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Affaires

L’Etat en manque d’argent : casse-tête pour Mezouar

Les dépenses ont augmenté et les recettes sont en baisse.
Le marché extérieur ne se prête pas à  l’emprunt et le marché intérieur souffre d’un manque de liquidités.
Le reprise chez nos partenaires européens fragilisée par la situation économique de l’Espagne.
Le déficit pourrait dépasser les 4% du PIB.

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Casse-tête budgétaire pour l’argentier du Royaume qui, depuis son arrivée à la maison des finances, avait bénéficié d’une conjoncture plutôt favorable, matérialisée par des excédents, en 2007 et 2008 et un déficit raisonnable en 2009. En ces premiers mois de 2010, les finances publiques sont sous pression. Elles ont subi les effets à la fois de la remontée des prix des matières premières sur le marché international, notamment les prix du pétrole, d’un côté, et la baisse des recettes budgétaires, fiscales et non fiscales, d’un autre côté.
Certes, dans la Loi de finances 2010, l’Exécutif a déjà prévu une baisse des recettes ordinaires de 2,7% qui se traduit par un manque à gagner de 6,8 milliards de DH pour l’ensemble de l’exercice. Mais si la reprise, qui reste très timide pour le moment, ne s’accélère pas, le niveau de baisse des recettes risque d’être plus élevé que prévu. D’autant que le renchérissement des prix du pétrole, sur le premier trimestre du moins, a déjà fait fondre quasiment de moitié (43,8%) l’enveloppe qui lui était dédiée au titre de la compensation.
Les charges de compensation ont en effet augmenté de plus de 400% entre fin mars 2009 et fin mars 2010 en passant respectivement de 1,2 milliard de DH à 6,1 milliards, dont 4,8 milliards au titre de produits pétroliers. A cela, il faut ajouter la hausse des charges de fonctionnement de 8,5% à 32 milliards de DH, tirées principalement par l’accroissement des dépenses de biens et services, alors que les dépenses de personnel sont restées, elles, pratiquement stables. L’investissement, de son côté, a augmenté de 10,1% à 16,3 milliards de DH par rapport à la même période de 2009. En revanche, les intérêts de la dette, en s’établissant à 5 milliards de DH, ont accusé une baisse de 13,3%, résultat de la baisse des intérêts de la dette extérieure de – 41,9% et de la baisse des intérêts de la dette intérieure de 6,9%.
Dans le même temps, et alors que l’ensemble des charges augmentait, le poste des encaissements prenait le chemin inverse. A fin mars, les recettes ordinaires avaient chuté de 7,6 % à 44,5 milliards de DH, en raison d’une baisse des recettes fiscales de 7,5 % à 42,44 milliards de DH et une baisse des recettes non fiscales de 13,5% à 1,5 milliard de DH. Sans entrer dans le détail de la baisse des recettes fiscales, retenons seulement que celle-ci est consécutive bien sûr au réaménagement des taux et des tranches de l’impôt sur le revenu (IR) mais aussi à au repli de l’activité économique puisque l’impôt sur les sociétés (IS) a baissé de 27,2% à 12,8 milliards de DH, une baisse beaucoup plus importante en proportion que celle de l’IR : -14,7% à 6,6 milliards de DH.

32 milliards de DH à emprunter

Le fait est que cette évolution des recettes et des dépenses s’est soldée par un déficit budgétaire de 4,5 milliards de DH, contre un…excédent de 10,9 milliards à fin mars 2009. Et si on ajoute à ce déficit le paiement des arriérés d’un montant de 365 millions de DH, le besoin de financement ressort à fin mars déjà à 5 milliards de DH, contre un excédent de financement de 6,7 milliards de DH un an auparavant. Le besoin de financement, c’est-à-dire les 5 milliards de DH manquants, ont été couverts pour l’essentiel (à hauteur de 96 %) par le recours au marché intérieur; les 4 % restants étant financés par des flux extérieurs.
Avec les incertitudes qui pèsent sur la reprise, en particulier dans les principaux pays partenaires du Maroc, l’activité économique au plan interne pourrait certes dépasser, en termes de résultat, les 3,5 % de croissance prévus, mais ceci découlerait surtout de la réévaluation de la récolte céréalière à 80 millions de quintaux au lieu de 70 et, éventuellement, de l’effet rattrapage du secteur hors agriculture. Ce dernier pourrait en effet réaliser une progression de l’ordre de 6 % contre 1,6 % en 2009. Auquel cas, le PIB devrait croître d’un peu plus de 4 %, un niveau déjà prévu par le Haut commissariat au plan (HCP) dans son budget prévisionnel, au lieu de 3,5% retenus dans la Loi de finances.
En tout cas, avec déjà les 4% de déficit prévus, mais sous réserve que la situation se redresse plus nettement dans le secteur hors agriculture et que le pétrole se maintienne au niveau où il se trouve aujourd’hui, soit un peu moins de 70 dollars, ce sont tout de même 32 milliards de DH que le Trésor devra lever pour financer ce déficit.

La dette intérieure du Trésor en hausse de 5% à 280 milliards de DH

Le Trésor avait prévu de se financer sur le marché international (pas seulement d’ailleurs pour combler le déficit), mais les turbulences qui ont affecté le marché de la dette l’en ont dissuadé ; pour le moment en tout cas. «Il n’y a pas à proprement parler de report de l’émission, puisque aucune date n’avait été arrêtée. Nous suivons l’évolution du marché et nous prendrons la décision en temps opportun», explique un cadre au ministère des finances. Mais il est certain qu’il faudra attendre quelques mois.
En attendant, c’est sur le marché intérieur que le Trésor continuera d’emprunter, par voie d’adjudication. Sur les trois premiers mois de 2010, il a émis pour 32 milliards de DH, contre 24,8 milliards à la même période de 2009. Cet argent a servi notamment à rembourser des échéances arrivées à maturité d’un montant de 19,7 milliards de DH. Ce faisant, l’encours des bons du Trésor émis par adjudication a augmenté de 12,2 milliards de DH à 270,4 milliards de DH, soit + 4,7% par rapport à fin décembre 2009. En y ajoutant les autres éléments de la dette intérieure, l’encours de celle-ci monte à 279,9 milliards de DH. Ainsi, la dette intérieure du Trésor a augmenté de 13,5 milliards en un trimestre (entre le 31 décembre 2009 et le 31 mars 2010), soit une hausse de 5,1%, selon les données de la direction du Trésor et des finances extérieures. La dette extérieure, elle, a légèrement augmenté : +0,5% ou +396 MDH à 79,2 milliards de DH. Au total, la dette du Trésor grimpe à 359,1 milliards de DH, contre 345,1 milliards de DH au terme de l’année 2009, soit une hausse de 4,1%.
Ce niveau d’endettement du Trésor reste encore très acceptable : on peut l’estimer à 47 % du PIB, soit le même niveau qu’en 2009, et ceci en prenant en compte l’estimation de croissance pour le premier trimestre 2010 réalisée par le HCP, soit une hausse du PIB de l’ordre de 4,5 %.
La question est cependant de savoir si, compte tenu du niveau de déficit prévu et celui déjà réalisé ce premier trimestre, une intervention plus accrue du Trésor sur le marché interne ne va pas ajouter quelque peu à la situation de resserrement des liquidités que connaît le système bancaire. Rappelons à cet égard que le financement du Trésor sur le marché des adjudications a connu une reprise à partir du deuxième trimestre 2009 et les levées des fonds ont été orientées, essentiellement, vers les maturités à court terme ; excepté les 100 MDH sur 10 ans levés au mois de février 2010, et les 470 MDH et 150 MDH du mois de mars sur des maturités respectives de 10 ans et 15 ans. Dans les situations de resserrement des liquidités, les taux d’intérêt ont évidemment tendance à augmenter, mais la Banque centrale, qui n’entend pas laisser filer l’inflation, a surveillé de près cette évolution : elle a non seulement maintenu ses interventions à travers les avances à 7 jours sur appels d’offres pour un montant de 19 milliards de DH (soit 56% du montant demandé par les banques) mais en plus elle a encore baissé de 2 points le taux de la réserve obligatoire, la ramenant depuis le 1er avril à 6%. Rappelons ici qu’au cours de l’année 2009, le taux de la réserve obligatoire a été abaissé trois fois : le 1er janvier 2009 à 12% (contre 15% auparavant), le 1er juillet 2009 à 10%, et le 1er octobre 2009 à 8%.
Inutile de signaler que l’une des causes de la persistance du besoin de liquidités, c’est justement le repli des flux extérieurs en faveur du Maroc (investissements étrangers, recettes des MRE, tourisme, etc.). Entre autres objectifs que le Trésor recherche à travers  l’emprunt prévu sur le marché international, il y a également celui de faire rentrer des devises…
Il faut maintenant espérer que la reprise ne traîne pas trop en longueur dans les pays partenaires du Maroc : c’est de là que vient l’essentiel de la demande étrangère adressée à l’économie marocaine, et de là que proviennent les recettes des MRE, les touristes, etc.  Avec la dégradation de la situation économique en Espagne, 2e partenaire commercial du Maroc, des dépenses en hausse, des recettes en baisse, un marché intérieur trop peu liquide susceptible de subir un effet d’éviction et un marché extérieur hostile au prêt, comment l’Etat va-t-il couvrir ses besoins ?