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Programme du gouvernement Benkirane : ambitieux, mais est-il réaliste ?
Il compte élever le rythme de la croissance à une moyenne de 5.5% par an, mais ses prévisions dépendent trop de facteurs exogènes. La réduction du déficit à 3% du PIB suppose une réduction de la compensation et une hausse des recettes fiscales intimement liée à la croissance. Il reste réaliste en termes de création d’emplois.

Il aura fallu un peu plus de deux semaines au gouvernement Benkirane pour peaufiner son programme et le présenter au Parlement en vue d’obtenir son investiture. A l’heure où nous mettions sous presse, mercredi 18 janvier, il était prévu que le passage devant les députés se fasse le jeudi 19 à 11 heures.
Il faut dire que durant toute la période qu’ont duré les préparatifs, les va-et-vient entre l’équipe interministérielle chargée de plancher sur le programme et les départements concernés n’ont pas manqué. Finalisé, lundi 16 janvier, le document de 80 pages environ a dû subir d’ultimes retouches, à la veille du passage devant le Parlement.
Car la difficulté majeure à laquelle doit faire face l’Exécutif est son arrivée dans un cadre conjoncturel difficile, marqué par une crise à l’international alors même que l’on attend beaucoup de lui, surtout en termes de croissance et d’emplois. Or, déjà, les récentes prévisions du FMI ont revu le taux de croissance mondial pour 2012 à la baisse. Pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, par exemple, la richesse créée s’apprécierait ainsi de 3,6% seulement, au lieu de 4% en 2011. En interne, la Banque centrale, elle, prévoit pour 2012 une croissance du PIB du Royaume qui ne devrait pas dépasser les 5% alors que le Centre marocain de conjoncture, lui, table sur moins de 4%.
Une croissance qui sera bridée par la crise en Europe
Face à cela, le nouveau gouvernement, lui, prévoit un taux moyen de croissance de 5,5% au cours du quinquennat à venir, avec même une progression du PIB non agricole de 6%. Faisable ? A priori, non. En fait, le raisonnement tenu est le suivant : l’année 2012 se soldera probablement par un taux de croissance moindre que les 5,5% visés, mais on compte bien se rattraper au cours des années suivantes en escomptant une sortie de crise de l’Europe et donc une demande étrangère soutenue et un retour des beaux jours dans le tourisme, tout comme on table également sur la montée en charge du Plan national pour l’émergence industrielle, ainsi que sur un apport substantiel à la richesse nationale du secteur de l’habitat, avec les 800 000 logements sociaux programmés par les promoteurs privés d’ici 2016.
«Il y a dix ans, nous étions dans un taux de croissance moyen de 3%, puis nous sommes passés à 4,5% depuis 6 ans. Il est temps aujourd’hui de franchir un autre palier : stabiliser la croissance entre 5 et 7%», soutient un ministres. Ce ne sera pas chose facile car même si le retour de la croissance en Europe se réalise en 2013, la progression sera très faible et les marchés de consommation, principaux débouchés pour nos produits, dont l’automobile, le tourisme, le textile et les produits agro-industriels, entre autres, restent déprimés. A cela s’ajoute le marché de consommation intérieure dont la croissance se maintiendra tout au plus à un rythme normal, puisque l’Etat, déjà endetté, ne peut injecter de pouvoir d’achat supplémentaire qui avait permis au gouvernement El Fassi, grâce à deux baisses successives de l’IR et une diminution de l’IS, de doper à la fois la consommation et l’investissement. Restera alors le PIB agricole qui, même avec l’amortisseur du Plan Maroc vert, restera, par essence, volatile dépendant de la pluviométrie. En conclusion ? Une moyenne de 5,5% de croissance sur 5 ans dépend grandement de facteurs exogènes et s’avère difficilement réalisable vu la conjoncture mondiale et le peu de marge de manœuvre financière de l’Etat pour doper le marché intérieur.
Des recettes fiscales en croissance normale et une compensation presque impossible à réduire
La stabilisation du déficit budgétaire à 3% du PIB est un autre objectif du gouvernement. Il faut rappeler à cet effet que le Maroc connaît à l’heure actuelle ses plus lourds déficits (hors recettes de privatisation) depuis 8 ans. Si l’année 2010 s’était soldée par un déficit de 4,6% et les prévisions pour 2011 faisaient état, à l’automne dernier, de 4,7%, de sources bien informées, le gap finalement enregistré au titre de l’exercice écoulé sera bel et bien de 5,5%. Le gouvernement prévoit, certes, d’arriver au seuil de 3% progressivement, ce qui suppose qu’en 2015 nous serons proches de ce chiffre, mais, là encore, plusieurs paramètres entrent en jeu : il faut à la fois augmenter les recettes de l’Etat et réduire ses dépenses. Sur le premier volet, seul un taux de croissance assez soutenu permettra de doper les recettes de l’IS, de la TVA et celles des droits de douane, sachant que celles de l’IR ne devraient pas connaître de changements significatifs. Or, le processus de démantèlement douanier en cours est de nature, sinon à freiner les ressources provenant de droits d’importation et de TVA y afférents, du moins à les faire baisser carrément.
D’un autre côté, les recettes d’IS et de TVA intérieure, elles, sont fortement dépendantes de la santé des entreprises, donc de la conjoncture. Or, dans une année comme 2011 pendant laquelle le taux de croissance du PIB a été de 4,5%, les recettes fiscales qui représentent 80% de ressources budgétaires de l’Etat n’ont crû que de 7,2% soit 11 milliards de DH de surplus, en valeur absolue… à comparer avec les 45 milliards de DH de déficit.
Il faudra donc impérativement faire un effort sur les dépenses pour arriver à atteindre l’objectif des 3,3% de déficit. Incontournable, jugée nécessaire pour maintenir le pouvoir d’achat non seulement des couches défavorisées mais également celui de la classe moyenne, l’enveloppe de compensation pourra-t-elle subir une cure d’amaigrissement ? Parmi les mesures visées, la suppression de certaines subventions comme celle accordée au fuel industriel (hors celui vendu à l’ONE) et l’amélioration progressive du ciblage, mais pour combien d’économies à réaliser ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 52 milliards de DH consentis en 2011, 25 milliards sont allés au seul soutien du prix du gasoil et 18 milliards à ceux du prix du butane, des produits que le gouvernement entend visiblement continuer à soutenir, en plus du sucre et de la farine. Si baisse il y a alors, de quelle ampleur sera-t-elle ? Faut-il prendre pour argent comptant les 42 milliards de DH d’objectif dévoilés par la presse ? Là encore, cela dépend d’un facteur exogène : le cours du baril. L’accalmie espérée avec la crise en Europe est contrebalancée par la forte demande des économies émergentes telle que la Chine, l’Inde et le Brésil qui afficheront des taux de croissance supérieurs à 7% au cours des deux prochaines années, sans compter le risque géopolitique d’une guerre contre l’Iran. Il reste alors pour le gouvernement à tailler dans les dépenses de fonctionnement et à maîtriser sa masse salariale, ce que son précesseur n’a pu faire qu’avec parcimonie…
Créer 130 000 emplois par an, là où l’Exécutif précédent n’avait pas dépassé 116 000
Enfin, sur un troisième point, le gouvernement entend ramener le taux de chômage à 8% seulement d’ici 2016. En supposant un taux d’évolution de la population active de 1,1% seulement, comme c’est le cas durant les deux dernières années, il faudra créer au cours des 5 ans à venir 130 000 postes de travail, en moyenne annuelle. Or, pendant les 4 dernières années qu’aura duré le mandat du gouvernement El Fassi, la création d’emplois nets s’est à peine établie à 116 000 par an. Car, ce qu’il faut avant tout prendre en compte, c’est que les nouveaux moteurs de la croissance du pays que comprend le plan Emergence ne sont pas forcément consommateurs de main-d’oeuvre . La création d’emplois est, à ce titre, quelque peu décorrélée de la croissance. En plus, le gouvernement El Fassi avait bénéficié de trois bonnes années agricoles qui ont permis de créer des postes de travail, certes précaires, mais utiles.
Au final, l’équipe Benkirane pourra-t-elle réaliser ces objectifs et bien d’autres contenus dans son ambitieux programme ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite car en réalité l’équation consiste à créer un matelas de croissance intérieure suffisamment important et moins dépendant des importations pour pouvoir amortir les aléas d’une demande étrangère qui sera de plus en plus fluctuante. L’enjeu aussi est de créer les conditions de confiance nécessaire qui permettraient à l’Etat de réduire le manque à gagner en rentrées, provenant de la fraude fiscale et de l’étendue du secteur informel. Enfin, le pari sera de réussir à mettre en place impérativement un plan d’austérité sans casser la dynamique économique intérieure. Plusieurs conditions sont alors indispensables : restauration de la compétitivité de l’industrie locale pour, à la fois, réduire les importations et augmenter les exportations, taxation des niches fiscales et des hauts revenus, reconversion des diplômés, réduction du train de vie de l’Etat… Dur, mais pas impossible.
