Affaires
Qualité des logements : l’anarchie totale
Si les promoteurs s’acquittent aujourd’hui du minimum exigible pour garantir la sécurité, beaucoup reste à faire en matière de qualité. Fissures, humidité, absence d’isolation phonique et thermique…, les vices sont nombreux même dans le haut standing.
Rares sont les occupants de logements au Maroc qui peuvent se dire pleinement satisfaits de la qualité de leurs habitations. Entre les défauts dont on s’accommode tant bien que mal (absences d’isolation phonique et thermique, peinture qui se craquelle, humidité…) et ceux plus inquiétants (fissures aux murs…), il y a effectivement de quoi être frustré. Et ce ne sont pas les architectes et bureaux d’études qui diront le contraire. «Si les habitations au Maroc s’acquittent aujourd’hui du minimum de qualité exigible pour garantir la sécurité, beaucoup reste à faire en matière de confort», expliquent ces professionnels.
Il faut dire que les exigences en matière de stabilité des ouvrages sont encadrées par un imposant arsenal juridique, dont le non-respect est passible de lourdes sanctions pénales. A l’inverse, un vide persiste autour des exigences minimales à respecter en termes de confort. Dès lors, «l’immobilier au Maroc étant d’abord un marché de prix, les promoteurs visent avant tout la réduction des coûts de construction, ce qui nuit dans la majorité des cas au confort», s’empresse-t-on de justifier. Certes, fabriquer des logements confortables coûte plus cher mais plusieurs malfaçons dans les biens immobiliers peuvent être attribuées à des défauts dans le processus de conception ou encore au mode d’exécution des travaux de construction.
Les cachets de certains architectes se louent et des plans préconçus sont vendus !
Les architectes, les bureaux d’études, les laboratoires de contrôle et les topographes sont généralement les principaux intervenants dans la phase de conception. «Déjà, cela reste nettement moindre par rapport au nombre de corps de métier qui interviennent dans un projet immobilier dans les pays développés. Ils peuvent dépasser la centaine…», assure un professionnel. Et encore, le recours à tous ces organismes reste l’apanage d’une petite frange de développeurs de projets qui réalisent tout au plus 15% des constructions au niveau national, selon les spécialistes. Pour la grande partie des promoteurs, représentant jusqu’à 60% des constructions, même le simple recours à un architecte et à un bureau d’étude est loin d’être acquis. «A vrai dire, ces professionnels sont bien sollicités comme l’impose la loi, mais leur intervention est contenue à une participation de façade», confie un professionnel.
Une pratique sur le marché consiste, en effet, à louer les services d’architectes qui se contentent de signer pour valider des plans élaborés par autrui, ce qui est bien évidemment interdit et sanctionné par la loi. Certains professionnels dénoncent même un business de location de cachets d’architectes. Cela peut donner lieu à des situations cocasses : «A un certain moment, des plans ont été mis en circulation avec le cachet d’un architecte décédé depuis longtemps». Les mêmes dépassements sont observables du côté des bureaux d’études. «Les maîtres d’œuvre se contentent d’avancer un coût de revient cible et réclament du bureau d’études la seule élaboration d’un plan mettant de côté toutes les autres missions pourtant incontournables», dénonce un architecte. Cela marginalise systématiquement les visites de terrain que sont supposés mener les architectes et les bureaux d’études. «Il m’est arrivé de ne rencontrer des clients pour la première fois qu’à l’occasion de problèmes apparus en fin de chantier», avoue un directeur de bureau d’études.
Ceci alors que le suivi est plus qu’indispensable, à voir la réalisation très imparfaite des travaux au niveau des chantiers.
Les exécutants manquent de qualification
«Les erreurs d’exécution sur les chantiers sont tellement nombreuses que c’est toujours un calvaire de faire des visites sur place», confie un architecte. Les exemples cités par les professionnels ne manquent pas. Il peut s’agir d’ouvriers qui n’attendent pas les directives de l’architecte pour vérifier l’agencement d’éléments déterminants (gaines…) et qui avancent quand même dans les travaux. Même quand il s’agit d’installer des pièces complexes (tissu d’isolation thermique…), les ouvriers s’y prennent en suivant leur intuition, quitte à devoir refaire les travaux le plus souvent à la hâte, ce qui peut entraîner l’apparition de défauts. Il faut dire que la formation fait grandement défaut aux exécutants. Faut-il du reste s’en étonner vu l’important taux de rotation parmi la main-d’œuvre dans le secteur du bâtiment qui empêche toute accumulation d’expérience.
L’exécution est d’autant plus exposée à des risques d’erreurs, qui nuisent par la suite au confort des logements, que le travail de planification n’est pas correctement mené. L’exécution des tâches doit en effet obéir, en théorie, à un planning précis qui préserve la qualité du produit fini, comme par exemple la nécessité de respecter le temps de séchage des structures avant d’entamer le second œuvre. Mais dans la pratique, on reste loin d’une telle organisation. Une erreur courante consiste par exemple à poser des faux plafonds avant le revêtement. C’est à se demander avec tout cela comment l’on arrive à produire des logements habitables.