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Affaires

Médecins, salariés dans le privé ?

Si le praticien reste un acteur nécessaire dans la réussite de tout projet d’investissement, il n’en est plus l’élément central. Il est juste un facteur au même titre que la structure, les équipements, voire le marketing et le branding de la clinique.

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Le secteur de la santé connaît un changement sans précédent. A la transition épidémiologique et démographique de notre pays qui a incité les pouvoirs publics à une réflexion pour la réforme du système s’est ajoutée la crise sanitaire qui a donné un coup de fouet à ces réformes. Ainsi, on assiste depuis cette année à la mise en place de la généralisation de la couverture sociale, la création de la haute autorité de santé, la réforme du statut de la fonction publique du secteur de la santé. Cette mise à niveau, qui est évidemment la bienvenue, ne peut se concevoir sans la participation des deux secteurs : public et privé.

YASSER SEFIANI
Professeur
de chirurgie vasculaire,
ancien directeur
du CHU Ibn Sina.

Depuis l’indépendance, les politiques de santé se sont toujours focalisées uniquement sur le secteur public, laissant le libéral se développer (ou pas) sans aucune vision ni structuration. Résultat, le modèle de cliniques était plus un regroupement des médecins pour disposer d’un outil de travail adapté à leurs besoins qu’un vrai modèle économique ou d’investissement. De même, les médecins faisaient le choix du privé soit par manque d’opportunités dans le secteur public, soit pour avoir la liberté de s’installer dans les villes de leur choix et éviter les affectations imposées dans le public. De ce fait, on se trouve actuellement devant une répartition quasi équitable (13 000 médecins dans chaque secteur) mais répartis de manière inégale dans le Royaume.

Encourager le libéral pour combler le manque
Ces transformations associées à une prise de conscience de nos concitoyens de leur droit à une prise en charge sanitaire non seulement quantitative mais surtout qualitative, aussi bien sur le plan médical que sur le plan humanisation des soins (accueil, communication, hôtellerie, réactivité) n’ont fait que révéler les défaillances du secteur public, surtout dans ce dernier volet. Ceci a créé une demande et donc l’obligation de recourir plus par besoin que par idéologie au secteur libéral un peu comme c’est le cas pour l’éducation.
Par conséquent, le politique s’est trouvé dans l’obligation d’encourager ce secteur et à le réglementer pour combler et compenser les défaillances constatées. Ainsi, on a assisté aux premières réformes : l’ouverture des capitaux, l’autorisation d’exercer accordée aux médecins étrangers, la généralisation de la couverture sociale confiée à la CNSS et les autorisations accordées aux facultés de médecine privées. Ce qui nous amène à poser la question suivante : qu’en est–il de la place des médecins dans ce système en mutation ?
Actuellement, les médecins sont dans leur grande majorité dans une situation contradictoire. Tout en demandant des conditions de travail et des rémunérations à la mesure de leurs études et de leur long parcours de formation, ils voient d’un mauvais œil l’arrivée de l’investisseur considéré comme une menace concurrentielle déloyale. Sachant que la majorité des médecins n’a pas les moyens financiers pour satisfaire les exigences réglementaires pour la création de leur propre structure. Ceci est dû à la cherté du foncier, des exigences médicales en termes d’équipements, de normes et de ressources humaines qualifiées, en sus de la qualité de l’hôtellerie de plus en plus concurrentielle. Les investisseurs, eux, ont des capacités de financement supérieures, un savoir-faire pour lever les fonds et surtout des délais d’amortissement et de rentabilité plus longs.

Les investisseurs ont besoin DE visibilité
Dans cette situation, le médecin reste un acteur nécessaire dans la réussite de tout projet d’investissement, mais il n’en est plus l’élément central. Il est juste un facteur au même titre que la structure, les équipements, voire le marketing et le branding de la clinique.
La logique de rentabilité des investissements tout en «respectant» la tarification, la transparence annoncée par les investisseurs et le maintien d’un niveau de prestations de qualité se fait naturellement par la réduction des honoraires des médecins qui reste pratiquement la seule variable d’ajustement. Par ailleurs, et contrairement à d’autres métiers libéraux confrontés au même challenge, les médecins ne brillent pas particulièrement par un esprit de corporatisme et de solidarité. La concurrence est palpable et peut parfois devenir néfaste pour la profession en termes de dénigrement et de conflits entre collègues. Conséquence : la relation investisseurs–médecins est devenue personnalisée (en fonction des intérêts spécifiques de chacun et non en termes de réflexion globale et uniforme). Et par déduction, la rémunération moyenne des médecins est logiquement sur une voie de décroissance.
Ceci devrait aboutir à un salariat des médecins dans le secteur privé, chose actuellement interdite par la loi. Mais le besoin du recours au secteur libéral, d’un côté, et la logique financière des investisseurs qui ont besoin d’une visibilité sur leurs charges et dont la rémunération des médecins représente un poste important, de l’autre côté, devrait pousser le législateur à modifier cela. Les cliniques et les praticiens peuvent trouver un accord incluant des primes d’intéressement, en plus des émoluments réguliers.
Ceci n’est pas une recommandation mais juste un constat pragmatique qui tient des tendances constatées dans les projets récents, ainsi que la volonté de la politique fiscale de mieux maîtriser ce secteur. Est-ce que ce serait une bonne chose ou pas ? La réponse n’est pas évidente, mais de toute façon et tenant compte des différences importantes entre médecins de spécialités diverses et au sein de la même spécialité, elle ne sera pas équitable pour tous.