Affaires
Quotas de «farine nationale de blé tendre» : qui aura combien ?
Avec le réajustement des quotas par région, l’Etat a pu économiser 12% sur le volume global de FNBT distribué Sur 128 moulins concernés, 95 ont vu leurs quotas diminuer.
La réforme de la farine nationale de blé tendre (FNBT) est lancée. Il s’agit d’assurer un meilleur ciblage à ce produit hautement symbolique et qui coûte à l’Etat 2 milliards de DH par an, en vue, comme cela a été maintes fois rappelé, de réajuster les dotations de FNBT en fonction des zones de pauvreté telles que révélées par la cartographie de la pauvreté établie par le Haut commissariat au plan (HCP).
Le résultat de ce réajustement est que certaines provinces et préfectures verront leurs quotas de FNBT diminués, tandis que d’autres en recevront davantage que par le passé (voir tableau). De ce réajustement, il résulte déjà un premier effet, en terme de charge de compensation, à savoir une sensible diminution du contingent global (-12 %), alors même que la couverture des besoins est plus complète et plus équitable.
En effet, l’ensemble des communes concernées par le programme Initiative nationale pour le développement humain (INDH) sont désormais couvertes par le programme de répartition de la FNBT et le déséquilibre au profit des villes qui caractérisait l’ancienne carte de distribution de la farine subventionnée est corrigé en faveur de la campagne, lieu de concentration de la pauvreté (voir La Vie éco du 18 juillet).
Les minotiers subissent également l’impact de ce réajustement. Sur 128 moulins opérationnels, seuls 23 bénéficient des mêmes quotas que par le passé ; et encore, il s’agit de quotas peu importants, ne dépassant pas, pour chacun, 2500 quintaux par mois.
Deux moulins ont vu leur quota augmenter, tandis que huit autres seront approvisionnés en blé destiné à la FNBT pour la première fois. Pour le reste des moulins, soit 95, le comité technique qui arrête le contingent mensuel a diminué les quotas de façon plus ou moins importante, selon les cas. Les moulins qui ont vu leur part de la FNBT baisser de façon substantielle étant pour la plupart situés à Casablanca. Il faut dire que ce sont ceux-là, paradoxalement, qui recevaient jusque-là plus de FNBT que les autres. Par conséquent, même avec ce réajustement, leurs quotas demeurent relativement importants.
Des meuniers vont essuyer une baisse de leur chiffre d’affaires
Même si, globalement, les professionnels ont relativement bien accueilli cette nouvelle répartition de la FNBT, il faut néanmoins signaler que pour certains, cela ne manquera pas de rogner leur chiffre d’affaires. Pourquoi ? Parce que, explique-t-on dans le milieu meunier, «la FNBT est un produit d’appel pour vendre la farine de luxe».
Logique commerciale oblige, grâce à un sac de FNBT, des commerçants arrivent à vendre 1,5 à 2 sacs de farine libre. Par ailleurs, et c’est un secret de polichinelle, des commerçants n’hésitent pas à pratiquer une sorte de péréquation entre les deux produits, augmentant légèrement l’un (la FNBT) parce que bon marché, et baissant le prix de l’autre (farine libre) parce que un peu plus cher. C’est pour cette raison que non seulement la FNBT est difficilement trouvable, mais même lorsqu’on en trouve, elle coûte plus cher que son prix officiel, qui est de 2 DH.
Le bémol des minotiers
D’ailleurs, c’est partant de ce constat – de vente conditionnée – que la profession meunière met un léger bémol quant à son appréciation positive de la réforme. Et ce bémol s’exprime sous forme d’interrogations, comme celles-ci : est-ce que le ciblage d’une commune, par exemple, signifie forcément que la FNBT destinée à celle-ci sera commercialisée au profit des habitants de cette commune ?
Le commerçant ou grossiste, au nom de la logique mercantile (vente conditionnée), ne sera-t-il pas tenté de vendre son quota ou une partie de son quota hors de sa commune, à des clients fidèles, capables de supporter justement la vente conditionnée ? C’est par rapport à ces appréhensions que les professionnels souhaitent carrément le retrait de la FNBT du circuit commercial, pour la confier à des relais institutionnels, comme l’Entraide nationale ou la fondation Mohammed V par exemple.
Mais ce serait alors créer toute une logistique qui compliquerait le système et alourdirait les charges, au moment même où l’Etat cherche, au contraire, à s’affranchir de certaines pesanteurs, à dépoussiérer les circuits, en somme à mieux gérer les deniers publics.
En réalité, cela se fait déjà dans certaines régions, où ce sont les autorités locales qui se chargent de la répartition de la FNBT, indique une source à l’Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses (ONICL), tout en reconnaissant que ce dispositif est, néanmoins, difficile à dupliquer dans d’autres régions.
En tout état de cause, le recours à des organisations non-gouvernementales (ONG) pour la distribution de la FNBT est aujourd’hui à l’étude. Mais la réflexion, en fait, s’inscrit dans le deuxième temps de la réforme, celui de la décompensation et du ciblage encore plus précis des populations nécessiteuses, en tenant compte des expériences étrangères, notamment celles des pays d’Amérique latine où de hauts fonctionnaires viennent d’effectuer des missions d’études.
Et ce n’est qu’après la mise en œuvre de cette phase de la réforme qu’il sera possible non seulement de baisser substantiellement le niveau de la subvention, mais aussi d’assécher les sources de certaines pratiques à la limite de la légalité.