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Qui contrôle vraiment le travail de Bank Al-Maghrib ?

Les Finances et la Cour des comptes, contrôlent sa gestion mais ne peuvent juger la conduite de la politique monétaire. Jusque-là  aucune obligation de rendre compte aux députés. La politique monétaire est entérinée par un Conseil au sein duquel seules les personnes indépendantes ont droit au vote.

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Jouahri Abdellatif Bank Maghreb 2012 01 27

A l’heure où les banques centrales du système monétaire mondiale sont devenues des acteurs clés et affirment leur poids dans la résolution des crises économiques et financières, la question de leur contrôle se pose avec acuité. Au Maroc, la loi 76-03 du 23 novembre 2005, portant statut de Bank Al-Maghrib, a consacré une indépendance totale, à la fois financière et décisionnelle, de cette institution vis-à-vis du pouvoir exécutif et législatif. Cette indépendance, de même que les nouvelles missions et attributions apportées par les nouveaux statuts, notamment l’objectif d’assurer la stabilité des prix, a fait converger la gouvernance de la banque vers les meilleures pratiques internationales en la matière. D’ailleurs, les banques centrales des pays européens bénéficient d’autant d’autonomie et jouissent des mêmes pouvoirs. Seulement, dans tout système démocratique, l’indépendance doit être contrebalancée par la responsabilité afin de garantir un équilibre des pouvoirs. Et ce, d’autant plus quand il s’agit d’une institution dont les prérogatives sont majeures, qui émet la monnaie du pays, qui gère sa politique monétaire, qui détermine les rapports entre la devise nationale et les devises étrangères et qui supervise son système bancaire et financier.
En Europe, tout comme aux Etats-Unis, en Angleterre ou encore en Tunisie et en Turquie, les banques centrales sont tenues d’informer de l’ensemble de leurs actions, surtout en matière de politique monétaire, le chef de l’Etat et les députés de la nation. Au Maroc, il en est autrement. Le gouverneur de Bank Al-Maghrib se contente d’un rapport annuel adressé au chef de l’Etat, mais il n’en discute pas avec le Parlement. Certes, il peut être entendu par les commissions permanentes chargées des finances des deux Chambres, à leur demande, mais, important à signaler, il n’a pas à s’expliquer sur sa politique monétaire.
Une situation bien particulière qui suscite des interrogations de taille : Bank Al-Maghrib échappe-t-elle à la responsabilité devant les élus de la nation et le public en matière de conduite de la politique monétaire ? Son action est-elle contrôlée ou pas par un quelconque organe public ? Et, surtout, pourquoi le Maroc n’a-t-il pas adopté la même logique que les pays européens en matière de responsabilité devant le Parlement de la banque centrale alors qu’en termes de mode de gouvernance et de prérogatives de la banque, il a adopté la totalité des pratiques internationales ?
En fait, la problématique du contrôle de Bank Al-Maghrib remonte déjà à 2005, année de l’adoption des nouveaux statuts de l’institution. Elle a trait à la Constitution, et, vu que cette dernière a été modifiée, des nouveautés se profilent en la matière. Mais avant d’expliquer la situation et son évolution, il est utile de connaître l’étendue des pouvoirs de la banque centrale pour comprendre les enjeux.

Bank Al-Maghrib décide du coût de l’argent à travers ses instruments de politique monétaire

Tel que précisé dans ses statuts, Bank Al-Maghrib exerce le privilège d’émission des billets de banque et des pièces de monnaie ayant cours légal au Maroc. Elle arrête et met en œuvre les instruments de politique monétaire (taux directeur et réserve monétaire obligatoire) dans le but d’assurer la stabilité des prix.
A titre d’exemple, elle peut augmenter le taux directeur, autrement dit le coût de référence de la location de l’argent au Maroc, pour faire face à une poussée d’inflation ou réduire le niveau de la réserve monétaire obligatoire des banques si ces dernières ont besoin de liquidités pour continuer à financer l’économie. A ce titre, elle veille au bon fonctionnement du marché monétaire et assure son contrôle. Elle s’assure également du bon fonctionnement du système bancaire, contrôle l’activité des établissements de crédit. Enfin, elle détermine les rapports entre le dirham et les devises étrangères dans le cadre du régime de change et de la parité du dirham fixés par la loi, gère les réserves en devises du Maroc et veille au bon fonctionnement et à la sécurité des systèmes de paiement. Par ailleurs, Bank Al-Maghrib a d’autres missions parallèles. Il joue notamment le rôle de conseiller financier du gouvernement, d’agent du Trésor pour ses opérations à l’étranger et participe à la négociation des accords financiers internationaux du Maroc, comme il peut être chargé de leur exécution.
Toutes ces missions sont d’une importance majeure. Leur exécution touche l’ensemble des agents économiques du pays, de l’Etat aux particuliers en passant par les entreprises et les institutions financières. Echappent-elles toutes au contrôle ?
En fait, Bank Al-Maghrib est bien tenue de rendre compte à trois organes différents. Il y a en premier lieu le commissaire du gouvernement qui a historiquement été le secrétaire général du ministère des finances et qui est membre du conseil de la banque. Il contrôle pour le compte de l’Etat les activités de la banque et veille au respect par celle-ci des dispositions législatives régissant ses activités, en particulier les dispositions de ses statuts. Il reçoit l’ensemble des procès-verbaux des séances du conseil et des délibérations et peut exiger toute pièce qu’il estime devoir consulter.
En second lieu, il y a le contrôle de gestion de la Cour des comptes, Bank Al-Maghrib étant une entreprise publique. Un rapport est produit annuellement et adressé à la cour, contenant les comptes de la banque et les procès-verbaux de son conseil relatifs au budget et au patrimoine de la banque. Le troisième contrôle est, lui, assuré par des commissaires aux comptes indépendants qui procèdent à un audit annuel et à une certification des comptes de Bank Al-Maghrib.
Cela dit, la mission qu’on peut qualifier de la plus importante, à savoir la conduite de la politique monétaire, échappe à tout contrôle. Dans l’article 50 des statuts de Bank Al-Maghrib, il est précisé que le commissaire du gouvernement contrôle les activités de la banque sauf en ce qui concerne les opérations de la politique monétaire. Il est aussi stipulé que ce commissaire peut exiger que toutes les décisions du conseil de la banque fassent l’objet d’une seconde délibération avant leur exécution, mais autres que celles relatives à la politique monétaire. Quant à la Cour des comptes et les commissaires aux comptes, la politique monétaire n’entre naturellement pas dans leur champ de contrôle.
Cela veut-il dire que Bank Al-Maghrib décide de la politique monétaire à mener et l’exécute sans rendre compte à personne ?
D’abord, la politique monétaire n’est pas fixée par le gouverneur de la banque tout seul. C’est un conseil, au sein duquel seuls les membres indépendants de tout courant politique ou exécutif ont le pouvoir de délibérer sur les décisions à prendre en la matière.
Ensuite, l’indépendance de la banque et de son Conseil ne veut pas dire que celle-ci n’entretient aucun rapport avec les autres institutions publiques du pays, notamment le pouvoir exécutif. De fait, l’objectif de stabilité des prix, mission fondamentale de la banque, est arrêté, selon ses statuts, en concertation avec le ministre chargé des finances. En plus, Bank Al-Maghrib a l’obligation statutaire d’accomplir ses missions dans le cadre de la politique économique et financière du gouvernement, sans toutefois porter préjudice à l’objectif de stabilité des prix.

Le gouverneur de Bank Al-Maghrib ne peut être entendu à sa demande par le Parlement

On peut dire donc que Bank Al-Maghrib assure ses missions en parfaite concertation avec l’Exécutif. De plus, les membres du conseil de la banque sont nommés par le chef de l’Exécutif (voir encadré ci-dessous). Mais pourquoi alors son gouverneur n’est pas tenu, à l’instar des dirigeants des autres institutions publiques, de rendre compte de la politique monétaire devant le Parlement ?
De sources autorisées au sein de Bank Al-Maghrib, l’institution n’avait et n’a toujours aucune objection à présenter ses rapports de politique monétaire devant le Parlement et à en débattre. Le projet des nouveaux statuts de la banque, présenté au Parlement en 2005, incluait même un article (n° 58), qui stipulait que le gouverneur de la banque peut être écouté par les commissions permanentes des deux Chambres chargées des finances, à la demande de ces dernières ou à l’initiative du gouverneur, sur les questions relatives à la politique monétaire et à l’activité des établissements de crédit.
Or, c’est le Conseil constitutionnel qui a déclaré incompatibles avec la loi suprême les dispositions de cet article, arguant que le gouverneur de la banque ne peut, selon la Constitution (l’ancienne), assister aux séances des deux Chambres et aux réunions des commissions permanentes comme les membres du gouvernement, et que Bank Al-Maghrib, de par son indépendance et l’étendue de ses missions, ne peut être considérée comme l’une des institutions publiques mentionnées dans la Constitution et devant être entendues par le Parlement.
L’article 58 des statuts de la banque n’a donc pas été adopté, mais le Conseil constitutionnel a laissé la possibilité aux commissions chargées des finances, dans leur mission de préparation du travail législatif qui peut nécessiter l’accès à certaines données, de demander à entendre le gouverneur de Bank Al-Maghrib, en informant le ministre chargé des finances, mais pas en ce qui concerne la politique monétaire, question qui relève, elle, de la seule compétence du conseil des ministres.
Ce ne sont donc pas les instances de Bank Al-Maghrib ou le ministère des finances, ayant planché à l’époque sur l’élaboration des nouveaux statuts de la banque, qui n’ont pas souhaité introduire la possibilité que le Parlement puisse auditionner le gouverneur sur la politique monétaire du pays. Et il faut savoir qu’en matière de transparence de la banque centrale, une grande avancée peut être constatée, dans la mesure où les décisions de politique monétaire sont expliquées au public, à travers les différents médias, quatre fois par an, à l’occasion de chaque réunion du conseil, et que toutes les données et publications relatives à la conduite de la politique monétaire sont accessibles au public via internet à un rythme régulier.

Le gouverneur de Bank Al-Maghrib désormais nommé par le conseil des ministres sur proposition du chef de gouvernement

Quoi qu’il en soit, avec l’adoption de la nouvelle Constitution, cette question du contrôle de la politique monétaire par le pouvoir législatif a été résolue. D’abord, en ce qui concerne la nomination du gouverneur de Bank Al-Maghrib, celle-ci ne se fera plus par dahir, mais par le conseil des ministres sur proposition du chef de gouvernement. Et pour ce qui est du contrôle des activités de la banque, selon l’article 70 de la nouvelle Constitution, le Parlement a le droit d’évaluer toute politique publique. «La politique monétaire du pays est une politique publique», précise un juriste dans le milieu bancaire. De plus, dans son article 101, la Constitution va plus loin et précise que le Parlement doit réserver une séance annuelle à la discussion et à l’évaluation des politiques publiques. Et dans l’article 102, la loi suprême donne carte blanche aux commissions du Parlement  pour auditionner tous les responsables des administrations et des établissements et entreprises publics, en présence et sous la responsabilité des ministres dont ils relèvent. D’une source autorisée au sein de la banque centrale, même si celle-ci bénéficie d’une indépendance, son gouverneur pourra être auditionné par les commissions chargées des finances après information du ministère des finances.
Pour leur part, les Parlementaires ont intégré cette possibilité permise par la nouvelle Constitution, d’abord dans le règlement intérieur de la première Chambre, voté mi-janvier.
Du côté de Bank Al-Maghrib, des sources bien informées affirment qu’un projet de nouveaux statuts de la banque centrale est déjà en cours de préparation avec les équipes du ministère des finances. Toujours selon les mêmes sources, l’article, qui stipulait que le gouverneur de la banque peut être écouté par les commissions permanentes des deux Chambres chargées des finances, à sa demande ou à l’initiative des commissions, pourrait être réintroduit.
Finalement, en attendant de voir Abdellatif Jouahri s’exprimer devant le Parlement sur les questions de la politique monétaire, il y a lieu de reconnaître que la travail de Bank Al-Maghrib en matière de régulation monétaire et de supervision bancaire a été efficace. Ce travail est même salué par des institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale. Car quand on sait que malgré la plus grave crise qui a touché le monde, l’assèchement des liquidités et le ralentissement du crédit après une période d’euphorie, le coût de l’argent est resté quasiment stable durant ces trois dernières années, on ne peut que qualifier la régulation du système monétaire par Bank Al-Maghrib de performante. Mais le contrôle reste toujours nécessaire, ne serait-ce que pour le principe démocratique.

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