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Pourquoi le crédit immobilier ne reprend toujours pas

La baisse des taux a encouragé la demande de crédits sur le premier semestre. Ce levier apporte un supplément de pouvoir d’achat aux ménages déjà candidats à l’acquisition, mais il reste sans effet sur une consistante cible n’ayant pas les moyens. Seules une baisse des prix et une réadaptation de l’offre peuvent relancer la machine.

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Credit immobilier

Le crédit immobilier continue de se distinguer parmi les financements bancaires. Il affiche sur le premier semestre 2016 une croissance de son encours de 3,1%, à près de 185 milliards de DH alors que le stock de crédits toutes catégories confondues, qui s’élève à 792 milliards de DH, ne croît que de 1% sur la même période. En fait, depuis que le financement bancaire s’est mis à décélérer en 2010, le crédit habitat a invariablement affiché un rythme de croissance deux fois, voire trois fois plus élevé que le marché du crédit dans son ensemble.   

Ne pas en déduire pour autant que ce financement est au mieux de sa forme. En effet, si l’on remonte tout juste à 2012, la croissance des prêts acquéreurs approchait les 10%. Ils ont entamé une décélération continue depuis cette date. Il serait donc plus juste de dire que le crédit habitat maintient pour l’heure la tête hors de l’eau par rapport aux autres catégories de crédit et cela, les banquiers l’expliquent en premier lieu par la baisse des taux. Les réductions du taux directeur opérées depuis deux ans ont fait baisser le taux d’intérêt moyen appliqué au financement des acquéreurs de 5 points de base en 2014 et 20 points de base en 2015, à 5,21%. Et si l’on examine les grilles tarifaires des établissements, la tendance semble s’être poursuivie sur l’année en cours chez toutes les banques de la place. «La pression sur les taux est réelle et elle est motivée par une volonté de gagner des parts de marché et alimenter la production dans un contexte de forte concurrence», rapporte un directeur de réseau. «Les clients se montrent réceptifs à cet effort. Plus que cela, ils le réclament systématiquement étant bien au courant de l’actuelle baisse généralisée des taux», poursuit-il. Même les promoteurs immobiliers surfent sur la vague. Ils sont de plus en plus nombreux, autant sur le segment de l’habitat économique que celui du logement de standing, à conclure des conventions avec les établissements bancaires pour proposer des offres de crédit à taux avantageux aux acquéreurs, à défaut de baisser leurs prix, ainsi que le rapportent les banquiers.

70% des prêts sont assortis de taux inférieurs à 6%

Cet accent mis sur les tarifs de financement contribue effectivement à permettre aux acquéreurs de se financer dans de meilleures conditions. Selon les chiffres de Bank Al Maghrib, près de 70% des crédits habitat accordés en 2015 étaient assortis d’un taux inférieur à 6% contre 63% à fin 2014. Cependant, de l’avis unanime des professionnels, le seul argument du taux est loin de suffire pour permettre au prêt habitat de renouer avec les forts taux de croissance des dernières années.

D’abord, l’impact de la baisse des taux reste relativement limité dans la mesure où la majorité des établissements réserve ses offres les plus avantageuses à une clientèle à fort potentiel commercial. «Il n’y a effectivement que cette cible qui garantit à la banque de rentabiliser ultérieurement l’effort concédé sur le taux de financement grâce au placement de produits, à l’importance des mouvements sur le compte…», justifie un directeur d’agence. Plus que cela, «la baisse de taux ne profite qu’aux acquéreurs qui ont déjà la capacité d’acheter», rappelle un banquier. Ils profitent en effet d’un supplément de pouvoir d’achat tout en sachant qu’ils peuvent s’abstenir de concrétiser si l’offre de logements ne leur convient pas, ce qui reste encore fréquent selon les retours recueillis par les banques.

Les promoteurs exigent une rentabilité élevée

En revanche, pour un client qui n’avait pas à la base la capacité d’acheter, rien ne change. Et il faut dire qu’ils sont nombreux dans ce cas. Selon la récente enquête du ministère de l’habitat sur la demande en logements, parmi les ménages se déclarant non demandeurs de logements (74% au niveau national), 44% justifient leur situation par un manque de moyens.

Le levier le plus évident pour que cette population rallie les acquéreurs serait une baisse des prix. «Mais le fait est que si l’on considère l’exemple des grandes villes, Casablanca en tête (cette dernière accapare 36% des prêts habitat distribués en 2015), il n’y a absolument pas lieu de parler de corrections de prix sur le neuf actuellement», tranche un banquier. De manière générale, s’il y a effort sur les prix, il est le fait de promoteurs contraints de déstocker ou souhaitant écouler des produits présentant des caractéristiques défavorables (quartier peu demandé, appartement en rez-de-chaussée…), assurent les professionnels. Les prix sont plus flexibles sur le marché des biens de seconde main, tempère-t-on. Cette tendance est confortée dans une certaine mesure par l’Indice des prix des actifs immobiliers (IPAI) émis par BAM qui calcule les évolutions de prix sur le marché du résidentiel secondaire et qui ressort une baisse de 2% au premier trimestre et de 0,9% au deuxième trimestre 2016.  Dans les conditions actuelles, il serait difficile de voir les prix de l’immobilier neuf baisser sensiblement. Ahmed Rahhou, PDG de CIH Bank, explique cela simplement par le fait que les promoteurs immobiliers au Maroc opèrent sur un secteur risqué du fait de la lourdeur et la complexité des procédures, la difficulté d’accès au foncier… Et comme le veut la règle, cela doit s’accompagner de taux de rentabilité proportionnels. Pour que les promoteurs acceptent une baisse des prix et une rentabilité inférieure, il est donc nécessaire de lever les contraintes qui entravent le secteur, préconise M. Rahhou. Cela indique bien que l’immobilier au Maroc est loin de retrouver ses années glorieuses à moins d’une remise à plat du secteur.