menace sur nos exportations en Europe
A partir de janvier 2009, seuls seront admis dans l’UE les produits chimiques enregistrés auprès des autorités européennes.
Le délai de pré-enregistrement expire le 30 novembre. Peu d’entreprises marocaines en règle.
Le ministère de l’industrie et du commerce tente de sensibiliser mais les chefs d’entreprises sont aux abonnés absents.

C’est dimanche 30 novembre que va expirer le délai accordé par l’Union européenne aux fabricants de produits chimiques et autres articles contenant certaines substances qui exportent sur le marché européen pour déclarer leurs produits et leurs compositions auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA pour European CHemicals Agency). Pour le Maroc, comme pour les autres pays qui exportent sur l’UE, il s’agit là d’un changement majeur en matière de réglementation des échanges commerciaux avec le Vieux Continent.
Cette révolution porte un nom : REACH. C’est l’acronyme de l’appellation en anglais de la nouvelle réglementation européenne pour les produits chimiques « Registration, Evaluation, Authorisation and restriction for Chemicals ».
De quoi s’agit-il exactement? Le principe fondateur de la nouvelle réglementation REACH est simple : il s’agit de contrôler aux frontières de l’UE tous les produits chimiques (soit en l’état soit entrant dans la composition d’articles manufacturés) qui entrent sur le territoire et de n’autoriser que ceux dont les fabricants auront pris le soin de s’inscrire auprès de l’ECHA.
Produits agricoles, agroalimentaires et pharmaceutiques ne sont pas concernés
Tout naturellement, au cours des derniers jours, une grande fébrilité s’est emparée des pays exportateurs vers l’UE. Pourtant, le règlement REACH est entré en vigueur en juin 2007. Il s’agit d’un nouveau processus de gestion des risques qui concerne les substances chimiques et celles contenues dans les préparations et les articles. Ce processus passe par un enregistrement des substances importées, fabriquées et mises sur le marché dans l’Union européenne.
Une précision s’impose à ce niveau déjà : la réglementation REACH ne s’applique pas aux produits agricoles, agroalimentaires et pharmaceutiques, entre autres, et de manière générale aux produits qui font l’objet de réglementations spécifiques en Europe. Reste tous les autres.
Si, de prime abord, la nouvelle réglementation ne peut être que louable puisque voulue par l’UE comme un moyen de protéger la santé des consommateurs et de l’environnement grâce au principe de la traçabilité et d’encouragement à l’abandon de substances nocives, c’est en allant dans les détails concrets du fonctionnement du dispositif qu’on se rend compte de sa complexité et surtout de la menace qu’il présente pour ceux qui exportent vers l’Europe dont, bien entendu, le Maroc.
Pour résumer le fonctionnement de REACH, on peut dire tout simplement qu’il s’agit d’un visa à l’entrée pour les produits chimiques concernés. Entrée en vigueur en juin 2007, la nouvelle réglementation REACH avait donné 18 mois comme délai aux opérateurs, qu’ils soient européens ou étrangers, pour se pré-enregistrer soit au plus tard le 30 novembre prochain. Une fois pré-enregistré, le fabricant ou l’exportateur dispose d’un délai compris entre 3 et 8 ans pour compléter, toujours auprès de l’Agence européenne pour les produits chimiques, son dossier technique qui retrace avec exactitude la composition des produits vendus sur le sol européen avec une évaluation précise de la nocivité des produits chimiques contenus. Cette phase d’instruction du dossier est ce qu’on appelle, dans le jargon REACH, l’enregistrement. Et entretemps, il continuera d’exporter sur l’Europe normalement en fournissant, bien sûr, les codes correspondant aux substances qu’il aura pré-enregistrées. Mais, à défaut de pré-enregistrement, les produits chimiques et substances en question seront tout simplement interdits d’entrer dans l’UE avant d’être enregistrés.
OCP, SNEP, CPCM…, seuls les grands ont pris les devants
Autant dire que l’impact risque d’être de taille pour beaucoup d’industriels marocains. Les premiers secteurs concernés sont la chimie et parachimie mais également une multitude d’autres industries et de produits que le Maroc fabrique et exporte sur l’Europe : l’automobile, l’artisanat, la production de stylos, la plasturgie, la cosmétique, les produits d’hygiène et de propreté, les cirages, les bougies…
Les entreprises marocaines se sont-elles préparées à la révolution REACH ? Il semble, malheureusement, que non et ils risquent d’être nombreux à se voir refouler leurs marchandises aux frontières européennes à partir de janvier 2009.
Aujourd’hui, il est presque impossible de connaître le nombre d’entreprises marocaines pré-enregistrées et donc en règle avec la nouvelle réglementation. Mais tout porte à croire qu’elles ne sont pas nombreuses. La preuve : les nombreux séminaires et sessions de formations organisés, à ce sujet, par le ministère de l’industrie et du commerce depuis un an au moins, n’ont pas connu une grande affluence des chefs d’entreprises. Pas plus tard que les 18 et 19 novembre, le ministère a fait venir spécialement de France un groupe d’experts et de consultants pour tenter une dernière fois de sensibiliser les industriels et de les assister dans la procédure complexe de pré-enregistrement. Mais selon le secrétaire général du ministère, Bousselham El Hilia, elles ont été à peine une douzaine d’entreprises à avoir répondu à l’appel. Au ministère mais également auprès de certains organismes travaillant sur la sensibilisation des entreprises marocaines aux enjeux de REACH, dont la CGEM, la GTZ et autres, le constat est le même : les chefs d’entreprises marocaines ne semblent pas encore mesurer la gravité de la chose alors que, potentiellement, ils devraient être nombreux à être directement concernés par la nouvelle réglementation européenne.
Comme d’habitude, ce sont les grosses entreprises organisées qui tirent leur épingle du jeu à l’heure actuelle. Au ministère, on signale ainsi que quelques-unes ont pris les devants. L’OCP qui fabrique l’acide phosphorique, la SNEP spécialisée dans le PVC, ou encore de grands fabricants de produits chimiques comme la Compagnie des produits chimiques du Maroc (CPCM), entre autres, sont pré-enregistrées. Khalid Lahlou, vice-président de la Fédération de chimie et parachimie (FCP), se veut, pour sa part, rassurant et estime que «la plupart des entreprises affiliées à la fédération sont en règle». Quid des autres ? Inutile de chercher à connaître, ne serait-ce qu’approximativement, le nombre d’entreprises marocaines pré-enregistrées car, comme l’explique un responsable au ministère de l’industrie, «la procédure se déroule strictement entre l’entreprise et les autorités européennes, impossible donc de savoir si une entreprise est pré-enregistrée ou non si elle n’en fait pas une communication officielle».
Passer directement à la procédure d’enregistrement
Mais maintenant que le délai de pré-enregistrement expire ce dimanche 30 novembre, que peut-on bien faire ? Rien, malheureusement. Lotfi Halfaoui, expert algérien de passage à Casablanca pour une session de formation au sujet de REACH pour le compte du Réseau des entreprises maghrébines pour l’environnement (REME), est plutôt pessimiste. «Les Européens ont accordé un délai suffisamment long de 18 mois et ils appliqueront sans aucune dérogation les nouvelles normes à compter du 1er janvier 2009». Une réponse à ceux au Maroc qui croient ou du moins espèrent obtenir une rallonge temporelle de la part de l’UE. Autrement dit, on risque d’avoir de grosses surprises en janvier 2009. Toutefois, pour le ministère de l’industrie et du commerce, tout n’est pas perdu et le département promet «de ne pas laisser tomber les entreprises qui ne sont pas pré-enregistrées». Pour cela, le ministère fera venir un expert qui élira domicile dans les locaux du Centre marocain de production propre (CMPP) pendant 4 à 6 semaines et qui aura pour mission d’assister les entreprises pour passer directement à la procédure d’enregistrement. Laquelle procédure requiert effectivement assistance tant elle est longue, complexe et extrêmement technique. En plus, et c’est là encore un problème de taille, pour enregistrer leurs substances chimiques auprès des autorités européennes, les producteurs et exportateurs marocains, comme tout le monde d’ailleurs, devront payer des redevances en fonction des tonnages exportés et du degré de nocivité des produits, pouvant parfois atteindre des sommes astronomiques. Simple exemple donné par M. Lahlou de la FCP : l’enregistrement d’un produit phytosanitaire peut coûter jusqu’à 7 à 8 million de dollars. Bien entendu, ce n’est pas le cas de tous, les redevances étant indexées, entre autres, sur le volume exporté chaque année.
Mais il n’y a pas que l’aspect financier qui pose problème. Pour s’enregistrer sur les fichiers de l’Agence européenne pour les produits chimiques, les industriels marocains doivent faire un véritable parcours du combattant depuis l’identification de toutes les substances qu’ils manipulent, sans exception, jusqu’à la réalisation de rapports scientifiques et analyses de laboratoires poussées pour faire connaître les effets de chacune d’elles en passant par l’accomplissement de démarches administratives en Europe pour trouver des représentants, les seuls habilités à déposer le dossier auprès de l’agence européenne. Bref, un véritable labyrinthe dont beaucoup d’industriels marocains risquent de ne pas sortir indemnes. Et, gare aux mauvaises surprises en janvier prochain !
