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Loi de finances 2014 : place à la rigueur…
A l’exception de la masse salariale, toutes les autres dépenses du Budget général sont soit en baisse, soit en stagnation. Malgré les suppressions d’exonérations ou la hausse des taux de TVA de certains produits, les recettes reculeront par rapport à 2013. Le gouvernement devra emprunter quelque 64 milliards de DH.

Même si le mot, ces derniers temps, comporte une charge négative, tant il est assimilé ipso facto à une austérité qui ne dit pas son nom, la rigueur paraît être le trait caractéristique du projet de Loi de finances 2014, que le gouvernement vient de soumettre à l’examen des parlementaires. Mais en ces temps où tous les clignotants virent au rouge, pouvait-il en être autrement? Avec la nécessité, désormais impérieuse, de rétablir les équilibres macroéconomiques (à moins d’accepter de s’endetter jusqu’au cou !), il était au minimum attendu que l’Exécutif fût plus regardant sur la dépense et plus soucieux d’améliorer la recette. Et au moins jusqu’à la fin de cette législature, il paraît difficile (ce n’est pas un souhait, c’est une hypothèse) de revenir aux politiques expansionnistes qui furent la marque de fabrique des gouvernements précédents, en particulier de celui de Abbas Al Fassi.
Cette orientation, les données chiffrées du projet la traduisent bien. A l’exception des dépenses de personnel (en hausse de 5,8%, à 103,7 milliards de DH), toutes les composantes du chapitre «dépenses» du Budget général sont, en effet, soit en baisse soit en stagnation. Ainsi, les dépenses de fonctionnement, généralement les plus visées par les critiques, ont été plafonnées à 199 milliards de DH, soit quasiment le même montant que celui prévu dans le Budget 2013. La composante la plus importante de ces dépenses, comme on sait, est dédiée à la masse salariale de la fonction publique. Et si celle-ci a augmenté de 5,8% comme déjà indiqué, c’est en raison du recrutement de quelque 18 000 personnes ainsi que la promotion des fonctionnaires qui y ouvrent droit. C’est donc, d’une certaine manière, une dépense difficilement évitable. En revanche, sur les charges communes-fonctionnement (car, il existe aussi des charges communes-investissement), les crédits ouverts à ce titre sont en baisse de 9,3% (-6,4 milliards de DH), à 62 milliards de DH. Comme ces dépenses couvrent principalement les charges de compensation des produits de base ainsi que la contribution de l’Etat à la Caisse marocaine des retraites (CMR), la coupe ne pouvait se faire que sur le montant des subventions. Et en effet, ce sont 41,65 milliards de DH, en baisse de 16,7%, qui sont prévus pour les charges de compensation, dont 35 milliards pour 2014, le reste pour l’apurement des arriérés au titre de 2013 ; le système d’indexation partielle des produits pétroliers liquides, mis en place depuis le 16 septembre dernier, devant garantir le non-dépassement du montant fixé pour l’exercice 2014. C’est donc aux consommateurs de ces produits de supporter les hausses éventuelles des prix sur le marché international, mais jusqu’au seuil de 120 dollars seulement, le reste étant couvert par les assurances souscrites à cet effet. Et c’est à eux également de bénéficier des baisses, toujours possibles, des prix de ces produits (en deçà de 105 dollars le baril, seulement).
Le train de vie de l’Etat ne baisse pas
Sur les dépenses de matériel et dépenses diverses, en revanche, on note une petite hausse : +2,6%, à 31 milliards de DH. Pourtant, sur ce point précis, le gouvernement a pris des décisions dès le début de la législature: limitation au strict minimum des dépenses liées à l’achat et à la location des voitures; réduction de 50% des dépenses d’hébergement, de restauration, de réceptions, d’organisation des conférences et de réalisation des études ; non-programmation de construction de nouveaux bâtiments administratifs et de nouveaux logements de fonction, etc. Toute une série de mesures a donc été prise dès 2012 pour réduire le train de vie de l’Etat. Il n’empêche, ces dépenses sont en augmentation, alors qu’elles auraient dû baisser. D’autant que les dépenses liées aux subventions allouées aux établissements publics et aux services de l’Etat gérés de manière autonome (les fameux SEGMA), et qui constituent la deuxième composante dans ce chapitre de dépenses, ne sont plus débloquées de façon systématique ; leur transfert ayant été lié, depuis quelques années d’ailleurs, aux besoins réels de trésorerie de ces entités et à leur capacité de réalisation. Rappelons à ce propos que lorsque, ces dernières années, des économies sur dépenses avaient pu être réalisées, ce fut surtout sur ces dépenses-là. Mais les documents accompagnant le projet de Loi de finances n’ayant pas détaillé toutes les destinations de ces dépenses, il est difficile de savoir pourquoi elles ont augmenté, quoique légèrement, il faut le redire.
Autre gros chapitre de dépenses du Budget général, les investissements. Là, le gouvernement Benkirane semble avoir décidé de marquer une pause dans ce qu’on peut appeler une «frénésie» dans les dépenses d’équipement. Celles-ci sont en effet passées de 4,1% du PIB en 2006 à 7,1% du PIB en 2012, contre une moyenne de 4,5% entre 2000 et 2005. Pour l’année 2014, l’enveloppe dédiée à l’investissement est en baisse de 16%, à 49,5 milliards de DH, soit 5,2% du PIB prévu. Rappelons que dans la Loi de finances 2013, les dépenses d’investissement avaient stagné à leur niveau de 2012, puis, au début de l’exercice, un gel de 15 milliards de DH a été décidé par le gouvernement.
Le Trésor devra rembourser 57,3 milliards de DH en 2014
Mais au-delà des chiffres prévus dans le Budget, c’est un fait que des sommes colossales sont mises à la disposition des administrations au titre des dépenses d’équipement. Pour 2014, le total des crédits d’investissement se monte à plus de 104 milliards de DH. Ce montant est constitué des 49,5 milliards «budgétés», de 37,15 milliards de DH de crédits d’engagements sur les années 2015 et suivantes et de 17,5 milliards de crédits de report (c’est-à-dire des crédits engagés dans la Loi de finances 2013 mais non ordonnancés au 31 décembre 2013). Et quand on raisonne en termes d’investissements consolidés, c’est-à-dire en tenant compte des investissements des «dépendances» de l’Etat (établissements et entreprises publics, SEGMA, comptes spéciaux du Trésor…), le montant grimpe à 186,64 milliards de DH. A cet égard, la question qui mérite d’être posée est moins celle des moyens financiers que celle de la capacité de réalisation et de l’efficience de la dépense publique.
Et cependant, malgré ces réductions, parfois importantes, dans les dépenses, les charges du Budget général pour 2013 sont en hausse de 3%, à 306,2 milliards de DH. C’est qu’en 2014, le service de la dette publique (capital et intérêts) est en augmentation de 45,96%, à 57,3 milliards de DH. Enorme! Comme on peut le deviner, le gros (86,6%) des charges de la dette a trait à l’endettement intérieur. Le Trésor devra en 2014 rembourser plus de 29 milliards de DH en principal et 20,6 milliards de DH en intérêts et commissions ; les 7,7 milliards restants constituant les charges de la dette extérieure. Autrement dit, les dépenses au titre du service de la dette pour l’année 2014 sont bien supérieures aux dépenses d’investissement, ce qui est inévitable lorsque le déficit budgétaire file à toute allure, comme c’est le cas depuis 2009.
Ce qui complique la donne en 2014, c’est que les recettes, globalement, sont en baisse ; du moins prévues à la baisse: -6,7%, à 264,4 milliards de DH, soit près de 20 milliards de DH en moins. Et ceci malgré une prévision de croissance relativement bonne (4,2%) et une estimation encore meilleure pour 2013 (environ 5%) puisque les recettes de l’IS en 2014 seront acquittées sur la base des résultats de 2013. Et malgré aussi le recours à l’emprunt aussi bien sur le marché intérieur (pour 40 milliards de DH) que les marchés extérieurs (24 milliards de DH). Pour comparaison, en 2013, le montant des emprunts s’élevait à 85,9 milliards de DH, y compris les dons et legs. Il y aura donc en 2014 une baisse à ce niveau.
Pourtant, le gouvernement n’a pas manqué d’utiliser le levier fiscal, conformément, il est vrai, aux recommandations issues des Assises de la fiscalité des 29 et 30 avril dernier, afin d’améliorer un tant soi peu les recettes. Toute une panoplie des mesures de suppression des exonérations et de relèvement de taux de TVA a en effet été proposée dans le projet de l’Exécutif. Il faut bien se rendre compte cependant que ces mesures ne sont pas de nouvelles impositions ou taxations ; c’est un retour pour ainsi dire à une situation «normale» d’imposition, ou si l’on veut un renoncement de l’Etat… à renoncer à certaines recettes, comme il fait encore pour beaucoup de produits et services puisque les dépenses fiscales restent encore élevées, même si elles ont baissé de 36 milliards en 2012 à 34 milliards de DH en 2013.
Cela dit, les consommateurs ne rentrant pas dans ces considérations, l’augmentation, par exemple, de la TVA de 10% à 20% pour le sel ou le riz cuisiné sera vécue par eux comme une augmentation du prix, ce qui n’est pas faux. On peut d’ailleurs s’attendre à une hausse de l’inflation, ce que le Maroc n’a pas connu depuis de longues années. Mais cette maîtrise des prix a bien été payée quelque part: charges de compensation élevées, déficits budgétaires importants, puis hausse de la dette publique. C’est toute cette construction que le gouvernement Benkirane semble décidé à détricoter, contraint et forcé comme il reconnaît lui-même.
