Affaires
Rachid Talbi Alami : le gouvernement n’avait pas le choix
Le gouvernement hésite encore à adopter le principe de l’indexation.
Hausse des prix du sucre, des carburants et autres produits… Le ministre
des affaires économiques et générales explique les contraintes.
Le gouvernement pris entre le souci de préserver le pouvoir d’achat
des citoyens et la contrainte budgétaire.

Rachid Talbi Alami
Ministre délégué chargé des affaires économiques et générales
Si nous avions opté pour l’indexation, il aurait fallu augmenter à nouveau les prix du carburant le 15 septembre.
La Vie éco : A la veille de la rentrée, des augmentations qui ont touché deux produits sensibles : les produits pétroliers et le sucre. N’était-il pas possible de reporter cette décision ?
Rachid Talbi Alami : Pour le sucre particulièrement, nous avions la préoccupation d’assurer l’approvisionnement normal du marché pour une matière très consommée au Maroc. En 2006, nous avons connu des difficultés à ce niveau. Nous avons dû pour cela supprimer les équivalents tarifaires. Une opération qui a coûté 900 MDH aux caisses de l’Etat afin qu’on puisse maintenir l’équilibre des prix. A cela, nous avons ajouté 200 MDH décaissés pour amortir le choc produit par la flambée des cours internationaux qui sont passés d’une moyenne de 200 dollars la tonne à 530 dollars. Soit un total de 1,1 milliard de DH, en plus des deux milliards décaissés en temps normal pour le sucre. Cette difficulté est née de deux facteurs. D’abord, les pays producteurs de sucre à base de canne se sont convertis en producteurs d’éthanol, pour les besoins énergétiques. Ensuite, nous avons constaté une diminution du périmètre semé en betterave au Maroc alors que la production nationale répond à 47% de nos besoins.
Une baisse de production locale ! pourquoi ce problème ?
Les agriculteurs renoncent à cette culture car ils ne s’en sortent plus au niveau des coûts. Pour les encourager à maintenir cette activité et élargir les périmètres, il fallait un soutien. Les caisses de l’Etat ne peuvent plus supporter de charges supplémentaires. La hausse de 35 centimes/ kg a donc été répercutée sur le consommateur. Notre objectif est de collecter ce surplus et de le reverser au paysan-producteur. La tonne de betterave payée aujourd’hui entre 220 DH et 380 DH va augmenter, en fonction des périmètres, de 30 à 65 DH. Si nous avions voulu appliquer les prix réels du marché, l’augmentation du prix du sucre aurait été de 4 à 5 DH/kg et non pas de 35 centimes.
Le gouvernement n’a-t-il pas pour devoir de veiller à sauvegarder le pouvoir d’achat des citoyens ?
Le devoir du gouvernement est de réguler le marché, mais il a également pour responsabilité de réguler la caisse de l’Etat. La charge est aussi insupportable pour le consommateur que pour l’Etat. Les charges de compensation ont explosé. Les prix des matières premières à l’international, cuivre, fer, bitume, pétrole, café, sucre, thé, des produits aussi bien agroalimentaires qu’industriels… ont connu des hausses. A l’origine, on retrouve toujours le pétrole. Comme d’autres pays, nous sommes importateur d’énergie, ce qui se répercute sur le consommateur et le pouvoir d’achat. Ce n’est pas si simple. Nous suivons de près les indicateurs et nous évaluons l’impact de chaque décision.
En attendant, le consommateur trinque !
Comment faire ? La charge de compensation est passée de 2 milliards de DH en 2002 à 12 milliards de DH en 2006, et l’on prévoit 19 milliards de DH pour 2007. Qui va payer tout cela ? Les opérateurs pétroliers sont dans de grandes difficultés. Trois ou quatre d’entre eux seulement, notamment des multinationales, sont en mesure aujourd’hui d’importer car les banques les suivent. Que faire des compagnies marocaines, des petits qui doivent faire face à d’importants besoins en fonds de roulement ?
Mais, aujourd’hui, le problème ne se pose plus puisque vous allez répercuter les augmentations sur le prix à la pompe par le biais de l’indexation…
Le retour à l’indexation n’est pas encore définitivement arrêté. Je n’ai pas encore signé l’arrêté qui le décrète. Le 2 septembre, le jour o๠nous avions appliqué l’indexation, le baril était à 68 dollars. Aujourd’hui, il est à 73 [l’entretien a été réalisé mardi 5 septembre, ndlr]. Si on suit cette logique, nous devrions procéder à une augmentation le 15 septembre. Nous ne pouvons pas le faire pour le moment.
Vous êtes pour une suppression de la compensation ?
L’argent de la compensation pourrait aller au développement des régions les plus pauvres. Avec 2 milliards de DH par région qui serviront à leur mise à niveau, on pourrait changer les conditions de vie des citoyens. Nous avons besoin de suspendre la compensation deux ans seulement et d’allouer son budget au développement régional pour ne plus en avoir besoin, mais le contexte actuel ne le permet pas. Le problème de la compensation devait être réglé il y a cinq ans, lorsque les prix étaient assez bas. Aujourd’hui, ce n’est pas possible. La conjoncture internationale est très difficile. Nous n’avons pas de chance. Si les prix du pétrole reviennent à 30 dollars, nous le ferons…
Croyez-vous sérieusement à cette hypothèse ?
Tout est possible. J’y crois.
Pour maintenir le pouvoir d’achat, le gouvernement n’explore-t-il pas la piste d’une révision du SMIG ?
Nous avons procédé à cette augmentation avant de décider celle des prix. La première décision du gouvernement a été la révision de l’ensemble des salaires aussi bien pour le secteur public que privé. La compétitivité des entreprises doit être prise en compte. Les salaires sont des éléments des coûts de revient.
En parlant de compétitivité. La prochaine Loi de finances prévoit-elle une baisse de la pression fiscale ?
La réforme fiscale est un processus très long mais qui est déjà entamé. Cependant, nous ne pouvons pas brusquer le changement. Il faut aller progressivement. Cette année, nous voulons réformer la fiscalité locale à travers des fusions et diminutions de taux. Nous pensons ramener le total des taxes locales à 7 ou 8 seulement.
Avec toutes ces contraintes, le montage de la Loi de finances doit être particulièrement douloureux…
Il l’est effectivement. Les prévisions établies avant la dernière augmentation des produits pétroliers établissaient la charge de la compensation à 19 milliards de DH, soit l’équivalent du budget d’investissement. L’augmentation du 2 septembre nous a permis d’économiser à peine 2,1 milliards de DH.
