Affaires
Mohamed Boussaïd : 2009 sera difficile mais le Maroc a les moyens de résister
En 2009, la croissance mondiale du tourisme sera nulle. Le Maroc devra donc prendre des parts de marché aux autres destinations.
Le ministre du tourisme lance un défi : maintenir un taux de croissance de 7% pour 2009 comme pour 2008.
Cap 2009 ne se substitue pas à la Vision 2010 mais la complète.

La Vie éco : Le ministère du tourisme s’apprête à lancer Cap 2009, un plan d’urgence. Mais, en matière de séjours touristiques, les programmations se font des mois à l’avance, si bien que l’on risque de rater le premier trimestre de l’année prochaine…
Mohamed Boussaïd : Il est vrai que, pendant longtemps, les réservations se faisaient bien à l’avance. Mais aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas. Les comportements constatés font apparaître plutôt des décisions de dernière minute, encouragées par le foisonnement des offres, le développement d’Internet et du low cost. Aussi, si on peut connaître grosso modo les grandes tendances, les résultats d’une saison ne sont connus que lorsque celle-ci est terminée et ce constat est confirmé par des enquêtes. La dernière en date, réalisée récemment en France, montre que, pour la saison d’hiver, 40% seulement des vacanciers ont réservé à l’avance. Sur l’ensemble des sondés, 42% disent choisir la destination et acheter le voyage par Internet et, pour la première fois, Internet surclasse les agences de voyages classiques.
Il est vrai que les brochures des TO pour l’été prochain sont commercialisées dès à présent, mais il reste encore une grande marge et c’est autant de business qu’il faut savoir attirer en incitant le touriste à choisir le Maroc, notamment par le rapport qualité/prix.
Et le plan Cap 2009 est à même de permettre cette réalisation…
Cap 2009 se justifie par le poids du tourisme dans notre économie et la priorité qui lui est donnée. C’est un secteur lié à des marchés extérieurs, donc extrêmement concurrentiel, qui interagit avec la santé des économies et, en ce sens, il ne dépend pas uniquement du Maroc mais de la demande touristique externe. Notre devoir est d’élaborer des scénarios et d’anticiper sur cette évolution à l’échelle mondiale. La crise est là. Elle frappe le pouvoir d’achat des ménages dans les marchés émetteurs et l’on sait que le loisir constitue le ventre mou du budget de ces ménages, ce qui se traduit par la baisse de la demande. A ce sujet, l’Organisation mondiale du tourisme, après avoir établi des prévisions de croissance de la demande touristique autour de 5,7% pour l’année 2008, a ramené ses prévisions à 2%. Pour 2009, elle prévoit une croissance nulle. En un mot, pour l’année prochaine chaque client supplémentaire sera enlevé à une autre destination. Et personne ne peut aujourd’hui dire combien de temps va durer cette conjoncture.
Notre devoir en tant que gouvernement est de prendre conscience de ce contexte et de ne pas nous voiler la face, et c’est ce que nous faisons, en accord avec les professionnels. Car Cap 2009 n’est pas une émanation du gouvernement mais des professionnels eux-mêmes qui ont travaillé pour anticiper sur cette évolution, pour sauver nos parts de marché et, pourquoi pas, en conquérir de nouvelles.
L’approche pour Cap 2009 préconise de s’appuyer sur un nombre restreint de partenaires-clés. Vous jugez aujourd’hui qu’il y en a trop ?
Pas du tout. Cap 2009 a besoin d’être exécuté convenablement et il ne faut pas être 1 000 pour le faire. C’est davantage dans un souci d’efficacité. Tout le plan consiste à attirer des clients dans un contexte où ces derniers sont moins nombreux. En premier lieu, il s’agissait de produire toutes les idées pour défendre nos parts de marché et en conquérir d’autres. Concrètement, nous allons doper toute la partie promotion en lui consacrant un budget supplémentaire et nous allons responsabiliser les CRT, en demandant à chacun d’entre eux de préparer rapidement un plan d’action de manière à décliner les idées proposées dans Cap 2009.
Ne pensez-vous pas qu’il risque d’être trop tard d’ici là ?
Non, tout ce travail devra être fait impérativement avant le 10 janvier. Ce plan comprend beaucoup d’actions conjoncturelles pour répondre à la situation actuelle de crise, mais il y a aussi des actions structurelles dont celles de rendre les CRT plus responsables, tant il est vrai qu’ils n’ont pas beaucoup de moyens et qu’ils connaissent des problèmes au niveau organisationnel, etc. Il y a aussi des actions qui ne seront pas réalisées en 2009, mais il s’agit dans ce cas d’enclencher des processus.
Mais toute cette réflexion n’aurait-elle pas dû être menée depuis le début pour accompagner la Vision 2010 ?
Il y a un élément important à préciser à ce niveau : Cap 2009 ne remplace pas la Vision 2010. Cette dernière constitue une stratégie, intégrée, homogène, cohérente, et partagée. Elle comporte des chantiers dont certains sont très avancés et d’autres qui le sont moins. Cap 2009 ne se substitue pas à la stratégie et ne constitue pas non plus une nouvelle stratégie. C’est un dispositif qui vient la compléter pour tenir compte d’une conjoncture dont personne ne peut évaluer la dimension ni la durée.
L’état des lieux fait dans le cadre de ce plan évoque des facteurs de risque comme le ralentissement des investissements, la déprogrammation du Maroc…Ces facteurs sont-ils retenus à titre d’hypothèses ou parce que vous avez commencé à ressentir les effets de certains ?
Je peux vous assurer qu’aujourd’hui il n’y a rien de tout cela. Pour 2008, et les chiffres le démontrent, nous sommes toujours sur la meilleure tendance par rapport à d’autres destinations. Mais dans le cas où cette conjoncture affecterait le secteur, il faut anticiper, de manière à apporter des réponses, d’où Cap 2009.
Sur quel taux de croissance peut-on raisonnablement tabler pour 2009 ?
Tout ce que je peux vous dire c’est que la croissance sera positive, mais personne ne peut prévoir de combien. Prenons par exemple l’année 2008 : à fin octobre, la Tunisie a réalisé une croissance de 3,4% en arrivées, la Turquie a fait 10% de plus , la Croatie 2%, Chypre -0,6% et le Maroc a fait +6%. Alors que la demande n’a évolué, selon l’OMT, que de 2%, nous clôturerons l’année avec +7%. Et c’est cette tendance-là que je promets de maintenir l’année prochaine.
Combien va coûter la mise en œuvre de Cap 2009 ?
Nous disposons d’un financement supplémentaire de 50 millions de dirhams dans le cadre du budget de l’ONMT qui seront entièrement consacrés à la mise en œuvre de ces mesures, et si un effort supplémentaire s’avère nécessaire, nous trouverons un autre financement avec l’aide de nos partenaires.
Où ira-t-on chercher ces touristes supplémentaires pour maintenir la tendance si le marché mondial stagne ?
Le tourisme marocain est un tourisme très différencié, et le revenu de notre tourisme montre que nous avons un tourisme plutôt haut de gamme, même si nous offrons aussi un tourisme de masse. Donc, nous ne sommes pas en compétition avec le tourisme bas de gamme. Nous irons chercher les touristes là où le pouvoir d’achat n’a pas été affecté par la conjoncture, notamment dans les pays du Golfe, en Europe de l’Est. Mais nous devons aussi maintenir nos parts dans nos marchés traditionnels.
Ne pensez-vous pas justement que le Maroc est resté trop dépendant de ces traditionnels marchés émetteurs, notamment la France et l’Espagne.
Il y a deux raisons à celà. La première est relative aux moyens limités dont nous disposons. Nous ne pouvons pas faire de la promotion dans le monde entier. En deuxième lieu, quand on veut s’adresser à un marché donné, il faut disposer du produit adéquat. Le marché arabe est prometteur, certes, mais complexe. Il s’agit d’un tourisme familial et de shopping et nous sommes en train de nous préparer pour ce genre de clientèle en offrant des logements adaptés, notamment dans les resorts, et du shopping dans des villes comme Casablanca. Le tourisme n’est pas un long fleuve tranquille, et ceux qui réussissent sont ceux qui savent s’adapter.
Cela ne risque-t-il pas de déboucher sur un positionnement confus ?
Absolument pas. Notre positionnement est très clair : c’est plutôt un tourisme haut de gamme avec une diversité de produits, un tourisme que je qualifierais d’authentique, diversifié et différencié, parce qu’il met en avant notre culture et notre civilisation. Nous sommes l’un des rares pays où la première destination qu’est Marrakech est culturelle. Les gens sont attirés par le Maroc parce qu’on leur offre le produit qu’il faut. Nous offrons toute une gamme de produits : balnéaire, culturel, de niches, city break, désert, etc. Et quand on parle de tourisme haut de gamme, c’est en référence au revenu par touriste. L’autre atout réside dans le fait que beaucoup d’enseignes haut de gamme sont en train de s’installer chez nous, notamment à Marrakech. L’année prochaine, nous allons avoir 20 000 lits supplémentaires.
Quid du plan Azur, sera-t-il affecté ?
Non. 2009 connaîtra l’ouverture de deux stations, en l’occurrence Saïdia, en juin, avec 3 000 lits, et Mazagan, en octobre, avec environ 500 lits.
Pour Lixus, les travaux ont commencé au niveau des premières unités, le premier hôtel Sofitel est à Mogador, et pour Taghazout, les constructions vont démarrer en janvier prochain.
Qu’en est-il des retards accusés pour certaines stations ?
J’ai souvent essayé d’expliquer la complexité qu’il y a à gérer et construire une station. C’est vrai, il y a eu des dérapages, et je comprends tout à fait les attentes que le plan Azur a suscitées. Nous faisons l’impossible pour ouvrir les stations à très court terme, même si ce n’est pas dans les temps, et dans une conjoncture qui n’est pas des plus favorables.
Il ne suffit pas de construire des hôtels. Le tourisme, c’est aussi un environnement: l’aéroport, la douane, le taxi, le guide… La Vision 2010 comprend un volet environnement, mais nous ne nous sommes pas encore attaqués à ce chapitre. Pourquoi ?
Je suis d’accord avec vous sur le fait que construire des lits est ce qu’il y a de plus facile et qu’améliorer l’environnement présente de tout autres difficultés. Mais on ne peut nier que beaucoup de choses ont été faites. Le Maroc est aujourd’hui un grand chantier : on construit des autoroutes, les villes sont en train d’être embellies, il faut saluer l’action de la police touristique pour le travail d’assainissement qu’elle fait. Je le concède, il n’y a pas de limites au perfectionnement et nous allons réussir si nous arrivons à offrir une expérience touristique irréprochable à nos visiteurs.
Finalement, le ministère du tourisme peut élaborer des stratégies et des politiques mais, pour les appliquer, il reste tributaire des autres départements. Il ne peut rien faire tout seul en somme…
Comme vous le dites, le tourisme est un secteur transversal, et il existe des pays qui ont compris cette transversalité au point que tout le développement économique et social s’est greffé autour du tourisme. Cela veut dire qu’il faut une mobilisation générale au niveau du gouvernement, des autorités locales, des élus et des professionnels.
A-t-on une idée sur le taux de retour des touristes ?
Selon la dernière enquête qui a été réalisée sur un échantillon de 5 000 touristes, nous sommes passés d’un taux de 32% en 2001 à 42% en 2005. Il y a donc une amélioration.
Autre problème, le classement des hôtels. Certains affichent des 5 ou des 4 étoiles alors qu’ils ne les méritent pas et les touristes étrangers sont parfois déçus de la qualité des prestations par rapport au standing affiché…
Je vous accorde qu’il y a des hôtels qui ne méritent pas le nombre d’étoiles qu’ils affichent, et il faut les déclasser. Il existe aujourd’hui chez les walis concernés des dossiers pour déclasser les établissements qui ne sont pas au niveau. Il y a également un projet pour revoir le système de classement, qui est dépassé.
