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Affaires

Personne ne peut prédire l’évolution de la grippe aviaire

L’intensité de la menace dépend de plusieurs facteurs dont le taux de prévalence chez les oiseaux migrateurs, non encore connu.
Légère amélioration en Asie et grandes inquiétudes
en Afrique.
Le chat ne peut transmettre le virus de la grippe aviaire à l’homme.

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La Vie éco : Le virus de la grippe aviaire a pratiquement envahi trois continents, sommes-nous condamnés à vivre désormais avec cette menace ?
Karim Ben Jebara : Il est vrai que, depuis la fin de l’année 2003, il y a une forte expansion du virus de l’influenza aviaire – de source asiatique – qui, aujourd’hui, sévit en Afrique subsaharienne, en Asie et en Europe. Cette expansion, qui est assez inquiétante du reste, démontre qu’il est important d’avoir de bons services vétérinaires afin de détecter au plus tôt l’existence du virus chez les oiseaux migrateurs. L’expérience a démontré que plus on agissait rapidement, plus on avait de chance de circonscrire la maladie et même de l’éradiquer, même en Asie du Sud-est où la prévalence du virus est élevée. C’est l’exemple du Japon, ou encore de la Corée du Sud. De fait, le plus gros risque se pose quand les services vétérinaires sont faibles ou que le sytème d’alerte n’est pas au point.

Peut-on dire que le pire est derrière nous ?
On ne sait pas encore. Je pense personnellement que cela va durer encore un bon bout de temps, tout dépend des bonnes volontés politiques mondiale et nationales.

Un bon bout de temps c’est combien ? quelques mois, un an ?
Personne ne peut répondre à cette question.

On dit que la menace sera plus importante lors du prochain cycle de migration des oiseaux sauvages, entre octobre 2006 et mars 2007 ?
On se focalise trop sur les oiseaux migrateurs qui constituent une menace bien définie, et on oublie le commerce illégal qui pourrait être un vecteur de propagation de la maladie. J’insiste, aujourd’hui plus que jamais, les structures étatiques ont un rôle important à jouer.

On parle beaucoup de contamination de l’homme par la volaille. L’homme peut-il être contaminé par un oiseau migrateur également ?
A priori oui, pour l’instant nous n’avons pas eu de cas puisque le contact entre humains et oiseaux sauvages est très limité. Mais scientifiquement la contamination est possible.

A aujourd’hui (mardi 21 mars), combien de personnes sont atteintes du virus, dans le monde, et combien en sont mortes ?
184 cas de grippe aviaire chez l’homme et 103 morts. Par comparaison, le nombre d’oiseaux atteints est nettement plus élevé. Depuis l’année 2003, les autorités sanitaires dans les différents pays ont procédé à l’abattage de 150 millions de volailles.

Le Maroc reste épargné par la menace, pourtant il constitue un lieu de passage pour les oiseaux migrateurs…
Cela ne veut pas dire que les oiseaux migrateurs qui survolent votre pays sont indemnes. Epargné veut dire que pour l’instant il n’y a pas eu de détection du virus, ni chez les oiseaux migrateurs contrôlés ni chez la volaille. C’est une bonne nouvelle mais il faut rester vigilant et faire des prélèvements réguliers. La grande question à l’heure actuelle est celle de savoir si les oiseaux migrateurs qui remontent d’Afrique sont infectés et surtout quelle est l’étendue de la propagation du virus parmi eux. Actuellement, la FAO, l’OIE et Wetlands, une ONG en charge de la surveillance des milieux humides, sont en train de faire des recherches et des prélèvements à ce sujet.

Pour le moment, la contamination observée en Europe de l’Ouest s’est faite à travers des oiseaux venant plutôt de l’Est que de l’Afrique…
Exactement, la contamination s’est faite à travers des cygnes et ces derniers ne vont pas jusqu’en Afrique. Mais tout peut changer avec le retour des oiseaux migrateurs.

La transmission du virus de la grippe aviaire au chat a soulevé beaucoup de questions. Cette inquiétude est-elle justifiée ?
La contamination des félins n’est pas une première. En Thaïlande, des tigres avaient été contaminés dans un zoo suite à la consommation d’oiseaux domestiques infectés. Les chats peuvent effectivement être contaminés et on l’a vu en Allemagne. Mais ce n’est pas dangereux pour l’homme. Il y a ce qu’on appelle une barrière d’espèce qui empêche la propagation du virus dans ce cas.

Quid du porc ?
Le porc peut être infecté, mais il ne tombe pas malade. Le danger du porc est qu’il est très réceptif aux virus. S’il est en même temps contaminé par un virus de grippe aviaire et celui de la grippe humaine, il est possible qu’une mutation ait lieu et que l’on assiste à l’émergence d’un virus transmissible d’homme à homme.

Justement, il y a deux voies qui peuvent amener le virus de la grippe aviaire à devenir transmissible d’homme à homme : la mutation naturelle et la recombinaison avec un virus de grippe humaine. Quel est le scénario le plus probable ?
On ne peut se hasarder à un tel pronostic. Pour diminuer le risque dans les deux cas, il faut diminuer la quantié de virus en circulation chez les oiseaux, et chez les animaux en général. C’est pour cela qu’il faut agir le plus vite possible, tenter de circonscrire les foyers d’infection. Tant que le probabilité existe, même si elle n’est pas connue, pour que le virus s’adapte à l’être humain, la menace persistera.

Beaucoup pensent que la menace est exagérée par les pays, les médias, les publications scientifiques, les lobbies du médicament…
Peut-être, mais ce n’est pas la menace qui est exagérée mais plutôt la psychose qui est plus forte qu’elle ne devrait l’être. La menace de pandémie existe, elle est réelle mais personne ne peut donner une probabilité d’occurrence. Il faut savoir que l’expérience vécue avec l’ESB (maladie de la vache folle) a poussé la communauté mondiale à accorder une grande importance à ces maladies et à densifier la protection par précaution.

Entre l’Afrique, dénuée de moyens, et l’Asie, débordée par l’extension de la maladie, d’où vient le plus grand danger aujourd’hui ?
Certainement d’Afrique. En Asie, on assiste à un certain recul et le système d’alerte et de protection est maintenant rodé. En Afrique, le manque de moyens ou de compétences pour le dépistage génère plus d’inquiétudes.

La communauté internationale se mobilise-t-elle suffisamment à ce sujet ?
Maintenant oui, et plus précisément depuis la conférence de Pékin, en janvier dernier. L’aide, quoique tardive, commence à affluer.

La maladie de la vache folle, le SRAS, la grippe aviaire, le chikungunya du moustique…, de plus en plus, l’homme est affecté par des maladies animales !
Selon les études faites par l’OMS, 75% des maladies émergentes proviendront des animaux à l’avenir.

Solution ?
Renforcer les services vétérinaires et mettre en place de bons systèmes d’alerte.

Karim Ben Jebara
Chef du service de l’information sanitaire à l’Office international des épizooties
D’après les études de l’OMS, 75% des nouvelles maladies qui affecteront l’homme proviendront des animaux.

Com’ese

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