Affaires
Les vérités du patron de Méditel
Les relations avec l’ANRT (Agence nationale de régulation des télécommunications) sont désormais fondées sur la coopération.
La licence fixe est un objectif, mais Méditel ne se lancera pas dans une opération non rentable.
L’opérateur devrait équilibrer ses comptes en 2005.

L’homme paraît un peu distant. Mais dès que la conversation est engagée, il se montre proche de son interlocuteur, écoute et essaie de faire partager son point de vue. C’est ainsi que l’on peut dresser succinctement le portrait de Miguel Menchen, DG de Méditel. Moins d’une année après son installation à la tête de l’entreprise, il a réussi à imposer sa méthode sans faire de vagues. Normalisation des relations avec l’ANRT, augmentation de la part de marché, amélioration progressive de la situation financière, ambitions de Méditel sur le fixe… En exclusivité pour La Vie éco, il dresse le bilan de sa première année et fait le point sur différents projets engagés par l’opérateur
La Vie éco : Vous êtes à la tête de Méditel depuis un an. Quels sont les changements majeurs intervenus au sein de l’entreprise ?
Miguel Menchen : A mon arrivée, j’ai commencé par faire le tour du marché, notamment les distributeurs et les fournisseurs, et je suis arrivé à la conclusion qu’il y a un bon potentiel de croissance qui, probablement, n’avait pas été bien exploité. A partir de là, nous avons procédé à une redéfinition du portefeuille des services prépayés. Plus récemment, nous avons aussi attaqué le post-payé. Globalement, nous avons eu une vision différente du marché, lequel a bien réagi. Cela s’est traduit par une augmentation de notre part de marché. L’autre changement majeur est que nous avons revu notre manière d’aborder nos relations avec les autorités. Nous avons maintenant une stratégie de coopération. Je pense que cela a été bien perçu. Nous avons aussi procédé à des ajustements dans l’équipe dirigeante pour mieux exploiter les opportunités.
Nous avons enfin lancé une offre sur les services à valeur ajoutée avec Imédia. C’est une offre différente de ce qu’il y avait sur le marché et cela a été bien accueilli.
Quand avez-vous commencé à ressentir les effets de ces changements ?
Le grand succès a été au rendez-vous l’été dernier quand nous avons baissé les barrières à l’entrée, c’est-à-dire le prix du téléphone. Nous avons découvert qu’il y avait un grand segment de la population qui auparavant n’avait pas un pouvoir d’achat assez important pour accéder au téléphone mobile. Nous lui avons prêté l’attention qu’il mérite. D’ailleurs, on voit le résultat.
Avec le post-payé, nous avons aussi constaté que le taux de pénétration de ce service n’était pas en ligne avec le potentiel du marché. Notre offre ne correspondait pas aux réalités du marché. Il y avait beaucoup de barrières que nous avons éliminées. Vu le succès de ces derniers jours, je pense que nous sommes dans la bonne direction.
Même démarche pour le service clientèle qui n’était pas aussi soigné qu’on le souhaitait. Nous avons apporté des améliorations, c’est le cas de l’engagement Tapis rouge.
A combien estimez-vous votre part de marché ?
Elle n’est pas facile à déterminer. Mais toutes les données dont nous disposons nous font penser que nous sommes autour de 34-35 %.
La part du post-payé dans votre activité ?
Elle représente à peu près 5 % de notre portefeuille clients. Mais elle est plus importante en termes de revenus.
n A-t-elle progressé en 2004 ?
Elle est restée stable. Nous avons lancé une opération il y a quelques jours. La réaction de la demande a dépassé nos espérances.
Vous avez un objectif précis pour le post-payé ?
C’est de doubler la clientèle du post-payé en 2005. Aujourd’hui, je pense que même cet objectif peut être dépassé.
On a l’impression que la situation de Méditel s’améliore. Avez-vous fait des bénéfices en 2004 ?
Notre résultat opérationnel, c’est-à-dire hors amortissements et frais financiers, est bénéficiaire. Mais si nous prenons en considération ces postes, nous accusons une perte d’un peu moins de 200 MDH contre 1,5 milliard en 2003. Notre plan est d’arriver à l’équilibre en 2005.
Allez-vous faire appel à vos actionnaires ?
Ce n’est pas nécessaire tout de suite. La loi nous donne jusqu’à 2006 pour procéder à une restructuration du capital, sachant que les pertes cumulées ont dépassé le quart du capital social.
Les actionnaires discuteront des modalités. Trois options sont possibles. Nous pouvons capitaliser les prêts accordés par les actionnaires pour sortir de cette situation. L’autre possibilité est de faire une réduction de capital et la troisième serait une opération accordéon.
Mais quand je dis que nous n’avons pas besoin d’argent frais, je ne prends pas en compte la licence fixe. Nous sommes en train de préparer une proposition. Il nous faut quelques semaines pour savoir ce dont nous aurions besoin pour cette opération.
Vu la situation actuelle, l’introduction en Bourse est-elle toujours maintenue pour 2006 ?
Je crois que le pacte d’actionnaires prévoit l’introduction en Bourse dès que l’entreprise sera bénéficiaire. Cette situation se présentera fin 2005. Mais, à ma connaissance, tout cela n’est pas encore discuté. L’urgent, c’est d’abord de devenir bénéficiaire.
Vous êtes candidat à la licence fixe alors même que l’entreprise n’arrive pas encore à équilibrer ses comptes. N’est-ce pas une décision risquée ?
Nous avons fait une première analyse et sommes arrivés à la conclusion qu’avec les infrastructures dont dispose Méditel, c’est-à-dire les équipes, le réseau de distribution notamment, l’investissement additionnel sera moins lourd que pour un nouvel entrant. Avec cela, nous pourrons avoir une infrastructure capable de faire une offre multiservices mobile et fixe pour le client. Les actionnaires ont pensé qu’il y a une opportunité. Nous sommes en train d’étudier l’appel d’offres et nous ferons une proposition dans ce sens. Vu sa situation financière, Méditel ne peut pas se permettre de se lancer dans une opération qui n’est pas profitable.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fixe : boucle locale, back bone ou international ?
Notre proposition concernera les trois types de licences. Nous voulons faire la boucle locale en premier lieu dans les grandes villes où nous aurons probablement une infrastructure propre. Sur ce volet, le dégroupage constitue un point important. Si le dégroupage national est avancé, l’offre de Méditel pourra avancer très rapidement. Nous sommes aussi intéressés par le back bone. Le système sera étoffé pour prendre en charge aussi bien le fixe que le mobile.
Nous voulons également l’international pour avoir une licence complète. En gros, la proposition de Méditel concerne les trois tranches. Pour nous, c’est une licence fixe qui complétera la licence mobile. Et si vous n’avez pas le fixe?
Nous continuerons comme aujourd’hui. Et nous chercherons à conclure un accord avec une entreprise qui a la licence fixe.
En privé, des responsables de Méditel promettent de changer le Maroc, on imagine que vous pensez à la voix sur IP ?
Avec la technologie IP, on peut offrir voix, donnée et télévision. Nous sommes en train de faire les tests sur ces technologies qui permettront une réduction de coût, une amélioration des performances, notamment en termes de produits et services innovants. Nous n’avons pas encore étudié le marché pour voir s’il y a une demande pour la télévision à la carte. Mais l’offre existe en Espagne. Pour le moment, il n’y a pas beaucoup de clients, mais cela marche bien. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire cette offre au Maroc, si nous obtenons la licence fixe et s’il y a un marché. La voix sur IP peut changer l’offre de services adressée aux Marocains. Surtout pour la voix, on peut améliorer la qualité et réduire les prix. Si on améliore la productivité, effectivement, on change le pays. Parce que l’amélioration de la croissance qui s’ensuivra permettra de résoudre des problèmes comme le chômage et beaucoup d’autres. Bref, les télécommunications jouent un grand rôle dans le développement d’un pays.
Est-il nécessaire de vous positionner sur le fixe alors qu’on peut tout faire (voix, donnée, vidéo) avec le mobile ?
Pour la voix, c’est évident. Il y a 9 millions de Marocains qui utilisent le mobile et 1 million le fixe. Aujourd’hui, le marché de la voix, c’est le mobile. Pour les données, le mobile s’adapte, mais la vitesse n’est pas la même que celle qu’on peut offrir à partir du fixe. Il y a des applications qui peuvent s’adapter parfaitement au mobile et il y en a d’autres qui nécessitent un débit important et le fixe devient indispensable.
Vous êtes dans un secteur qui évolue rapidement, vous êtes donc obligés de vous adapter. Quel est le processus pour trouver une bonne idée?
Je ne sais pas s’il y a un processus très structuré. Mais le groupe Telefonica par exemple est présent dans quinze pays qui ont des degrés de développement différents. Cela donne beaucoup d’informations qui nous permettent de comparer et de choisir les meilleures pratiques pour les adapter au marché local. Nous écoutons aussi les clients, les distributeurs et les fournisseurs. Nous prenons en compte leurs remarques pour faire d’autres propositions.
Par exemple, le prélèvement bancaire constituait une barrière pour le post-payé. Nous avons décidé d’assouplir la procédure. Je préfère avoir plus de clients pour ce service, avec des risques mesurés, que rien du tout.
En somme, vous étiez une entreprise centrée sur le produit, vous êtes aujourd’hui une entreprise centrée sur le client.
Je vois la chose différemment. Pour avoir un client, il faut une offre adaptée. Pour ce faire, nous sommes obligés d’être à l’écoute du client. On essaie de suivre ses besoins pour lui offrir le meilleur produit en termes de qualité, de prix et de service.
Justement, en ce qui concerne la diversification, celle qui est commencée avec les publiphones va-t-elle être poursuivie dans d’autres domaines?
Nous avons commencé avec les publiphones avec l’objectif de toucher une clientèle qui n’a pas les moyens d’avoir un téléphone. Aujourd’hui, nous avons 3 500 points de vente de publiphonie dans lesquels les clients peuvent obtenir des services Méditel.
Je suis avec beaucoup d’attention l’évolution de ce business. Nous sommes en train d’étudier les moyens d’améliorer la rentabilité de ces points de vente. Pour le moment, il y a une tendance à la stabilité. Mais je suis sûr que, bientôt, on pourra faire une proposition intéressante, surtout si nous avons la licence fixe.
Au début de l’entretien, vous avez souligné que vos rapports avec l’ANRT (Agence nationale de régulation des télécommunications) ont évolué…
Nous comprenons son rôle et ses missions. Nous expliquons aussi nos objectifs et nos missions et je peux dire que nous trouvons une écoute de l’autre côté. Nous avons aujourd’hui des relations de respect total et mutuel ; je peux même dire de coopération. Cela ne signifie pas que l’ANRT nous donne raison sur tout.
Elle vient toutefois de prolonger la durée de la licence mobile qui passe de 15 à 25 ans.
Nous pensons qu’il s’agit d’une bonne décision pour le Maroc et les actionnaires de Méditel. C’est un bon signal à tous les investisseurs.
En somme, vous estimez aujourd’hui que l’ANRT est un organisme équitable et juste…
Après près d’une année au Maroc, je crois que oui. Nous avons eu des relations difficiles parce que nous sommes dans une affaire dans laquelle une décision du régulateur peut avoir un impact important sur les résultats. Partout, il y a toujours des tensions entre les opérateurs et le régulateur. On sait que son rôle est difficile. Mais dans l’ensemble, il le remplit de façon très professionnelle.
Parmi les dossiers qui vous ont opposés, il y a l’interconnexion. Il semble que le problème n’est toujours pas réglé …
Effectivement, il n’est pas encore résolu. Il y avait neuf dossiers sur différents aspects de l’interconnexion qui posaient problème, entre autres les tarifs de terminaison fixe, les tarifs de terminaison mobile, la manière de tarifier l’interconnexion. Méditel a proposé de tout régler d’un seul coup. Mais l’ANRT a préféré les traiter un à un. Il a résolu l’international. Je ne suis pas satisfait, l’agence a fixé un tarif de terminaison mobile à 1,63 DH, j’en demandais deux. Pour le tarif de terminaison fixe, nous avons demandé une baisse de 30 à 40 % mais nous avons obtenu 6 %.
A mon avis, on doit prendre les meilleurs modèles qui existent au monde pour développer le mobile. Le traitement du dossier de l’interconnexion est inutilement long et pénible.
On a parlé des changements intervenus à Méditel, mais depuis votre arrivée vous habitez un appartement. Est-ce un message en direction de vos collaborateurs ?
Effectivement, j’ai trouvé un bon appartement confortable. Je trouve que le genre de vie que je mène ne nécessite pas un espace plus grand. En ce qui concerne Méditel, il est vrai que j’ai coupé dans les dépenses qui ne sont pas strictement nécessaires pour mener à bien le business. En revanche, je n’ai touché ni à la publicité, ni au réseau. J’ai obtenu la coopération de nos dirigeants dans la démarche suivie. A mon sens, un manager doit être un exemple pour ses collaborateurs.
Miguel menchen DG de Méditel
Nous sommes candidats pour le fixe. Mais si nous n’avons pas la licence, nous chercherons un accord avec une entreprise qui l’a.
