Affaires
Maroc : Le déficit budgétaire à 5.5% du PIB, la première fois depuis 11 ans
La croissance économique, tirée par la consommation des ménages, tourne autour de 4.7%. Les dépenses de compensation et du personnel en très forte progression. Le niveau de la dette du Trésor pourrait s’apprécier davantage.
C’est le paradoxe de l’économie marocaine : sa croissance affiche des valeurs relativement élevées, dans un contexte de crise qui plus est, mais sans que cela améliore les finances de l’Etat. Ça été le cas en 2011 (en 2009 aussi) où la croissance, selon les estimations à la fois du ministère des finances et du Haut commissariat au plan (HCP), se situerait autour de 4,7%, alors que le déficit budgétaire atteindrait 5,5% du PIB. Ne parlons pas des finances extérieures, leur état s’est extraordinairement aggravé en 2011.
En fait, si la croissance a pu atteindre un niveau proche de 5% (soit la prévision de départ), c’est, une fois de plus, grâce au bon comportement de la demande intérieure. La consommation des ménages aussi bien que l’investissement ont en effet réalisé des taux de progression élevés : environ 6% et 5% respectivement.
La consommation des ménages, dont on connaît le poids dans le PIB (plus de 50%), a bénéficié de l’amélioration des revenus réalisée à plusieurs niveaux : augmentations des salaires décidées dans le cadre du dialogue social, bonne campagne agricole (plus de 70 millions de quintaux), hausse des envois des MRE (+7,3%, à 58,5 milliards de DH), et, on ne le dit pas assez, quasi-stagnation des prix, résultat d’une politique de soutien des prix, qui a évité l’importation de l’inflation à travers les matières premières, mais qui a «coûté» au Budget de l’Etat plus de 50 milliards de DH. Rappelons que l’inflation en 2011, mesurée par l’indice des prix à la consommation, n’a été que de 0,9%, soit le même niveau qu’en 2010 et presque autant qu’en 2009 (1%). Si l’on excepte le pic de 2008 (voir graphe), il y a, mine de rien, depuis 2007, une…désinflation qu’il est néanmoins difficile de faire admettre par le commun des consommateurs ! Cela reflète d’autant plus l’importance de l’intervention publique -par la compensation- que la variable monétaire n’a pas vraiment été utilisée pour atteindre un tel niveau d’évolution des prix : les taux d’intérêt, globalement, n’ont pas varié.
Ce soutien puissant de la demande intérieure, en particulier de sa composante «consommation des ménages», s’il «booste» la croissance, pèse lourdement, cependant, sur les finances publiques. Pourquoi ? Parce que le niveau de croissance des charges de compensation est incomparablement plus élevé que celui de la richesse nationale. En 2011, les charges de compensation ont progressé de 91,2%, quand la croissance n’a pas atteint 5%. Bien sûr, les dénominateurs n’ont pas la même importance mais, malgré tout, le doublement du montant des subventions ne pouvait que déteindre, négativement, sur le solde budgétaire.
Selon des sources diverses, y compris au ministère des finances, le déficit budgétaire, au titre de l’exercice 2011, a atteint 5,5% du PIB, soit, en valeur absolue, 44,4 milliards de DH. Ce chiffre, précisons-le, n’est pas définitif, puisque les comptes nationaux ne seront arrêtés par le HCP qu’à la fin du mois de mars. Mais dans tous les cas, et quelles que puissent être les révisions qui pourraient lui être apportées, le déficit ne sera pas en dessous de 5%, assure-t-on chez les Finances. A fin novembre, déjà, le solde négatif du budget était de 42,2 milliards de DH, selon la direction du Trésor et des finances extérieures du ministère des finances, citée par Bank Al-Maghrib qui publiait cette statistique.
Masse salariale : 11% du PIB contre 10,3% en 2010
Comme on le voit, ce niveau de déficit est inférieur au montant de la compensation. Cela signifie que sans les charges de compensation, l’Etat aurait engrangé un excédent, comme ce fut le cas en 2007 et en 2008. Rappelons à cet effet qu’en 2007, les subventions n’étaient «que» de 16,35 milliards de DH. Le PIB avait alors enregistré une progression de 2,7%, mais surtout le PIB non agricole (générateur de recettes fiscales) avait atteint 5,5%. En 2008, même si les charges de compensation avaient été multipliées quasiment par deux, en atteignant 31,5 milliards de DH, les recettes fiscales, on s’en souvient, réalisèrent une remarquable performance : 167,3 milliards de DH hors TVA des collectivités locales, soit une augmentation de 23,7%. C’est qu’en 2008, la croissance économique a été de 5,6%, avec un PIB hors agriculture de 3,7%. Cela montre, on l’a déjà noté, une certaine élasticité des recettes fiscales par rapport à l’évolution du PIB, même si le travail de l’administration, via l’amélioration du recouvrement, y est aussi pour quelque chose.
Outre la compensation, les dépenses de personnel ont également pesé dans le déficit. Prévues à un peu plus de 86 milliards de DH, elles ont été réalisées à 88 milliards de DH, soit une croissance de 12% par rapport à 2010. Ce faisant, elles représenteraient près de 11% du PIB, un niveau qui n’a pas été atteint depuis 2005.
Cet accroissement de la masse salariale, disons-le, découle moins des recrutements que des revalorisations des rémunérations dans la fonction publique décidées dans le dialogue social.
Heureusement que des économies ont été réalisées sur les dépenses de biens et services, appelées communément les dépenses du train de vie de l’Etat. Le montant serait de 5 à 6 milliards de DH d’économie, selon des sources au ministère des finances. En 2010, également, une économie sur cette dépense de l’ordre de 8 milliards de DH avait été réalisée, mais cela n’a pas empêché que le déficit budgétaire s’établisse à 4,6% du PIB.
Et ce qui complique un peu plus la situation désormais, c’est l’apparition depuis 2010 de déficit primaire (qui exprime le solde budgétaire avant le paiement des intérêts de la dette). En 2010, en effet, le déficit primaire était de 2,3% du PIB. En 2011, il dépasserait les 3% du PIB. A fin novembre, ce déficit était déjà de 25,1 milliards de DH.
Pourquoi cela complique-t-il la situation ? Parce que l’existence d’un déficit primaire signifie que pour payer les intérêts de la dette (18,23 milliards en 2011), il faut encore s’endetter. Mais, précision importante, un tel cas de figure n’indique pas que les recettes ont baissé ou insuffisamment progressé. Cela reflète seulement des choix budgétaires, selon lesquels on privilégie d’abord la consommation (via les dépenses de compensation en l’occurrence) et l’investissement.
Le résultat de cette politique, dite expansionniste, s’il encourage la croissance, notamment par la demande intérieure, plombe souvent, quand elle dure, l’endettement du Trésor. Certes, le Maroc a encore un niveau d’endettement de l’administration (50,3% du PIB en 2010) très acceptable. Mais, c’est tout de même une rupture par rapport à la tendance baissière entamée depuis plus d’une dizaine d’année. Il faut rappeler que c’est depuis 2010 que la remontée de la dette du Trésor a commencé en s’établissant à 50,3% du PIB au lieu de 47,1% un an auparavant. Quid de 2012 ?