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L’inflation reste faible, est-ce une bonne chose pour l’économie ?
En 2015, l’inflation au Maroc s’est établie à 1,6% contre 0,4% en 2014. Cette hausse ne préjuge en rien de la situation particulière de chaque ménage. La baisse du taux directeur de BAM en 2014 n’a pas produit d’effet sur l’évolution du crédit.

L’inflation au Maroc a connu une remontée vigoureuse en 2015, s’établissant à 1,6% au lieu de 0,4% en 2014. Pour l’essentiel, cette hausse résulte des produits alimentaires dont l’indice des prix a augmenté de 2,7%. L’indice des produits non alimentaires, en revanche, n’a crû que de 0,7%. Il en résulte que lorsqu’on soustrait du calcul de l’indice les produits et services à prix volatils (qui sont principalement des produits alimentaires) et ceux à tarifs publics, l’inflation, dite sous-jacente, revient à 1,3%.
Mais, on ne le dira jamais assez, il s’agit ici d’une moyenne, et comme telle elle ne reflète pas la situation particulière de chaque ménage, laquelle dépend bien évidemment de la capacité et des habitudes de consommation de chacun. Exemple: si un ménage consacre une part importante de son budget à l’alimentation (+2,7%), à l’enseignement (+2,9%), à l’eau, l’électricité et autres combustibles (+3,3%), celui-là a sans doute ressenti en 2015 l’effet de l’inflation beaucoup plus fortement que celui dont l’essentiel des dépenses va à la santé (-0,3%), au transport (-3,2%), aux loisirs et à la culture (+0,3%), à la communication (+0,2%), aux meubles et articles de ménage (+0,3%)…
Cela se passe ainsi partout, à ceci près que dans les pays où les inégalités de revenus, la concentration des richesses sont élevées, la moyenne ne veut pas dire grand-chose, sauf bien sûr comme indicateur à l’échelle macroéconomique. Et c’est là tout le paradoxe de la situation.
Et ce paradoxe peut être résumé de la manière suivante : l’inflation enregistrée au Maroc est parmi les plus faibles au monde, elle est même, en moyenne sur les six ou sept dernières années, la plus faible au monde (à la notable exception du Japon qui vit une situation de déflation depuis quelque temps déjà), mais dans le même temps, de larges couches de la population se plaignent «de la cherté de la vie». Du coup, cette faiblesse du niveau moyen de l’inflation, dans un contexte de distribution plus ou moins inégalitaire des revenus, paraît surtout refléter le faible dynamisme de l’activité économique, appréhendée sur une période relativement longue. Entre 2001 et 2014, en effet, le PIB a progressé en moyenne de 4,4% par an. C’est insuffisant quand on sait que la croissance potentielle, selon les indications du HCP, est de 8% par an. Malgré un effort d’investissement relativement conséquent, l’impact sur la croissance est resté limité, comme l’a montré la récente étude du HCP sur le rendement des investissements (www.lavieeco.com). Selon le HCP, cela pose tout à la fois le problème de gouvernance et d’allocation sectorielle des ressources ainsi que de la taille critique à atteindre pour que ces investissements commencent à produire un impact suffisant sur la croissance.
La faiblesse de l’inflation ne paraît pas très favorable à l’investissement
Cette explication, qui concerne en réalité la formation brute du capital fixe (FBCF), ne dispense pas de poser une interrogation sur l’investissement de manière générale : Est-ce que l’on connaît avec précision la destination exacte de investissements ? Autrement dit, dans la masse des investissements recensés, connaît-on la part qui va à de nouvelles acquisitions, celle qui va au renouvellement des installations existantes et celle qui, au bout du compte, n’est rien d’autre que de l’investissement financier. Car, c’est bien connu, si l’investissement capitalistique (comme créer une nouvelle usine, par exemple) fait augmenter le stock de capital, l’investissement financier (comme racheter une affaire existante, ce qui est juste un changement de propriété), lui, augmente le stock…de la dette.
Mais quelle relation avec l’inflation ? La question mérite sans doute d’être examinée, mais notons simplement, pour l’instant, que malgré la baisse du taux directeur de la Banque centrale par deux fois en 2014, dans l’objectif de relancer le crédit, celui-ci continue de ralentir, pour s’établir à fin novembre 2015 à 0,2% en glissement annuel. Bien plus, le crédit à l’équipement ressort à -1,1% sur la même période, et cette baisse concerne les crédits aux entreprises non financières du secteur privé. Clairement, le contexte de faible inflation que traverse le pays depuis des années ne paraît très favorable à l’investissement. D’où la question de savoir à qui profite une situation de faible inflation. Un courant de pensée économique a, en réalité, déjà répondu à la question : aux épargnants et autres rentiers. Y en a-t-il au Maroc et combien sont-ils ?
Une chose est à peu près certaine : si toutes les banques centrales à travers le monde s’emploient à maintenir l’inflation à un certain niveau, c’est bien que celle-ci n’est pas mauvaise tant qu’elle est contenue dans une fourchette, généralement préalablement définie.
Dans la zone euro, par exemple, la BCE a un objectif d’inflation de 2%, et la politique de quantitative easing qu’elle a mise en place vise justement à contrer la baisse des prix provoquée par la crise économique qui a secoué les pays membres. Et si l’Europe a besoin pour améliorer sa croissance d’une inflation à plus ou moins 2%, quid alors du Maroc, pays jeune, qui a une marge de progression importante ?.
*Statistique à fin novembre 2015
