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Affaires

Marchands ambulants au Maroc : «On assiste à  une forme de siba urbaine»

Questions à  Mohamed LAOUDI, Chercheur, Enseignant.

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Mohamed LAOUDI 2011 07 04

La Vie éco : Comment expliquez-vous l’envahissement des rues par les marchands ambulants ?
M. L : Le phénomène s’amplifie en parallèle avec l’aggravation de la crise sociopolitique et économique dans notre pays. S’y ajoutent les effets pervers de la mondialisation qui a démesurément amplifié le chômage et la pauvreté urbaine. Ceci dit, l’évolution n’est pas seulement quantitative, elle concerne aussi l’élément humain, dans la mesure où de plus en plus d’éléments jeunes plutôt d’origine citadine, dont de nombreux diplômés universitaires, exercent le métier de marchand ambulant.
On est loin de la masse d’émigrants ruraux analphabètes fuyant la sécheresse et la misère du monde rural des années 80, période de mon travail d’enquête. Le plus inquiétant dans cette évolution réside dans le fait que des mouvements intégristes radicaux ont réussi, malgré la stratégie de développement humain lancée par l’Etat, à infiltrer les marchands ambulants, notamment en finançant leur commerce. Le fait que de nombreux jeunes impliqués dans des actes terroristes exercent ce genre d’activités n’est pas un hasard.  

Le chômage est-il vraiment la seule cause de cette prolifération ?
Outre le chômage, il y a aussi le gain que rapportent ces micro-activités. Il existe aussi d’autres avantages : le petit marchand de rue travaille à sa guise. De même, la pression des autorités locales s’estompe compte tenu des perturbations sociopolitiques. Au point que les petits marchands de rue boudent non sans défi les marchés pilotes et les places qui leur sont destinés dans plusieurs communes urbaines. Certains se payaient même le luxe de transformer les boutiques en de simples dépôts.
n Une boutique ne leur rapporte-t-elle pas le même gain ?  
n Plusieurs marchés pilotes ont été désertés. On a constaté que l’activité a nettement diminué et sans doute aussi les gains. C’est le cas du marché pilote du Maârif construit près du complexe Mohammed V après le déplacement du marché informel, et connu sous le nom de «Souk Selk».
Dans les rues avoisinantes, les petits marchands se sentaient comme un poisson dans l’eau. Mais à leur décharge il y a aussi un phénomène culturel, plus particulièrement au niveau des milieux populaires qui préfèrent, faute de moyens matériel, de transport, une extrême proximité.

L’espace public est quand même occupé de manière anarchique…
Effectivement, on assiste à une sorte de «siba» urbaine. Eu égard à la conjoncture sociale et politique que vivent le Maroc et le monde arabe en général, les autorités donnent l’impression de baisser les bras, de peur de provoquer des sortes d’émeutes locales.

La solution ?
Elle ne saurait être que sectorielle. Elle doit commencer par l’atténuation des déséquilibres sociaux. Les mesures de libéralisation, de privatisation et de dérèglement touchent profondément les couches sociales les plus vulnérables, sans pour autant faire émerger des acteurs innovants de la société civile. L’Etat doit mettre en œuvre un ensemble de mesures démocratiques concernant le développement des campagnes, la promotion de l’emploi créatif, la modification des structures des revenus, la restructuration de l’enseignement, la promotion de la femme, et l’assainissement de l’administration et de la justice.

Propos recueillis par J.M

(*) Auteur de «Casablanca à travers ses petits entrepreneurs de la pauvreté», publié en 2001 par les Editions de l’Université Hassan II à Casablanca. Mohamed Laoudi est aussi auteur d’un autre ouvrage sur «Les pauvres sous l’ère de la mondialisation», rédigé en arabe et édité en 2008 par Dar Attaouhidi.

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