Affaires
Pertes d’emplois dans le textile : pourquoi ce silence des officiels ?
Une analyse pertinente fournie par la CNSS : 10 000 pertes probables d’emplois et non pas 50 000 comme nous l’avions publié.
Dimanche 2 février. Dans l’avion qui ramène la délégation qui a représenté le Maroc au sommet de Davos en Suisse, Salaheddine Mezouar, ministre de l’économie et des finances, lors d’une discussion avec un journaliste de la rédaction de La Vie éco, aborde le sujet des pertes d’emplois dans l’industrie et plus particulièrement le secteur textile. Dans notre édition du 30 janvier, nous avions, en effet, sur la base de statistiques provenant de la CNSS et d’un point de vue émanant du ministère de l’emploi, qui lui-même avait fourni lesdites statistiques, fait état d’une destruction de quelque 50 000 emplois dans le textile, à l’issue de l’année 2008. Le différentiel (47 761 postes exactement) ressortait d’une simple comparaison entre les emplois déclarés par les 715 unités membres de l’Association marocaine du textile et habillement (Amith) à fin janvier 2008 et ceux déclarés à l’issue du dernier mois de la même année. Ainsi de 134 180 emplois, l’effectif déclaré 11 mois plus tard n’était plus que de 86 419 salariés (voir en page ci-contre reproduction du tableau publié le 30 janvier). Ancien président de l’Amith, ex-patron d’un groupe de textile, M. Mezouar s’est montré quelque peu sceptique quant à l’ampleur des pertes. «Imaginez-vous 50 000 emplois perdus dans un secteur qui en emploie 250 000, cela aurait été visible, palpable et n’aurait pas manqué d’avoir des répercussions sociales». Pris à témoin, son voisin de siège, patron d’un groupe textile, employant près de 8 000 salariés, penchera pour le même point de vue que le ministre, qui déclara qu’à son retour de voyage, il allait contacter l’Amith pour l’inviter à se prononcer publiquement sur le sujet. L’Amith ne l’a toujours pas fait.
Les arguments du ministre, quoique donnant une large part à l’intuition, ne manquaient pas de pertinence. Est-ce à dire que les chiffres de la CNSS étaient faux ? En dépit de la gravité d’une annonce telle que la perte de
50 000 emplois, personne n’a officiellement réagi. Il a fallu attendre le 13 février, en marge de la conférence de presse qui a suivi la signature du contrat programme pour l’Emergence industrielle, pour que la question revienne à l’ordre du jour. Interrogés par plusieurs de nos confrères sur l’ampleur des pertes d’emplois, le ministre des finances a mis en garde contre les effets d’annonce alors que Jamal Rhmani, ministre de l’emploi, a -curieusement- nié que les informations provenaient de son département tout en estimant que c’était probablement des chiffres utilisés dans le cadre de négociations.
Une erreur de bonne foi et non pas la recherche de sensationnalisme
Qu’en est-il réellement ? Contactée par nos soins, mardi 17 février, la CNSS a donné une explication. Les chiffres des déclarations à fin décembre, disponibles le 26 janvier, ne correspondaient pas à l’ensemble des déclarations faites par les entreprises pour la bonne raison qu’un délai de trois mois était nécessaire pour récolter toutes les données, notamment concernant ceux d’entreprises en région, qui envoyaient leurs données par courrier. En vertu de quoi, la différence faite entre les chiffres de janvier 2008, consolidés, et ceux de décembre 2008, encore partiels, ne pouvait servir de base pour estimer les pertes. En revanche, à la CNSS, on propose une méthode plus rationnelle pour approcher lesdites pertes d’emplois. Comment ? En se basant sur les déclarations faites pour le mois de novembre 2008, à la date du 30 janvier 2009, et en les comparant aux mêmes déclarations faites pour le mois de novembre 2007, à la date du 30 janvier 2008. De la sorte, le calcul se fait, en année glissante, pour des données recueillies dans le même délai et faisant fi des retards de déclarations puisqu’ils s’appliquent de manière indifférenciée. Que disent les chiffres de la CNSS concernant les entreprises membres de l’Amith ? Les déclarations recueillies à fin janvier 2009, pour le mois de novembre 2008, font état de 113 178 salariés. En comparaison, les déclarations recueillies un an plus tôt, soit le 31 janvier 2008, pour le mois de novembre 2007, font, elles, état de 123 484 salariés. Le différentiel correspond à une perte probable de 10 306 emplois. Ce qui correspond à l’estimation, au jugé, aussi bien du ministre des finances que d’un membre de l’Amith.
Ceci pour le fond et il était à notre sens nécessaire d’apporter ces éclairages. Sur la forme, nous restons dubitatifs par rapport à la réaction des acteurs concernés. Nous aurions pu nous contenter de garder le silence n’ayant pas été officiellement pris à partie. S’agissant cependant d’un sujet aussi important que la perte de dizaines de milliers d’emplois, nous avons estimé de notre devoir de revenir à charge, ayant commis, de bonne foi, une erreur d’interprétation. La question reste de savoir pourquoi ni le ministère de l’emploi, ni celui des finances, ni l’association des textiliens n’ont jugé utile d’apporter ni démenti, ni explications, ni précisions, alors même qu’ils affirment officieusement que les chiffres publiés le 30 janvier dernier ne correspondent pas à la réalité.