Affaires
Marchés de gros : un modèle de gestion à rénover
Ce n’est pas un secret: entre le producteur et le consommateur, les prix des fruits et légumes passent du simple au double, voire plus. C’est dire à quel point le marché intérieur est désorganisé au grand dam de l’agriculteur et des ménages, et parfois même des grossistes. L’illustration est l’état de la majorité des marchés de gros des fruits et légumes. Représentant le cœur du circuit de distribution à la fois des produits domestiques et importés, les marchés de gros des fruits et légumes sont tous gérés directement par les communes. Seul le marché de gros de Casablanca est géré depuis 2015 par Casa-prestations – une société de développement locale – dans le but de le moderniser et d’améliorer ses recettes (voir notre reportage en page 28). Professionnels, grossistes et associations de défense des droits des consommateurs déplorent à l’unanimité l’état de ces plateformes censées être les vitrines de la production agricole. «Il est inadmissible que le marché de gros d’une ville comme Marrakech ne dispose même pas d’un système de froid», s’insurge un grossiste au marché de gros de la ville ocre. La situation dans la région de Souss Massa n’est pas meilleure. «Le marché de gros d’Inezgane est indigne d’une région à vocation agricole, qui approvisionne aussi bien le marché national et qu’international», déplore Mohamed Moflih, directeur de la Fédération interprofessionnelle des fruits et légumes (Fifel).
Pour leur part, les producteurs d’agrumes réunis au sein de l’ASPAM ont décidé de mener une étude portant sur le marché intérieur pour identifier les sources de dysfonctionnement. Il y en a qui sont déjà connues. «La principale problématique structurelle demeure l’opacité du marché intérieur et la multiplicité des intermédiaires», nous expliquait M. Derrab, directeur de l’ASPAM.
Des grossistes informels dans les banlieues des grandes villes
A ces irrégularités s’ajoute la distribution informelle. Celle-ci est presque banalisée dans de grands marchés parallèles ou auprès de détaillants ambulants. «Ces commerçants ne paient pas de taxes à la commune, ce qui représente un manque à gagner conséquent et une concurrence déloyale vis-à-vis des grossistes qui reversent entre 6 et 7% de leur chiffre d’affaires dans les marchés de gros», confie une source au sein de la Business unit des marchés de gros à Casa prestations.
Le grand marché d’Errahma est en effet un cas d’école. Ce dernier approvisionne une bonne partie des quartiers situés au sud de Casablanca. «Même si une grande partie des fruits et légumes consommés à Casablanca passent par le marché de gros, les marchés et les détaillants informels se développent et commencent à nuire au tissu formel», explique Abderrazak Chabi, secrétaire général de l’association du marché de gros des fruits et légumes de Casablanca (AMGFLC). Selon d’autres grossistes au fait des dessous du circuit informel, ces distributeurs informels disposent d’installations frigorifiques et de dépôts clandestins.
A Rabat, l’informel a depuis longtemps cassé le marché de gros. «78,24% des fruits et légumes ne transitent pas par le marché de gros», lit-on dans un rapport de la Cour des comptes datant de 2010. Résultat des courses: le manque à gagner pour la commune de la capitale a été estimé à l’époque à 24,26 MDH rien qu’en 2009. A Marrakech, le marché de gros qui avait auparavant une portée régionale n’arrive plus à attirer les grossistes des villes environnantes. «Les grandes surfaces et les marchés informels ont pris le dessus sur le marché de gros où ne transitent que 40% des fruits et légumes consommés à Marrakech, d’autant plus que les commerçants des villes avoisinantes comme Chichaoua, El Kelaâ, Safi et Ouarzazate préfèrent depuis longtemps Agadir» , explique notre source. En cause, «l’absence d’un système de froid au sein du marché et la présence de cageots et caisses de très mauvaise qualité» , selon notre interlocuteur. Et d’enfoncer le clou : «Dans les marchés de gros les pratiques ne respectent pas le b-a-ba de la logistique, du conditionnement, du tri et du calibrage ; chose qui dessert notre agriculture et sape les efforts consentis dans le cadre du Plan Maroc Vert».
Partout dans le monde, l’existence de grossistes est somme toute ordinaire. Ces professionnels ont des missions importantes à jouer : lier l’amont productif à l’aval commercial, valoriser et conserver les produits jusqu’à l’assiette, exiger le respect des normes et standards, mais il n’y a pas que cela. «Les grossistes sont les garants de la sécurité alimentaire et de la paix sociale. Certes, nous sommes rémunérés pour ça, mais c’est une mission noble», indique Abderrazak Chabi. «Un grossiste achète, stocke et revend la production en assumant des risques liés aux aléas du marché et aux conditions de stockage en supportant des frais. Ça lui arrive même de récolter et de cueillir lui-même la production et doit gérer la relation avec l’agriculteur et le fidéliser», détaille-t-il. Exemple : les frais d’emballage, de transport, de frigos ainsi que la taxe d’accès au marché se situent entre 1 et 3 DH le kilogramme pour une bonne partie des fruits et légumes, à en croire une estimation de l’AMGFLC. «Je suis moi-même sidéré quand je constate que des choux et des tomates vendus respectivement à 0,50 DH et 1,50 DH/kg au marché de gros sont écoulés à 5 DH et 4 DH chez les détaillants alors que nos marges ne dépassent pas au mieux quelques centimes», observe-t-il. Selon lui, même si l’on suppose l’existence de trois intermédiaires au marché de gros, les prix chez les détaillants demeurent trop élevés.
Le mouvement consumériste exige un débat national et la refonte du cadre légal
Pour la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), le cadre réglementaire et le système de distribution doivent être revus. Le dahir 1-62-008 relatif à l’attribution des charges des mandataires des marchés de gros date de 1962. Les marchés de gros sont un monopole des collectivités territoriales, donc «des élus et des contingences politiques. Avant 2011, il y avait une direction qui contrôlait le marché intérieur au sein du ministère du commerce, mais elle n’existe plus. Entre producteur et consommateur, il y a toute une myriade d’intermédiaires parasites» , tonne Bouaazza Khrati, président de la FMDC, qui réclame la fin de ce qu’elle qualifie de «monopole du marché de gros de Casablanca sur l’approvisionnement du marché national» .
En clair, il faudra doter chaque région d’une plateforme régionale. «Il est aberrant que la tomate d’Agadir soit transportée à Casablanca pour une première vente avant de revenir à Agadir», conclut Khrati. Des suggestions et des schémas de réforme de l’aval du secteur émergeront sûrement des débats qui auront lieu lors du Siam.
[tabs][tab title = »Modernisation des marchés de gros : ce que prévoit la tutelle »]Le schéma national d’orientation et de modernisation des marchés de gros des fruits et légumes prévoit la mise en place de 32 marchés de nouvelle génération au lieu de 38 actuellement, à en croire le ministère de l’agriculture. Ils seront dotés d’infrastructures modernes, d’un mode de gouvernance approprié (société de développement local, partenariat public – privé,…) et d’un système de rémunération optimisé (sources de revenus déconnectés des ventes : droits de 1ère occupation des magazines, loyers mensuels, péage à l’entrée, …). Trois projets pilotes à Rabat, Berkane et Meknès seront lancés dans une première étape. Celui de Rabat est à un stade très avancé ; la convention s’y rapportant est signée par les partenaires concernés. Ce marché sera construit au niveau de la Commune de Sidi Bouknadel, à Salé, par la société «Rabat-Région-Aménagement» sur une superficie globale de 100 ha, dont 60 ha pour la 1ère phase. L’investissement projeté est de près de 550 MDH. La gestion du projet sera assurée par une société de développement local à créer.[/tab][/tabs]
[tabs][tab title = »Système Asaar, un tableau de bord qui véhicule la transparence »]Conçu par le ministère de l’agriculture, le système d’information ASAAR est un dispositif qui a pour objectif de rendre le marché plus transparent, et d’améliorer ainsi les anticipations, les arbitrages et la prise de décision par les acteurs économiques. Bien que ciblant les opérateurs privés du marché (agriculteurs, commerçants et consommateurs), ce système fournit également au gouvernement des informations importantes sur la conjoncture du marché, dans un objectif d’aide à la décision dans les domaines de politiques agricoles et de sécurité alimentaire. La solution est constituée : • d’une base de données pour le stockage et le traitement des prix collectés et une application centrale pour l’administration et le paramétrage de l’ensemble des composantes du système. La base de données est alimentée automatiquement et en temps réel par les données transmises ; • d’une application mobile embarquée sur des téléphones pour la collecte et la transmission des données via le réseau 3G ou GPRS ; • d’un site web dynamique accessible au grand public permettant l’affichage des prix quotidien, l’historique des prix, les analyses des différents marchés….etc.[/tab][/tabs]