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«L’intégration des normes européennes transfert la décision industrielle à l’étranger»
• Beaucoup d’entreprises ont puisé dans leurs réserves tant en trésorerie qu’en stocks et se trouvent dans une situation financière étriquée pour affronter la relance.
• Les 200 autobus livrés à Casablanca par la société marocaine ont acquitté des droits et des frais de près de 800 000 DH, alors que les 500 bus importés n’ont rien payé et n’ont eu à subir aucun coût logistique de présentation.

• La crise sanitaire a fortement impacté votre secteur. Peut-on chiffrer cet impact sur les différentes filières du secteur ?
Le confinement sanitaire a entraîné de facto un confinement économique, et notre secteur a connu une chute de l’activité entre mai 2020 et août 2020. Sur ces 3 mois la baisse de l’activité a été de 40 à 60%. Cependant, à partir de septembre 2020, nous avons assisté à une reprise, ce qui fait que le secteur n’a perdu en fin d’année que 15%.
Notre secteur dépend des secteurs induits : le transport et la logistique, le tourisme, le BTP, le transport urbain des voyageurs et des professionnels et l’agroalimentaire. Ces secteurs ayant été impactés de manière différenciée, nous avons pu constater que les professionnels se sont adaptés en fonction des opportunités. Ainsi, le matériel de transport de marchandises et de produits agroalimentaires s’est développé à partir de septembre, tandis que les autres segments ont vu leur part fondre, notamment le matériel de transport touristique et le matériel du BTP.
Nous avons également constaté un recul de la part des grands donneurs d’ordre étatique.
Le CVE a pris des mesures qui semblent adéquates, mais certains délais dans les déblocages ont perturbé et même atténué les effets de ces mesures. Cependant, de manière générale, l’impact a été positif, ne serait-ce que par l’augmentation de la consommation engendrée par l’injection des capitaux dans les secteurs économiques, ce qui a dynamisé les échanges et donc la logistique. On a constaté cependant une forte augmentation du trafic container, ce qui suppose que les importations ont fortement bénéficié des mesures.
Toutefois, il semblerait que le secteur industriel, notamment les PME, ait été le parent pauvre de la politique de relance.
• Quelles sont les mesures prises par les professionnels pour minimiser cet impact ?
On a très vite vu que ce n’était pas une crise économique classique, technique. Il ne s’agit pas d’une crise de l’offre ; il ne s’agit pas d’une crise de la demande ; il ne s’agit pas d’une crise financière : il s’agit d’un arrêt brutal d’activité qui entraîne les trois à la fois.
Il était difficile de faire des prévisions dans cet environnement inédit. Mais on a très vite compris qu’il fallait pouvoir faire démarrer les secteurs productifs dès le 1er jour du déconfinement. Et pour cela, nous avions besoin d’avoir nos entreprises sous tension en permanence et en état de marche au jour J.
Il fallait soutenir nos entreprises pour financer les achats et les stocks pour rattraper les deux mois perdus.
Cela dit, il faut noter que le secteur n’a pas utilisé les mesures sociales prévues par la CNSS. En effet, les entreprises ont pris en charge leurs personnels et se sont équipées par rapport aux mesures de sécurité sanitaires et ont adapté les temps de travail et le travail à distance.
L’ensemble des opérations de service ont été réalisées dans le respect des consignes sanitaires et en préservant la sécurité des employés et des clients.
• Avec la sortie du confinement, il y a eu un espoir de reprise. Comment les professionnels se sont organisés ?
Effectivement, il y a eu un frémissement de reprise, boosté par les premières mesures, notamment le Crédit Oxygène et le Crédit Relance, malgré les retards et complications dans les déblocages. Cela a sauvé la fin de 2020. Toutefois, l’effet a été de courte durée car les premiers mois de 2021 ont montré un essoufflement. Beaucoup d’entreprises ont puisé dans leurs réserves tant en trésorerie qu’en stocks et se trouvent dans une situation financière étriquée pour affronter la relance.
Nous considérons qu’avec la bonne campagne agricole qui s’annonce, les besoins de récupération de l’économie marocaine et la campagne de vaccination qui se montre un véritable succès, nous pourrions assister à un regain d’optimisme des acteurs économiques nationaux et une vraie reprise économique.
Par ailleurs, la nouvelle approche sur les échanges économiques internationaux enclenchée par le ministère de l’industrie, notamment avec le principe de la substitution des importations et la mise en place du portefeuille de projets industriels potentiels doit permettre de lancer une accélération de l’activité sur les prochaines années
Mais, il faut qu’on soit prêts. Trésorerie, approvisionnements et beaucoup de travail sont les maîtres mots.
Nous avions prévu qu’il y aurait une course mondiale à l’approvisionnement et qu’il fallait anticiper. Mais on était en deçà de la réalité. Dès septembre, nous avons vu que les délais d’approvisionnement de matières premières et de produits semi-finis s’allongeaient, que les prix des matières premières flambaient et que des pénuries chroniques survenaient sur certains composants : l’acier, les semi-conducteurs, les pneumatiques et les différents équipements et composants. Or, l’activité industrielle nécessite une reconstitution des stocks pour pouvoir relancer les lignes de fabrication.
Les entreprises industrielles, notamment les PME, ont des besoins de financements spécifiques pour s’en sortir.
• Récemment, 200 bus ont été livrés par la société IRIZAR à la ville de Casablanca. Quel en est impact sur l’activité au Maroc ?
Effectivement, grâce à l’implication du ministère de l’industrie et en partenariat avec le ministère de l’intérieur, la décision a été prise de commander 200 bus, sur les 700 programmés, à des producteurs marocains.
Cette opération de localisation de la production a donné lieu à l’éclosion d’un écosystème d’une quinzaine de PME industrielles. J’insiste sur ce concept de PME industrielle en éclosion parce que c’est le tissu industriel national profond qui s’enrichit. Cela donne un signal de développement et de durabilité. Cela a permis à 350 familles de vivre pendant cette année difficile.
Nous ne comptons pas en rester là et nous organisons un club de l’écosystème, pour consolider l’acquis, inclure d’autres acteurs potentiels, chercher les métiers qui nous manquent et enfin mettre en place une cellule de R&D et d’innovation pour accompagner le secteur dans les évolutions technologiques.
L’opération des 200 bus peut être considérée comme un premier succès sur lequel nous devons capitaliser. Monsieur le ministre de l’industrie, en accord avec Monsieur le ministre de l’intérieur nous a confirmé que toutes les dispositions seront prises à l’avenir pour que le produit made in Morocco ait toute sa place dans les dépenses et les investissements publics.
• Cette opération ne peut-elle pas être dupliquée dans d’autres segments ?
Tout d’abord je pense que le consommateur marocain peut apprécier la qualité du produit mis en circulation et qu’il l’appréciera doublement en pensant aux impacts positifs sur l’économie marocaine et le développement du pays, développement dont il aura à en bénéficier d’une manière ou d’une autre.
Nous ne devons jamais oublier qu’un produit fabriqué localement, paie des salaires aux Marocains, des cotisations sociales (CNSS, retraite,…) des impôts locaux, un ruissellement sur les autres secteurs, alors que le produit importé, s’il le fait c’est dans le pays d’origine. C’est pour cela que nous relevons ces décisions courageuses de nos décideurs qui ont voulu s’impliquer.
Cette opération est un bon exemple que nous pouvons dupliquer dans ce segment et dans les autres segments du poids lourd.
Je souhaite simplement rappeler qu’un bus occupe
2 000 heures de main-d’œuvre directes et 1 000 en indirect et que les ratios mondiaux considèrent un besoin de 1 bus par 1 000 habitants urbains. Ce qui fait, qu’à terme, nous aurons besoin de 1 700 bus par an, soit un écosystème qui emploierait de façon stable 3 000 personnes. Ceci sans compter l’ouverture naturelle d’opérations à l’exportation.
• Que préconisiez-vous pour que les entreprises du secteur en profitent ?
Au niveau des volumes de ventes, notre secteur connaît un recul depuis 10 ans. Les chiffres montrent une baisse continue à hauteur de 55% de l’activité par rapport à 2011. Cette baisse s’explique par plusieurs facteurs. Il s’agit de la diminution des chantiers structurants des travaux publics. Durant la décennie 2000, il y a eu un grand appel en équipements de camions avec une progression annuelle des ventes de 20% pour culminer à
12 000 camions et 4 000 semi-remorques en 2010. Le recul s’explique aussi par le nombre important des véhicules d’occasion importés d’Europe. Ceci sans publier la politique plus restrictive du crédit et la longévité du parc anormale (l’âge moyen du parc est de 31 ans et plus de 16 000 véhicules ont plus de 41 ans).
Au niveau industriel, nous avons également remarqué un recul important et cela s’explique par une volonté politique de rapprochement et d’intégration des normes européennes, ce qui, les accords de libre-échange aidant, transfert la décision industrielle à l’étranger. Ce recul s’explique aussi par une réglementation et une interprétation des textes qui avantagent les produits importés au détriment de la production nationale. A titre d’exemple, si vous importez un véhicule carrossé (avec de la main-d’œuvre étrangère) vous pouvez l’homologuer par type, c’est-à-dire une fois à un coût de 75 000 DH. Si vous le carrossez au Maroc par de la main-d’œuvre marocaine, vous êtes obligés de l’homologuer à titre isolé, c’est-à-dire un par un avec des coûts unitaires qui se cumulent et une procédure contraignante. Ainsi, les 200 autobus livrés à Casablanca par la société marocaine ont acquitté des droits et des frais de près de 800 000 DH, alors que les 500 bus importés n’ont rien payé et n’ont eu à subir aucun coût logistique de présentation.
Enfin, il faut rappeler que si les mesures pilotées par le ministère de l’industrie sont en place (conventions de formations, accès au FDII, foncier), certaines mesures prévues par le contrat performance n’ont pas vu le jour, ce qui freine l’essor industriel.
L’application complète du contrat performance et la mise en place de toutes les mesures convenues non seulement auraient un effet immédiat sur la croissance du secteur et sur les emplois industriels mais contribueraient également à une optimisation des coûts logistiques et donc à une meilleure compétitivité de l’industrie nationale.
J’insiste que nous avons pu constater que sur la base d’une mesure, grâce à l’intervention de M. le ministre de l’industrie et de ses équipes et en soulignant le partenariat efficace avec le ministère de l’intérieur, l’acquisition de 200 bus auprès d’un constructeur marocain a permis une économie de devises et l’éclosion d’un écosystème avec l’intégration d’une quinzaine de PME autour de la locomotive IRIZAR, ce qui prouve une fois de plus l’efficience de l’industrie marocaine : et nous pouvons et devons tous nous améliorer.
Maintenant, nous avons confiance sur la volonté du gouvernement et sur le ministère de l’industrie pour nous accompagner dans cette voie de performance. Une cellule de suivi et d’accompagnement de l’écosystème, avec l’implication de tous les départements ministériels concernés, a été constituée au niveau du Ministère de l’industrie. La bonne volonté de tous et la considération de l’industrie en tant que vecteur essentiel du développement nous aidera à surmonter les obstacles.
