Affaires
Nabil Benabdellah : l’aide au loyer sera introduite en 2015
Elle profitera aux ménages démunis et sera généralisée après une phase pilote. Une garantie des propriétaires contre les défaillances des locataires est également prévue pour l’année prochaine.
Le déficit en logements descend de 840 000 unités en 2012 à 645 000 habitats actuellement.

Le dîner débat de La Vie éco consacré à l’immobilier, organisé le 13 mars, a fait, comme de coutume, salle comble. En rassemblant le ministre de l’habitat et de la politique de la ville, Nabil Benabdellah, le patron du groupe Al Omrane, Badr El Kanouni, Ahmed Rahhou, PDG du Crédit immobilier et hôtelier (CIH) et les promoteurs immobiliers, défendus par Youssef Ibn Mansour, président de la FNPI, l’évènement a eu le mérite de faire un tour d’horizon complet du secteur.
D’abord un constat alarmant : «La part de la population urbaine est aujourd’hui de 62% et l’on devrait passer à 75% d’ici 10 ans.
Si l’on ne parvient pas à orienter cette demande vers une offre immobilière structurée, elle se dirigera vers l’habitat insalubre», explique M. Benabdellah. Déjà que le ministère a du mal à combler les défaillances du parc d’habitation existant, qu’il traite à travers ses programmes de Villes sans bidonvilles, d’habitat menaçant ruine ou encore de mise à niveau de quartiers urbains. Le risque est d’autant plus grand de voir l’habitat insalubre se développer davantage qu’un terreau fertile existe déjà (défaillances de la gouvernance locale, nombreux lotisseurs clandestins…), dont le ministre ne fait d’ailleurs pas mystère.
Pour prendre donc les devants, la politique de l’Habitat consiste en la création de nouvelles zones ouvertes à l’urbanisation. Mais Youssef Ibn Mansour met un bémol. Le président de la FNPI estime que le Maroc déploie une politique d’urbanisme qui n’a pas les moyens de ses ambitions. Il cite en exemple les schémas et plans d’aménagement actuellement en vigueur qui sont en décalage complet par rapport à la réalité. Aussi, M. Ibn Mansour évoque le défaut de budgétisation des équipements publics. «A Casablanca, tous les équipements intégrés à des programmes immobiliers sont financés par les promoteurs alors qu’ils n’en ont ni la responsabilité ni les moyens», illustre-t-il. Il faut dire que le schéma directeur d’aménagement urbain de la ville n’a été financé qu’à hauteur de 15% pour ce qui est des équipements publics, soutient le président.
Plus que les nouvelles zones ouvertes à l’urbanisation, c’est bien l’offre de logements qu’il faut développer pour faire face à la demande future. Le ministère affiche des chiffres encourageants en la matière. Le déficit en logements est descendu de 840 000 unités en 2012 à 645 000 habitats actuellement. Grâce à cela, le ministre de l’habitat dit être en passe de réaliser son objectif de faire baisser le déficit en logements à 400 000 unités à fin 2016. On peut toutefois s’étonner de cette tendance baissière du déficit, sachant que ni en 2012 ni en 2013, le département de tutelle n’est parvenu à son objectif de production annuelle de 170 000 logements. Mais quoiqu’on en dise, le rythme reste bien orienté sur la dernière décennie, selon les chiffres officiels.
Logement pour la classe moyenne : l’offre de foncier public quasiment identifiée
Si, en 2003, la production plafonnait à 50 000 unités, elle n’est pas descendue
en dessous de la barre des 100 000 unités depuis cette année, à l’exception de 2009. Et pour la suite, le ministère de l’habitat envisage d’occuper tous les fronts pour continuer sur cette lancée et répondre à l’offre future.
Et c’est le nouveau dispositif de l’habitat subventionné pour la classe moyenne qui mobilise les équipes de la tutelle. Dans sa version actuelle, cette formule porte sur des appartements d’une superficie de 80 à 150 m2 que les promoteurs doivent proposer tout au plus à 6000 DH/m2 HT. D’emblée, la question se pose de savoir pourquoi l’on n’a pas opté pour des prix variables par région pour ces logements étant donné que la notion d’habitat pour la classe moyenne répond à des prix différents selon les villes.
M. Benabdellah répond qu’il ne faut pas se tromper sur les vraies capacités financières de la classe moyenne.
«A Salé, le logement moyen standing est proposé actuellement à 12 000 DH/m2», illustre le ministre. Du reste, le président de la FNPI précise que le prix de 6 000 DH/m2 est un maximum. «Dans les villes où les prix de marché du moyen standing sont moins chers, les promoteurs moduleront leurs prix», anticipe le professionnel.
En tout état de cause, il ne faut pas s’attendre à ce que le logement subventionné pour la classe moyenne provoque la même effervescence que celle induite par le logement social, avance M. Benabdellah. A ce titre, le ministère table tout au plus sur la production de 20 000 logements intermédiaires par an.
Qu’en est-il dans les faits? «Al Omrane s’est engagé à réaliser 4 468 unités dont 970 unités ont été lancées en 2013. Le tout devrait être livré au plus tard en 2015», annonce Badr Kanouni. 5 847 unités sont conventionnées avec les opérateurs privés de petite taille. La FNPI devrait à son tour mettre la main à la pâte, avec l’annonce dans les prochains jours de nouveaux programmes, informe M. Ibn Mansour, sachant que la fédération s’est engagée à réaliser 20 000 unités intermédiaires à fin 2016. Mais il faut bien préciser que tous ces projets dans le pipe ne concernent que les villes de taille intermédiaire.
Pour pouvoir investir les grandes villes, la FNPI reste intransigeante sur sa requête de modifier le cahier des charges du logement pour la classe moyenne de manière à introduire des normes d’urbanisme plus favorables en matière de densité et de hauteur, ce qui devrait permettre aux professionnels de diluer la charge foncière au niveau de leurs programmes. Pour sa part, l’Habitat semble dans l’immédiat plus soucieux de mobiliser du foncier public pour le dispositif. «Nous avons déjà déterminé des terres collectives et du foncier appartenant au domaine privé de l’Etat qui sera bientôt mis à la disposition des développeurs de programmes pour la classe moyenne via des appels à manifestation d’intérêt», dévoile le ministre de l’habitat.
Libéralisation des loyers du locatif social dans la prochaine Loi de finances
Mais le tout n’est pas que de donner un coup de pouce au marché de l’acquisition, la priorité est également de prêter main forte à la location. Sur ce plan, M. Benabdellah fait une annonce phare. «Le chef du gouvernement a donné son accord pour que l’on introduise dès l’année prochaine un fonds de garantie protégeant les propriétaires contre les défaillances des locataires». Le dispositif proposé sans succès dans la Loi de finances 2014 et qui devrait donc être reconduit dans le prochain budget sera alimenté par une cotisation versée par les propriétaires ne dépassant pas 5% du loyer et pourra être mis en jeu si la loi ne suffit pas à couvrir le propriétaire.
Dans la foulée, le ministère devrait faire adopter dans la prochaine Loi de finances sa proposition d’aide au loyer en faveur des ménages démunis. Celle-ci nécessitera néanmoins de mener d’abord des expériences pilotes afin de roder le dispositif.
Autre annonce importante en matière de locatif, l’Habitat a l’accord du chef de gouvernement pour déplafonner les loyers du locatif social. Pour rappel, ce dispositif prévoit que des investisseurs privés acquièrent des logements sociaux et qu’ils les mettent en location en exonération de l’IR et de l’IS sur les loyers ainsi que de l’imposition des plus-values en cas de cession à l’issue de la période de location. Jusqu’à présent, le dispositif est assorti de l’obligation d’un loyer plafonné à 1 200 DH, qui devrait en théorie être supprimé dans le prochain budget.
Ceci, ajouté à la récente révision de la loi régissant les rapports entre locataires et propriétaires, visant à rééquilibrer les forces entre les parties, laisse penser que le locatif social pourrait enfin susciter l’engouement des investisseurs. Mais le fait est que «les rapports difficiles entre locataires et propriétaires sur les dernières années sont tellement ancrés dans les esprits qu’il faudra nécessairement du temps pour que la nouvelle loi rétablisse la confiance», relativise le patron du CIH. Cela étant, M. Rahhou précise que le seul élément qui fera pencher la balance en faveur du locatif social est son taux de rentabilité. En retranchant les charges, taxes et coût des impayés, il faut que le locatif social rapporte entre 4 et 5%, explicite le banquier. C’est, en effet, le retour sur investissement que les investisseurs institutionnels (caisses de retraite, compagnies d’assurance…) attendent habituellement du placement locatif.
Financement : la sélectivité dans la distribution des crédits est nécessaire
«Mais s’il n’y a pas d’accompagnement du secteur immobilier par le financement bancaire, toute la politique publique en la matière est remise en question», prévient M. Benabdellah. Or, il se trouve que «les banques continuent de se montrer frileuses, restreignant leurs financements aux promoteurs et aux acquéreurs depuis plus d’un an», se plaint M. Ibn Mansour. En réaction, M. Rahhou explique que les décisions d’octroi de crédit au secteur immobilier sont guidés aujourd’hui essentiellement par la demande. «Il est évident que sur des marchés caractérisés par une suroffre, nous allons nous montrer plus vigilants». Le banquier estime que cela est in fine bénéfique pour le secteur puisque avec cette démarche, les financements ne sont accordés qu’aux projets immobiliers connaissant un bon rythme de commercialisation, ce qui induit des remboursements de crédit plus rapides et la possibilité de re-prêter à d’autres opérateurs. En outre, «les crédits immobiliers représentent aujourd’hui le tiers des financements bancaires. Il ne faut pas encourager un effet de bulle et financer un secteur aux dépens d’autres qui ne se développent pas de la même façon alors qu’ils sont censés alimenter le pouvoir d’achat des acheteurs potentiels de logements», insiste M. Rahhou.
Fogarim : les impayés ont complètement dérapé dans certaines zones
Outre le crédit immobilier conventionnel, le financement garanti par l’Etat à travers le Fogarim suscite également la polémique. Pour circonscrire le problème, c’est en fait le Fogarim lié au programme Villes sans bidonvilles qui est concerné, et qui n’est aujourd’hui plus distribué que par le CIH et la Banque Populaire. «Tous les crédits connaissent un problème de paiement sur ce segment», s’alarme le patron du CIH. Le plus préoccupant, dévoile le banquier, est que dès qu’un défaut de paiement survient dans une zone, le phénomène se généralise par effet de contagion. «Et la situation s’est tellement dégradée dans certaines zones que nous n’y accordons plus de crédits Fogarim VSB», reconnaît M. Rahhou. Pour redresser la situation, le patron estime que tout le secteur bancaire doit mettre la main à la pâte.
L’idée est que les banques qui ne souhaitent pas accorder directement de crédit Fogarim financent celles qui le font, selon la logique du Play or Pay. Concrètement, il s’agirait pour les banques non participantes de souscrire des obligations sécurisées (dont le cadre est en voie d’adoption) qui financeront les établissements impliqués dans le dispositif, ces derniers bénéficiant de fait d’un financement bon marché. D’autres investisseurs institutionnels peuvent également être appelés en renfort telles que les compagnies d’assurance.
