Affaires
Marché du carbone : la tonne de CO2 se vend entre 6 et 8 euros contre 30 euros en 2006
Trop de quotas en circulation et pas assez d’émissions de CO2 à échanger. L’excédent de quota était estimé entre 1.4 et 2 milliards de tonnes à la mi-novembre. Malgré tout, les industriels marocains maintiennent leur démarche d’efficacité énergétique.
Le marché du carbone ne fait plus recette. Le prix d’un quota, également appelé droit d’émission de gaz à effet de serre, équivalent à une tonne de carbone, s’est en effet lentement effondré en l’espace de plusieurs mois. Durant la première phase du mécanisme (2005-2007), le cours de ce quota atteignait par exemple 30 euros en 2006. En 2009, pendant la phase II (2008-2012), il tournait autour de 15 euros. Depuis plusieurs mois, la tonne de CO2 oscille entre 6 et 8 euros sur le marché européen, autrefois véritable fer de lance du mécanisme.
Instauré en 2005, ce marché pesait en 2011 environ 80 milliards d’euros et 6 milliards de quotas, soit une progression de 6% en valeur et 17% en volume par rapport à l’année précédente. «Si les prix ont crashé, c’est parce que l’offre est aujourd’hui supérieure à la demande», explique une experte marocaine en la matière, sous couvert d’anonymat. Autrement dit, il y a à l’heure actuelle trop de quotas en circulation et pas assez d’émissions de CO2 à échanger. Le marché européen attribue chaque année des permis de polluer à quelque 11 000 industries européennes. Avec la mise en place de ce mécanisme il y a 7 ans, les industriels ont été rapidement encouragés à mettre en place des projets de réduction des émissions de carbone grâce à un cours élevé.
Et avec la crise économique qui touche l’Europe depuis 2008, ces industriels ont également de façon automatique réduit leurs émissions de gaz à effet de serre. Résultat, à mi-novembre, l’excédent de quota est estimé entre 1,4 et 2 milliards de tonnes. A la veille du lancement de la phase III, au 1er janvier 2013, la Commission européenne tente timidement de sauver le système. Plusieurs scénarios sont imaginés. L’un d’entre eux prévoit de geler pendant deux ans 900 millions de quotas sur les 8,5 milliards qui seront aux enchères. Ils seront par la suite réintroduits lorsque le marché se portera mieux. Le Conseil européen devrait se prononcer le 13 décembre prochain. Le Parlement européen le fera d’ici février 2013. Dans le même temps, la Commission européenne a d’ores et déjà décidé de geler la taxe carbone sur le secteur aérien jusqu’à fin 2013. Preuve que le marché du carbone est sous tension, la Bourse du carbone BlueNext fermera ses portes le 5 décembre. Celle-ci n’a en effet pas été retenue pour suivre la phase III.
L’intérêt financier des projets d’efficacité énergétique s’est rétréci
Cette situation pourrait évidemment mettre à mal la volonté des industriels de s’engager dans des projets d’efficacité énergétique. «Le mécanisme d’échanges de quotas était une stratégie énergétique prometteuse. Avec le changement climatique, nous n’avions pas le choix de toute façon. Nous pouvions alors compter sur ce système. Aujourd’hui, au vu de la situation, il est vraiment dommage que le Maroc entre dans l’économie verte et ne puisse plus bénéficier de ce mécanisme», explique ainsi notre experte marocaine. En tant que pays en développement, le Maroc peut bénéficier du Mécanisme de développement propre (MDP) qui lui permet d’entrer sur le marché du carbone en vendant les crédits carbone qu’il a engendré grâce à des projets de réduction d’émission de gaz à effet de serre. Le sucrier Cosumar en a fait l’expérience.
Son projet de valorisation de la bagasse pour la Surac, à Mechraâ bel Ksiri près de Kénitra, est ainsi opérationnel depuis 2009. «En 2009, nous avons signé un contrat avec Eco Securities. Nous avons convenu avec eux d’un prix fixé jusqu’à la fin du contrat en 2013, soit le début de la phase III. Eco Securities prend tout le processus à sa charge. Aujourd’hui, nous sommes en train d’étudier différentes offres de cabinets. Nous devons nous décider d’ici 2013», confie Aziz Derj, directeur développement durable à la Cosumar. Ce contexte difficile n’empêche en tout cas pas l’industriel de réfléchir à la mise en place de nouveaux projets d’efficacité énergétique. «Le MDP était un plus et ne l’est plus. Néanmoins, ce type de projet, nous ne les faisons pas simplement pour avoir l’étiquette de MDP. Nous le ferions de toute façon car nous sommes dans une démarche de Responsabilité sociale entreprise (RSE). Nous réfléchissons à des projets que ne pourrions réaliser, notamment dans l’énergie solaire», explique Aziz Derj.
Chez Lesieur Cristal, on fait preuve de la même volonté. Son projet de chaudière à grignons, déjà opérationnel, en est au stade final de son enregistrement auprès de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). «La cession des crédits carbone est effectivement un plus mais n’est pas notre principale motivation. Grâce à cette chaudière, nous avons pu économiser 2 500 tonnes de fuel importé. Nous nous battrons pour l’enregistrement de notre projet et persévérons dans cette voie pour asseoir notre dynamique de développement durable», explique Mustapha Hassini, directeur industriel à Lesieur Cristal. Une deuxième chaudière doit être mise en service en 2013. La société économisera ainsi près de 6 000 tonnes de fuel importé.
Même son de cloche auprès de Segedema, gestionnaire de la décharge contrôlée d’Oum Azza, à Rabat. La société a déposé un projet MDP à la CCNUCC en 2010 pour son projet de méthanisation. La validation reste en attente. «Notre projet ne représente pas un intérêt financier pour nous, mais avant tout un intérêt environnemental, sans oublier qu’il représente un intérêt pour l’exploitation de la décharge. Malgré la situation actuelle, nous continuons donc l’aventure. Mais bien sûr, nous gardons l’espoir que les cours remontent», témoigne Gérard Prenant, DG de Segedema. Ce dernier nous confie par ailleurs que le Fonds d’équipement communal (FEC), dans le cadre son partenariat avec la Banque mondiale, tente de négocier avec celle-ci une garantie des cours. Des négociations, il y en a aussi en ce moment à Doha. Réunis au Qatar du 26 novembre au 7 décembre, les pays partis prenants du protocole de Kyoto tenteront tant bien que mal de fournir à ce dernier un digne successeur, arrivé à échéance il y a presque un an.