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Plus de 19 milliards de DH ont été prêtés à  des entreprises étrangères depuis 2003

Un manque à  gagner en apport de devises est souligné par les opérateurs nationaux.

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Evoqué au sein des milieux d’affaires, le financement des groupes étrangers sur le marché bancaire interne en agace beaucoup. Et pour cause, nombre de dossiers sont financés par des opérations consortiales qui se chiffrent en milliards de DH et l’on craint l’effet d’éviction de l’entreprise nationale sur les marchés de l’argent. Au total, les banques marocaines ont financé depuis 2003 une dizaine d’acquisitions ou de prises de participations effectuées par des groupes étrangers et ce en leur accordant plus de 19 milliards de DH de prêts.

« Quel apport en termes de capitaux étrangers lorsque ces groupes financent leurs investissements dans les entreprises nationales par des levées de fonds locaux et transfèrent l’intégralité de leurs dividendes dans leur pays d’origine ?».

Certains invoquent le transfert de savoir-faire et la modernisation du tissu économique
La question est la même chez plusieurs hommes d’affaires contactés par La Vie éco. Plus frustrant encore pour ces observateurs, le fait que «ces entreprises étrangères acquièrent des fleurons de l’économie, dont la bonne rentabilité permet très rapidement, en une dizaine d’années, de rapatrier plus que la mise initiale».

Bref, l’effort d’investissement de groupes étrangers au Maroc n’est pas aussi important qu’on le pense. Par exemple, Vivendi Universal a déboursé en 2001 près de 23,3 milliards de DH et en 2005 quelque 12,4 milliards pour racheter respectivement 35 et 16% du capital de Maroc Telecom. Le groupe a financé sa deuxième acquisition à hauteur de 50% par un prêt auprès d’un consortium de banques nationales (Attijariwafa bank, BMCE, Société générale, BCP, BMCI, Crédit du Maroc…). Le reste a été financé par des fonds propres, dont les 4,46 milliards de DH tirés des dividendes encaissés entre 2001 et 2004. Au titre de l’exercice 2005, le groupe français des médias et des télécommunications devrait bénéficier encore de 4,89 milliards de DH de dividendes (10,96 DH par action).
Le choix d’un financement local est dicté par la logique économique. D’autres groupes, comme Suez (qui détient 30,25% de Lydec), ont recours à des montages au coup par coup pour rapatrier les fruits de leurs investissements au Maroc. Le groupe français avait ainsi rapatrié, en 2005, plus de 94 MDH via différentes opérations financières.

Si la grogne est compréhensible dans ces cas-là, tout le monde n’est pas unanime concernant le sujet. C’est le cas de Hassan Bernoussi, directeur des Investissements extérieurs, qui estime que «les banquiers sont satisfaits de pouvoir participer au financement de ces projets ; ces levées de fonds structurées depuis 2003 ont permis de maîtriser la surliquidité du marché». Il explique par ailleurs que «le plus important dans l’action des groupes étrangers au Maroc n’est pas le transfert de capitaux, comme certains seraient tentés de croire, mais c’est l’apport en termes de savoir-faire, de développement de projets et d’intégration du Maroc dans les circuits d’affaires internationaux. De plus ,la logique économique veut que ces entreprises étrangères se financent en partie sur le marché bancaire local ; quant aux dividendes encaissés, dans la plupart des cas, ils sont réinvestis dans le développement des activités ou pour le rachat d’autres participations». Notre interlocuteur rappelle enfin qu’«à travers tous les plus grands projets de privatisation menés par l’Etat, l’objectif est de moderniser les établissements cédés et les doter de partenaires aux reins solides qui, dès 2010, ou au plus tard en 2012, devaient investir l’économie nationale».

Un effet d’éviction pour les PME nationales ?
L’avis du directeur des Investissement extérieurs est partagé par Amyn Alami, président de CFG Groupe. Il souligne pour sa part que «les groupes étrangers qui se financent localement représentent une aubaine pour les banques locales, car ce sont des prêts avec une rentabilité correcte par rapport au risque pris et qui permettent de créer de la valeur tout en gardant les liquidités en circulation au sein de l’économie».

Amyn Alami, qui intervient dans plusieurs montages financiers pour des groupes touristiques, ajoute: «C’est tant mieux que ces groupes se financent sur le marché intérieur, l’essentiel est qu’ils introduisent le Maroc dans leurs circuits de commercialisation à l’échelle mondiale».

Noufissa Kessar, directrice des Investissements chez Attijariwafa bank, elle, note que «le project finance est relativement récent au Maroc et que déjà les banques peuvent se targuer de participer à de gros montages financiers aux côtés de banques internationales». Et d’ajouter: «Cela permet, non seulement aux établissements financiers de la place mais également aux cabinets de conseil financier, juridique et fiscal, de travailler selon des standards internationaux et montrer leur capacité à accompagner les projets de grands groupes. Le contraire aurait tout de même été inquiétant : celui de noter l’absence des banques nationales dans le processus de développement et de modernisation de l’économie».

D’autres opérateurs ne le voient pas de cet œil. C’est le cas de Hammad Kessal, président de la Fédération PME, qui rappelle, «l’économie marocaine a besoin de 1 ou 2% de croissance importée de l’extérieur et que seuls des investissements étrangers directs accompagnés d’un transfert massif de capitaux sont capables de fournir». Il fait remarquer que «ces groupes se trouvent souvent dans une situation monopolistique, leur permettant de lever facilement des fonds auprès des banques ; ce qui entraîne un effet d’éviction sur le marché du crédit pour les PME nationales». Pire encore, le président de la FPME dénonce «l’attitude frileuse des banquiers à l’égard de PME européennes qui souhaitent développer des partenariats avec des entreprises locales».

Des opérateurs dénoncent également le manque de contrôle des transferts intergroupes de capitaux, du Maroc à l’étranger, pour soutenir le développement ou redresser les finances d’autres filiales de ces groupes à l’étranger. Les déboires de majors au Maroc, tels General Tire, Gespac ou Der Krikorian, ont tourné parfois au cauchemar pour les banquiers de la place. Le cas de Gespac n’est pas près d’être oublié de sitôt. Cette société française opérant dans la haute technologie à Témara avait levé un peu plus de 120 MDH auprès de capital-risqueurs nationaux pour les détourner par la suite vers deux de ses filiales en difficulté financière en France. Peu de temps après, les deux structures ont été mises sous redressement judiciaire et les financiers marocains se sont retrouvés avec une coquille vide, qui dispose de très peu d’actifs à revendre pour récupérer la mise initiale. «Au vu des perspectives de développement que Gespac a fait miroiter, personne ne se doutait que l’arnaque avait été orchestrée pour détourner les fonds vers l’étranger!», fait remarquer un banquier. Au-delà de ces incidents, la question centrale demeure celle de savoir dans quelle mesure et dans quelles proportions le financement local d’entreprises étrangères est bénéfique pour l’économie. Le débat reste ouvert.

Les effets du financement local des entreprises étrangères sont très diversement appréciés dans le milieu des affaires.