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Où sont passés les investisseurs privés ?

Les crédits à  l’équipement ont baissé de 3.3% à  fin février par rapport au début de l’année, une baisse inédite. Sur une année glissante, l’encours des crédits d’investissement a fait du surplace. Bank Al-Maghrib s’attend à  une baisse de l’investissement global de 2% en 2012 même si l’investissement public progresse de 29%.

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Investissements MAROC BTP 2012 04 09

Alerte sur l’investissement privé ! Depuis quelques semaines, les responsables au sein des banques et administrations publiques au contact des investisseurs sont nombreux à rapporter un ralentissement de plus en plus inquiétant de la cadence de l’investissement. «ça dort», murmure-t-on sans toutefois en parler publiquement, ni à visage découvert.
Prenant les devants, Bank Al-Maghrib a déjà averti dans son dernier rapport sur la politique monétaire pour le premier trimestre 2012, que les dépenses d’investissement (public et privé) devraient terminer l’année en cours sur une inhabituelle baisse de 2%. A titre de comparaison, ces dépenses avaient progressé en moyenne annuelle de 11% de 2004 à 2007. Le message de l’Institut d’émission peut être interprété sans équivoque : sachant que l’investissement public devrait croître de 29% en 2012, dans la lignée de l’accélération affichée ces dernières années, la baisse anticipée ne peut être imputable qu’à l’investissement privé.

Textile, agroalimentaire, plasturgie, tourisme : les «classiques» n’investissent pas pour le moment

Et ce ne sont pas les responsables au niveau des trois principales banques de la place, Attijariwafa bank, BMCE Bank et BCP, contactés par La Vie éco, qui diront le contraire…, sous couvert d’anonymat s’entend, de crainte de paraître comme trop alarmistes. Ils se basent en cela sur l’indicateur parlant que sont les crédits à l’équipement. Ces financements qui sont contractés par les entreprises pour couvrir leurs besoins d’investissement appellent d’abord à une remarque concernant leur poids dans les crédits à l’économie. En effet, à 135,8 milliards de DH à fin février 2008, «leur encours ne représente que 20% des crédits distribués alors qu’au vu des besoins de notre économie, cette proportion devrait plutôt avoisiner 40%», juge un directeur d’exploitation. Et encore, «la part actuelle des crédits à l’équipement pourrait être revue à la baisse si l’on en retranche les crédits issus de restructurations de lignes de financement à court terme dont profitent les entreprises incapables d’honorer leurs engagements», ajoute-t-il. Le tableau s’assombrit davantage lorsqu’on s’intéresse à l’évolution des crédits à l’équipement sur les derniers mois. A l’issue des deux premiers mois de 2012, ils affichent une baisse notable de 3,3% par rapport à fin décembre 2011. Un recul que nuancent certains professionnels, arguant que «janvier et février n’ont jamais été des périodes d’investissement significatif, les entreprises étant plutôt occupées avec leurs arrêtés de comptes». Soit, mais en examinant l’historique de variations sur les deux premiers mois pour les dernières années, il ressort qu’une baisse de plus de 3% reste un record. En effet, en 2011, la même période avait connu un recul contenu à 1,1%. La même période en 2009 a enregistré une croissance de 4,1%. En fait, en remontant jusqu’en 2002, on constate au pire une stagnation sur les deux premiers mois de chaque année.
L’évolution des crédits à l’équipement sur une année glissante est plus révélatrice encore du ralentissement de l’investissement privé : leur variation s’apparente à un encéphalogramme plat avec une baisse de 0,9% ! Là encore l’on pourrait argumenter que les entreprises sortent d’une situation où l’investissement a connu une forte croissance depuis le début des années 2000 et particulièrement entre 2005 et 2010. «Il est donc normal que l’on temporise en attendant que les nouvelles capacités de production injectées prennent leur rythme de croisière», invoque un haut responsable au sein d’une banque de la place. Mais le fait qu’en l’état actuel des choses, c’est le calme plat et dans certains secteurs plus que d’autres… L’industrie classique est la plus citée par les professionnels, celle-ci ayant à l’heure actuelle «freiné, pour ne pas dire arrêté ses investissements». Plus en détail, le textile, l’agro-industrie, la chimie ou encore la plasturgie sont les plus concernés. «Dans le tourisme, aussi, l’on fait très peu d’investissements d’extension ou de nouvelles unités», ajoute un banquier. Cependant, des secteurs sont en phase de prendre la relève notamment le BTP qui est porté par la commande publique, l’immobilier social et les projets énergétiques (les centrales classiques ou celles produisant des énergies renouvelables). Sans compter les programmes d’envergure lancés par les majors du secteur public, dont l’OCP notamment.

Des blocages administratifs et des urgences autres à traiter

Pour justifier la méforme de l’investissement privé, les professionnels invoquent des raisons conjoncturelles que l’on peut deviner : le contexte du printemps arabe, le retard de visibilité dû à l’installation tardive dû gouvernement et à l’absence de Loi de finances ou encore la conjoncture internationale qui déprime la demande étrangère comme c’est le cas pour le tourisme.
Mais il y a aussi les freins administratifs auxquels l’on ne pense pas spontanément. A ce titre, plusieurs administrations fournissent des témoignages éloquents. Celles-ci évoquent sans détour la démission des walis et gouverneurs de leur rôle de développement économique. Plus clairement, l’on invoque qu’ «au cours de l’année 2011, l’autorité locale a plus joué un rôle sécuritaire que de développement économique et social».
Explications. Dans plusieurs villes du Maroc, les plans d’aménagement étant en retard, le seul moyen de concrétiser un investissement  reste les commissions des dérogations qui comprennent des représentants de l’Agence urbaine, de la Conservation foncière, de la mairie mais également du Centre régional d’investissement. Selon des témoignages recueillis par La Vie éco, dans plusieurs villes, les réunions desdites commissions se sont espacées depuis un an, se tenant à des intervalles très irréguliers. «Et quand bien même ce serait le cas, elle traitent en priorité des logements sociaux», affirme un membre du Conseil de la ville de Casablanca qui cite pour exemple une réunion programmée le jeudi 5 avril : «Sur la trentaine de projets d’investissement qui seront examinés, au moins une vingtaine ont trait à des dossiers déposés depuis plus d’un an», se désole notre source, qui tient à garder l’anonymat pour ne pas s’attirer les foudres de la wilaya. Joint au téléphone par La Vie éco, Hamid Ben Elafdil, directeur du Centre régional d’investissement de la métropole, s’il confirme «la tenue très prochaine d’une réunion de la commission des dérogations», refuse d’en dire plus, imputant, diplomatiquement, la baisse de l’investissement au contexte économique. Pourtant, les blocages existent bel et bien et dans le milieu des affaires on cite par exemple le cas du laboratoire pharmaceutique Laprophan qui envisage un investissement d’extension à Nouaceur et dont le dossier n’a toujours pas été débloqué.
Toutefois, si les walis ont la responsabilité de promouvoir l’investissement, on ne doit pas tout mettre sur leur dos. En effet, dans le contexte de gouvernance et de reddition des comptes ambiant, il suffit parfois d’un détail pour qu’un des acteurs de la chaîne grippe la machine. Ainsi en est-il, par exemple, d’un investissement de la société Sews Cabind, filiale du groupe japonais Sumitomo, spécialisée dans la production de faisceaux, câbles et composants électriques destinés exclusivement à l’export et dont l’investissement à Aïn Harrouda reste tributaire d’une décision de la Conservation foncière (voir encadré). Dans d’autres cas encore, la machine des investissements se grippe pour des problèmes structurels qu’il reste toutefois possible de solutionner par voie administrative. C’est notamment le cas de la ville de Tanger, où selon les avis concordants de plusieurs sources, le foncier public destiné à accueillir des investissements est complètement épuisé. Dans ces circonstances, les investisseurs optent à contre-cœur pour des terrains privés, qui se font de plus en plus rares, quand ils ne font pas simplement machine arrière.