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Prix du public de l’inventeur européen 2017 : le fabuleux destin d’Adnane Remmal
15 juin 2017. Le Popular Prize de l’inventeur européen 2017 revient au chercheur Adnane Remmal. Les travaux du pharmacologiste et microbiologiste marocain portent sur la résistance aux antibiotiques, un enjeu de santé publique mondial, qu’il assure pouvoir juguler grâce à l’addition d’huiles essentielles.
C’est à l’Arsenale Di Venezia que s’est réuni un public trié sur le volet pour la cérémonie solennelle du Prix de l’inventeur européen 2017. Inventeurs, industriels, examinateurs et médias ont attendu les résultats des cinq catégories de ce prix d’envergure et de rayonnement international. Organisé par le Bureau européen des brevets, le Prix de l’inventeur européen consacre chaque année, depuis douze ans, les brevets de grande valeur scientifique et de grand impact social, économique et environnemental.
Le professeur Adnane Remmal figurait sur cette prestigieuse liste des nominés, dans la catégorie des brevets non européens. Ses concurrents directs étaient l’Américain d’origine égyptienne Waleed Hassanein qui a développé un appareil pour maintenir les organes transplantables en activité vitale, ainsi que l’équipe américaine du Massachusetts Institute of Technology, qui a développé un système d’imagerie OCT permettant de détecter précocement certains types de cancer. Autant dire, des adversaires dotés de moyens faramineux et des dernières technologies. Mais si c’est l’équipe américaine qui a remporté le prix, «le fait même d’être nominé parmi des milliers de candidatures, c’est déjà gagner», nous dit Sylviane Muller, nominée française qui est sur le point de mettre fin aux souffrances des malades du Lupus.
A l’annonce du résultat du Prix du public, une vague de chaleur envahit la salle. C’est que combattre la résistance médicamenteuse peut bien être l’enjeu du siècle si l’on en croit les alarmes lancées par l’Organisation mondiale de la santé pour qui «la résistance aux antibiotiques atteint désormais des niveaux dangereusement élevés dans toutes les régions du monde… Pour un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la septicémie et la gonorrhée, le traitement devient plus difficile, voire impossible parfois, du fait de la perte d’efficacité des antibiotiques». C’est en ce sens que le professeur Remmal ne peut qu’être l’allié numéro 1 de l’OMS. «La solution que je propose est en fait l’optimisation de l’effet des anciens antibiotiques pour qu’ils redeviennent efficaces contre les bactéries existantes avec zéro probabilité de développer de nouvelles résistances». Une solution miracle qui semble tout juste sortie d’un conte de fées. Mais c’est ignorer les trente années de travail que le chercheur a consacrées à cette découverte.
Une vie vouée à la science
On est en 1987. Un jeune docteur en pharmacologie plie bagage pour rentrer au pays. Sa thèse de doctorat portant sur la HTA (hypertension artérielle), il contacte, aussitôt arrivé, des chirurgiens cardiovasculaires pour s’enquérir de leurs besoins en matière de recherches. Ces derniers lui assurent que, bien que handicapante, la HTA souffrait davantage de manque de sensibilisation que de recherche. Cependant, ils lui dévoilent sans hésitation leur véritable bête noire : l’infection nosocomiale. En effet, le succès des chirurgies compliquées se trouvait bêtement compromis par des septicémies et autres infections contractées en post-opératoire.
Il n’en faut pas plus à Adnane Remmal pour le pousser à se convertir à la microbiologie, avec un nouveau doctorat d’Etat. C’est ainsi qu’il fait la connaissance du microbiologiste, le Pr Abdelghafour Tantaoui Iraki, secrétaire général du Centre national de la recherche scientifique et technique marocain, qui travaille déjà sur les activités anti-microbiennes des huiles essentielles, avec le chimiste, le Pr Bachir Benjilali.
Pendant les douze premières années, l’équipe se consacre à des recherches fondamentales pour isoler les principes actifs et en déduire le mécanisme d’action. «Pour le microbiologiste et le chimiste, les résultats étaient évidents et suffisants. Mais pour le pharmacologiste que j’étais, il fallait savoir si on travaillait avec une molécule qui a le même mécanisme d’action d’un antibiotique. Car on serait arrivé forcément au même échec qu’avec l’antibiotique», explique-t-il.
Ces années de labeur lui permettent d’isoler quatre des huiles les plus efficaces, contenant des composés majoritaires phénoliques, dont l’effet dépasse largement ceux des antibiotiques. La phase des essais cliniques est bien compliquée, car «le Maroc n’étant pas un pays de recherche scientifique, habitué à fabriquer des génériques, il nous a été plus difficile de faire des essais cliniques qu’aux Etats-Unis par exemple». Mais les risques sont maîtrisés, car «je n’utilisais que des principes actifs déjà existants dans la pharmacopée et utilisés dans le milieu pharmaceutique, donc dénués de toxicité», nous dit-il.
A la suite de ses découvertes et après de multiples recherches à traquer les synergies et les antagonismes, les premiers brevets voient le jour, avec de premières applications dans le monde de l’industrie agroalimentaire dont les fruits sont très probants. En 2015, le Pr Adnane Remmal obtient le Prix de l’innovation pour l’Afrique, ce qui met en lumière l’ensemble de ses travaux et le grand potentiel que représente l’addition des huiles essentielles aux antibiotiques.
Le pharmacologiste raconte avec le sourire les propositions d’association provenant de grands groupes pharmaceutiques mondiaux, dont les termes ont été pour le moins flous, voire malhonnêtes. «A deux reprises, j’ai arrêté un deal à la signature. J’avais déjà fait des compromis sur la valeur et l’apport matériel de l’associé, mais à chaque fois on a voulu mettre la main sur le brevet. Pour moi, l’association, c’est comme un mariage, si ce n’est pas pour faire un mariage heureux, je préfère rester célibataire !», plaisante-t-il. Cela dit, le professeur Remmal a déjà conclu des accords de licences exclusives et ses composés sont déjà sur le marché mondial.
Les moyens du bord…
En recevant ce Prix du public de l’inventeur européen, le mot du Pr Adnane Remmal, pour le moins touchant et largement applaudi, est allé à ses professeurs, à qui il devait tout, puis à ses étudiants qu’il espère encourager à persévérer sur la voie de la recherche scientifique. Car le chercheur sait plus que quiconque toutes les difficultés que connaît la recherche scientifique au Maroc. «En 1988, j’ai commencé mes recherches dans une salle vide, et encore ! J’avais difficilement réussi à en avoir la clé», explique-t-il.
Tout au long de sa carrière, il se rappelle que ce ne fut pas toujours évident de travailler sans moyens, si ce n’est son salaire et les dons en appareils recyclés provenant d’amis chercheurs marocains à l’étranger. A noter également l’absence de fournisseurs de consommables à l’époque. Sans parler d’un environnement professionnel parfois rebutant et mesquin…
Aujourd’hui, le Pr Adnane Remmal est optimiste. «J’ai vu se transformer le milieu de la recherche au Maroc. Hormis l’attitude contre-productive de certains enseignants qui brisent les ailes des étudiants assoiffés de science, la recherche commence à séduire les entreprises marocaines et à ouvrir les portes à nos jeunes scientifiques», nous dit-il. Ses élèves sont d’ailleurs souvent repérés pour leur excellence et sont parfois détournés avant de terminer leur doctorat. «Ma condition actuelle est d’attendre la fin de leur cursus avant de rejoindre l’entreprise», précise le chercheur.
Son rêve à long terme est de créer un institut privé de la recherche scientifique, pour détecter «les futures stars de la science». En attendant, son message aux jeunes chercheurs, «c’est de développer leur sens de commercial et entrepreneurial en même temps que leur compétence. C’est-à-dire, d’être 50% scientifique et 50% grand lecteur de La Vie éco!», conclut le Pr Adnane Remmal.