Affaires
Libéralisation des prix : le gouvernement fait l’impasse sur le Conseil de la concurrence
Six produits sur les 24 concernés seront régis par des textes spécifiques à leur secteur.
Un arrêté ministériel fixant les nouvelles modalités a été signé mardi n Le Conseil de la concurrence ne sera pas consulté comme le stipule la loi.

Le délai de cinq ans fixé par la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, pour la libéralisation des derniers produits dont les prix sont toujours réglementés, a expiré jeudi 6 juillet. En effet, promulguée en juin 2000 et entrée en vigueur en juin 2001, la loi 06-99 donnait, dans son article 83 précisément, la possibilité à l’Etat de maintenir des produits réglementés durant une période transitoire de cinq ans.
A la veille du coup de gong, il restait encore 24 produits ou services sur lesquels l’administration devait trancher en décidant soit de libéraliser soit de maintenir la réglementation des prix. Or, à quelques jours de la date fatidique, le ministre des Affaires économiques et générales (MAEG), Rachid Talbi Alami, reconnaissait avec amertume ne pas disposer de tous les éléments nécessaires pour trancher. La léthargie profonde qui frappe le Conseil de la concurrence n’est pas pour arranger les choses. Résultat : le MAEG, qui préside la Commission des prix et de la concurrence censée prendre la décision, s’est retrouvé face à une lourde responsabilité : trancher et assumer les implications de sa décision.
Le ministre s’engage à faire respecter l’ordre économique
A l’heure o๠nous mettions sous presse, M. Talbi Alami avait le choix entre deux options. La première, la plus simple, selon lui, est «de ne rien faire et de laisser tomber les produits et services concernés dans le domaine de la liberté. A charge par la suite pour les opérateurs qui se trouveront dans des situations de monopole de fait, autorisé ou dont les produits sont subventionnés, de venir demander l’intervention du département pour la fixation du prix». Le ministre soutient, toutefois, qu’il est contre une application aveugle de la loi. «Ce serait irresponsable de notre part car cela créera une anarchie sur le marché», dit-il. Le problème est que la paralysie dont souffre le Conseil de la concurrence, passage obligé pour toute décision ayant trait à la libéralisation des prix, bloque toute la machine. Mais ce n’est pas pour autant que le ministre baissera les bras. «J’assumerai ma responsabilité. S’il y a un dysfonctionnement et que le Conseil de la concurrence n’est pas opérationnel, il est de mon rôle de protéger le marché et le consommateur et de lever ce dysfonctionnement», lance, révolté, le ministre. Et d’ajouter : «Je ferai de mon mieux pour respecter l’ordre économique».
Céréales, énergie, couverture sociale… L’Etat continuera de veiller
Que prépare alors M.Talbi Alami ? Le ministre compte tout simplement actionner l’article 3 de la loi. Mais, là encore, il aura les mains liées puisque l’avis du Conseil de la concurrence, même s’il est consultatif, est incontournable. En effet, cet article, qui devait constituer le «joker juridique» du gouvernement, a finalement produit l’effet inverse car, personne, au moment de la rédaction du texte, ne pouvait prévoir le blocage dans lequel se trouve aujourd’hui le Conseil de la concurrence. L’article 3 précise, en effet, que «dans les secteurs ou les zones géographiques o๠la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole de droit ou de fait, soit de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, les prix peuvent être fixés par l’administration après consultation du Conseil de la concurrence. Les modalités de leur fixation sont déterminées par voie réglementaire».
Aux dernières nouvelles, le ministre des Affaires générales bataillait pour faire adopter, de toute urgence, un arrêté ministériel pour surseoir à la libéralisation. Les équipes en charge du dossier ont tenu de longues réunions avec celles du Secrétariat général du gouvernement (SGG) pour trouver une issue juridiquement correcte. Selon des sources ministérielles, et sur avis des experts juridiques du SGG, Rachid Talbi Alami avait finalement signé, mardi 4 juillet dans la matinée, l’arrêté ministériel en vertu duquel le gouvernement maintiendra les prix de certains produits réglementés, sans tenir compte de l’avis du Conseil de la concurrence. Cet avis, explique-t-il, après tout, n’est que consultatif. Cela dit, l’arrêté ne concernera pas les 24 produits de la liste puisque six d’entre eux auront un traitement spécial. Sans citer lesquels, le ministre des Affaires économiques et générales a simplement indiqué que ces six produits seront désormais régis par des textes spécifiques à leurs secteurs. Les 18 autres produits, quant à eux, et pour des considérations sociales et politiques, devront attendre l’aboutissement des réformes engagées dans leurs secteurs respectifs (céréaliculture, énergie, éducation nationale, couverture sociale…) .
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Le cas du Conseil de la concurrence est assurément un mystère. Pourquoi cette instance, pourtant dûment constituée, dont le président est nommé, qui est dotée d’un siège et de moyens, ne fonctionne-t-elle pas ? Depuis sa création, le conseil s’est réuni une seule fois, en 2001, et c’était pour l’approbation de son règlement intérieur. Lequel règlement, ironie du sort, ne servira strictement à rien, le conseil ne s’étant jamais réuni depuis. Il n’a jamais eu en effet à statuer sur le moindre dossier. Pourquoi le premier ministre, qui en a pourtant les pouvoirs, n’a pas procédé à la nomination d’un nouveau président à la place de l’actuel, Othman Demnati ? Chose encore plus étrange, M. Demnati, de manière quasi-concomitante, fut nommé à la tête de l’ANRT, avant d’être débarqué quelques mois après. Pourquoi n’a-t-on pas procédé de la même manière pour le Conseil de la concurrence ? Beaucoup se posent aujourd’hui ces questions y compris parmi les membres du gouvernement. A commencer par le ministre des Affaires économiques et générales, Rachid Talbi Alami, qui ne cache pas son amertume face à ce blocage. «Je demande la nomination d’un nouveau président qui soit totalement indépendant pour renforcer le rôle du Conseil de la concurrence», revendique-t-il. Des membres du conseil, contactés par «La Vie éco», n’hésitent pas à mettre en doute la volonté des pouvoirs publics de se doter d’une instance indépendante en matière de concurrence. D’autres citent comme origine du blocage la jalousie de quelques administrations qui veulent conserver certaines de leurs prérogatives censées être transférées au Conseil de la concurrence. Ces sources évoquent surtout la pression d’opérateurs économiques qui, finalement, ne souhaitent pas voir fonctionner le conseil . |
