Affaires
Opérations de construction : un avant-projet de loi qui déplaît aux professionnels
Il apporte des nouveautés mais comporte plusieurs lacunes dont la déclaration de la responsabilité de chaque acteur. Un groupement professionnel de réflexion sera créé afin d’adresser des remarques au SGG, de manière collective.
Les opérations de construction des bâtiments seraient bientôt encadrées par une loi qui leur est spécifique. Un avant-projet de loi n°29-18 est actuellement proposé en consultation publique auprès du Secrétariat général du gouvernement jusqu’au 15 janvier, avant qu’il ne poursuive son circuit d’approbation.
Avec 48 articles et 8 chapitres, il a pour objet d’édicter les dispositions relatives à l’organisation des opérations de construction et de fixer les missions et les responsabilités des intervenants en vue de garantir la qualité, la sécurité, la stabilité et la durabilité des bâtiments. Il fixe également les règles de préparation, d’exécution et de réception des travaux de construction et précise les règles de maintenance des bâtiments et les règles de contrôle des opérations de construction. Des sanctions sont aussi prévues en cas de non-respect des dispositions.
Rachid Haouch, vice-président du Conseil national de l’ordre des architectes, blâme les responsables et rédacteurs de cet avant-projet pour la non-concertation dont ont fait objet les professionnels de la construction. «Tout comme la loi 66-12, cet avant-projet a été élaboré sans avis, en fin d’année connue pour sa période de fêtes et de vacances et donc en catimini». Cela étant, il s’agit d’un texte réglementaire intéressant qui a apporté plusieurs nouveautés, mais qui comporte son lot de lacunes. M.Haouch cite en premier la limitation de ce texte aux bâtiments comportant 4 niveaux et plus et ceux dont la superficie des planchers excèdent 800 m2. «Pour une application homogène et unifiée de cette loi, toutes les constructions doivent être concernées, quels que soient le type, la hauteur ou la superficie plancher».
De plus, la loi a manqué de définir les concepts qu’elle a introduits, à l’instar de la qualité du bâtiment. Ce terme peut aussi bien inclure les matériaux utilisés que la conception architecturale. De même pour la durabilité qui reste un terme tellement vaste qu’il peut inclure aussi bien l’aspect environnemental que la stabilité ou encore les matériaux qui rentrent dans la réponse à la loi sur l’efficacité énergétique du bâtiment. «La loi a pour ambition également de garantir la sécurité du bâtiment, sans pour autant définir l’ingénieur spécialiste qui devra assurer cet aspect ; cela sachant que la Protection civile a été évincée de la commission instruisant les autorisations de construire», s’interroge M.Haouch. Pareil pour la stabilité dont la responsabilité pourrait incomber aussi bien à l’architecte du fait de sa conception qu’à l’ingénieur du fait de ses calculs. De plus, «tout au long de la loi, les rédacteurs n’ont pas pointé la responsabilité de chacun des acteurs opérant dans la construction, de manière nominative, que ce soit lors des études techniques, de l’ouverture du chantier ou de sa réception», explique M. Haouch, qui ajoute: «Si la loi entre en application avec ce flou et en cas de problèmes, la juridiction compétente devra faire référence au DOC dans son article 769 et inculper directement l’architecte».
La loi complète l’article 53 de la loi 12.90 en introduisant de nouvelles responsabilités et obligations de l’architecte sans éclaircissements comme le contrôle des contrats des différents acteurs, de leurs assurances, de leurs cahiers des charges, de leurs études respectives avec les plans de détail et d’exécution avant l’ouverture du chantier. De même, elle a introduit l’obligation de la signature de contrats par le maître d’ouvrage ou par le promoteur immobilier avec tous les acteurs sans en préciser le contenu des missions légales et obligatoires de chacun. Un nouvel intervenant sous la responsabilité du maître d’ouvrage ou du promoteur immobilier a fait surface, sous le vocable de coordonnateur de la sécurité et de la santé dans le chantier. La loi ne précise ni sa formation ni ses obligations
Par ailleurs, la loi n’a pas fait mention à l’entrepreneur, chargé de la réalisation de la structure du bâtiment. «Il peut être n’importe quelle personne spécialisée dans la construction ou non. Autant elle a voulu combattre l’informel ou encore faire intégrer les structures informelles dans le circuit économique, autant elle a raté quelques passages», note notre architecte. D’autres lacunes sont également à combler, à l’instar de la date à partir de laquelle la garantie décennale commence (à la réception provisoire ou définitive), les prérogatives du promoteur, les limites des missions de chacun des intervenants…. «Dans le même temps, elle a alourdi la responsabilité et les missions de l’architecte», estime M.Haouch. D’ailleurs, il est le seul à être responsable et donc à être inculpé en cas d’effondrement ou tout autre problème, avant toute recherche du vrai auteur du drame. «Démarche qui ne se fait dans aucun pays du monde entier», compare Rachid Khayatey, architecte et directeur général de KLK.
Néanmoins, ce texte de loi a inséré des clauses visant les ingénieurs spécialisés chargés des études techniques, du contrôle technique ou encore ceux exerçant dans les laboratoires de construction, en leur imposant d’établir des rapports sur des aspects techniques du projet, les résultats des études et essais et vérifications. «Puisque la loi les mentionne, il faut donc mettre en place une structure qui les reconnaît, à l’instar des architectes et des géomètres-topographes, avec leur conseil national respectif», suggère M.Haouch.
Sur un autre volet et non des moindres, comment une telle loi peut-elle être appliquée sans que le secteur ne dispose d’un code de construction et d’un code de l’urbanisme ! «Afin de rendre cette loi efficace et applicable, il est impératif de mettre en place un code général de la construction en vue de disposer de normes de construction à respecter par tous», considère M. Haouch.
Aussi intéressante soit-elle, cette loi, telle qu’elle est actuellement, ne serait pas applicable. «Si elle a permis une chose, c’est celle de réunir tous les professionnels du secteur (architectes, promoteurs, ingénieurs, bureaux de contrôle, géomètres-topographes et la FNPI) au sein d’un groupement de réflexion», confie M.Khayatey. Une réunion sera tenue ce vendredi 27 décembre par tous les représentants des professions afin d’adresser une lettre au SGG. L’objectif n’est pas de contrer la publication d’une loi aussi importante mais de souligner les ambiguïtés qu’elle contient.