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Loi sur les délais de paiement : pas de réaménagement avant 2014 !
Pour le gouvernement, la loi est en vigueur et doit être appliquée au-delà de toutes les discussions qui l’entourent. Une commission composée de membres de l’Exécutif et du patronat travaille pour y apporter les paramétrages nécessaires.

Le discours officiel est sans ambages : «La loi sur les délais de paiement est en vigueur et doit être appliquée, au-delà de toutes les discussions qui l’entourent», a tranché Driss El Azami, ministre délégué chargé du budget, lors du dîner-débat organisé par La Vie éco jeudi 21 mars. Selon lui, la question des délais de paiement ne doit pas être cantonnée au cadre réduit de la loi. Il s’agit d’une problématique plus globale, puisqu’il y va de la trésorerie des entreprises et de leur compétitivité.
La portée de la loi 32-10 sur les délais de paiement et son impact positif sur l’environnement des affaires font l’unanimité et fédèrent toutes les parties prenantes. «C’est une loi structurante pour l’ensemble de l’économie, pour laquelle nous avons milité pendant des années, et dans laquelle nous croyons dur malgré les difficultés qui entourent sa mise en pratique», concède Sâad Hamoumi, président de la commission PME au sein de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). M. El Azami abonde dans le même sens : «La loi a été à l’origine faite par les entreprises, pour les entreprises, et ne pourra que leur profiter. Elle est là, le décret et l’arrêté sont là, toujours est-il que des difficultés d’application existent bel et bien et que nous travaillons de concert avec le patronat et les autres départements pour les aplanir», affirme-t-il.
Des difficultés qui font peser un climat d’inquiétude sur l’ensemble des acteurs, d’autant plus que la préparation et l’adoption de la loi ont été opérées dans la précipitation, sans un vrai travail de concertation, selon ces opérateurs.
Concrètement, les nouveautés ont consisté en l’amendement du code du commerce en y ajoutant quatre nouveaux articles, concernant les délais au-delà desquels l’on parle de pénalité de retard, son taux, l’obligation de l’observer et l’impossibilité d’y renoncer. «Ces dispositions ont l’air très simple à première vue, mais nécessitent beaucoup de précisions techniques au stade de la pratique», explique Mohamed Hdid, président de l’Ordre des experts comptables.
Il s’agit surtout de deux principales inquiétudes, notamment les taux auxquels les pénalités vont être acquittées et leur traitement fiscal. A ce titre, les opérateurs ont du mal à comprendre la raison qui a poussé le législateur à retenir deux taux selon qu’il s’agisse d’un acteur public ou privé. Les intérêts moratoires pour le premier sont de 3% alors que les pénalités de retard sont de 10% pour le second. «La logique veut que tout le monde soit logé à la même enseigne sinon cela s’apparente à de l’iniquité fiscale. Les opérateurs aujourd’hui, tous secteurs confondus, ressentent un vrai sentiment d’injustice face à cette pratique de deux poids, deux mesures», s’insurge un professionnel de l’agro-industrie. Toutefois, M. El Azami rassure en insistant sur l’ouverture du gouvernement pour converger vers un taux de pénalité unifié pour l’ensemble des acteurs, dans le cadre des discussions en cours avec les parties prenantes.
S’agissant du traitement fiscal, la loi pèche par un non-sens flagrant, selon les experts. De fait, les pénalités de retard assimilées à des charges non courantes pour la partie qui les acquitte, ne sont pas déductibles fiscalement, alors que la partie qui les reçoit doit les considérer comme des intérêts de dette commerciale, logés au poste des produits financiers, imposables de par leur nature. «Cette problématique est du ressort du Conseil général de la comptabilité (CGC) qui doit statuer en adoptant une rubrique comptable qui permettra la déduction dès lors qu’elle prévoit l’imposition ou le raisonnement contraire. Il y va de la logique comptable et de l’équité du traitement fiscal», explique M. Hdid.
Selon Abdelkader Boukhriss, président de la commission fiscalité à la CGEM, «retenir la non-déductibilité reviendra à pénaliser doublement l’entreprise en la privant du droit à déduire la pénalité qu’elle a acquittée», alors que M. Hdid effleure une autre problématique que la loi et son décret ne prévoient pas et qui consiste à fixer l’exercice auquel doit être rattachée la déductibilité ou l’imposition, en faisant allusion au principe du «cash» retenu en France, qui veut que l’on rattache l’écriture comptable à l’exercice au cours duquel a eu lieu le décaissement effectif de la pénalité.
Le traitement des créances cédées aux sociétés de factoring omis
Mis à part ces deux préoccupations majeures, plusieurs autres détails requièrent bien des explications et des précisions lors de l’application des dispositions de la loi. Notamment le champ d’application qui la limite aux commerçants et, du coup, exclut les personnes morales de droit public qui rendent un service d’intérêt général, alors qu’elles font aussi des actes de commerce. «Nous avons pris acte de ce constat, et avons consulté le Secrétariat général du gouvernement, le conseiller juridique de l’Exécutif, pour qu’il se prononce dessus», reconnaît M. El Azami.
Autre insuffisance majeure de cette loi selon les opérateurs, c’est qu’elle ne prévoit pas des délais spécifiques pour des secteurs donnés, dont les acteurs sont connus pour avoir des délais particulièrement longs de par la nature de leur activité ou le caractère long de leur cycle d’exploitation (agriculture, industrie lourde, BTP…). «Des amendements peuvent être adoptés en vue de prévoir des délais de paiement spécifiques pour des secteurs donnés si besoin est, à condition que ceci soit scientifiquement démontré par le biais d’études sectorielles», concède M. El Azami.
La loi est restée silencieuse également sur un bon nombre de détails techniques, notamment le traitement en cas de cession des créances à un établissement de factoring et la nature de sa relation au débiteur, celui des livraisons échelonnées qui posent le problème de la date de référence pour le calcul des pénalités, et aussi les limites de la territorialité de la loi pour les entreprises exerçant dans l’import-export.
Le gouvernement se dit réceptif à toutes les propositions
Au vu de toutes ces zones d’ombre, une commission réunissant les représentants du patronat, le gouvernement et autres départements concernés par la loi est en train de travailler sur les remontées émanant de tous les opérateurs pour apporter les paramétrages qui s’imposent, et préparer des amendements, le cas échéant, en vue d’une meilleure couverture de tous les cas de figure et une application plus souple des dispositions de ladite loi. Parallèlement, l’Exécutif rassure en se disant réceptif à toutes les propositions et que ses instances travaillent de concert avec tous les acteurs pour aplanir les écueils qui persistent, tandis que le patronat se félicite d’avoir un dialogue ouvert avec les autres parties prenantes de ce chantier.
Ce dernier devra sans douter s’allonger compte tenu du travail restant à faire et ne peut déboucher sur un réaménagement de la loi qu’en 2014, notamment avec la possibilité d’intégrer le changement éventuel touchant au taux des pénalités au niveau de la prochaine Loi de finances.
En attendant, les opérateurs comptent sur la flexibilité de l’administration fiscale pour ne pas ajouter un autre problème aux entreprises déjà dans une passe difficile et leur permettre une pseudo-période de transition. Du côté du gouvernement, M. El Azami insiste sur le fait que les difficultés d’application et les zones d’ombre ne mettent en cause ni la loi ni son esprit tout en insinuant que l’administration se montrera flexible durant cette période, en veillant à l’application de la loi.
