Affaires
Les transactions immobilières freinées par une nouvelle procédure notariale
Acheteurs, promoteurs et banquiers doivent désormais signer tous les actes au sein de l’étude du notaire. Le rythme de traitement quotidien des transactions flanche : 60% de baisse dans le social et 50% tous segments confondus.
Comme si la demande hésitante ne suffisait pas, les transactions dans l’immobilier sont grandement compliquées ces derniers jours par une nouvelle procédure. Il s’agit de l’interdiction faite aux notaires de recevoir les actes et les signatures des parties en dehors de leurs études, comme l’impose la nouvelle loi 32-09 sur cette profession, entrée en vigueur fin novembre dernier. Un changement qui peut paraître banal mais qui enraie la machine à plus d’un niveau, car faire se déplacer les parties pour la signature de tout acte soulève un casse-tête insoupçonnable. Comment cela ?
Auparavant, les notaires étaient habilités à faire signer les contrats aux acheteurs sur les lieux mêmes de vente des programmes de logement, du moins en ce qui concerne ceux commercialisés par les grands promoteurs immobiliers, publics ou privés. Ceci avant de les transférer aux banquiers et aux promoteurs et les recueillir pour finaliser la transaction. Une commodité qui était particulièrement bénéfique pour le logement social qui porte sur des volumes de transactions très importants répartis, qui plus est, à travers tout le Maroc. Ces mêmes caractéristiques font aujourd’hui que le logement social, qui tire presque à lui seul le marché de l’immobilier, est le plus affecté par la nouvelle procédure. En obligeant les parties à aller signer les contrats chez le notaire, les délais de vente de ces unités sont en effet passés d’un peu plus d’un mois à 4 mois, selon les professionnels.
Cela s’explique d’abord par le fait que les clients mettent du temps à se rendre chez le notaire, surtout qu’il s’agit fréquemment de se déplacer dans une autre ville. Il faut en effet savoir que «les grands promoteurs ont l’habitude de traiter avec un nombre limité de notaires, localisés à Rabat et surtout à Casablanca, qui gèrent leurs transactions dans tout le Maroc», illustre Youssef Ibn Mansour, président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers. Bien sûr, les professionnels pourraient faire l’effort de traiter avec un notaire dans chaque ville, mais on les voit mal supporter le surcoût qui en résulterait juste par commodité pour la clientèle. A un autre niveau, ce sont les banques qui ont beaucoup de mal à prendre le pli de la nouvelle procédure. En théorie, ces établissements doivent désigner désormais des délégataires habilités à se rendre dans les études des notaires pour signer tous les actes mais rares sont les établissements qui ont fait le nécessaire. Certaines banques ne disposent même pas encore d’une dizaine de délégataires, voire n’en ont désigné aucun alors que les déplacements à couvrir se comptent en centaines. A titre indicatif, 400 notaires opèrent dans la seule ville de Casablanca. Dans ces conditions, les contrats en attente de la seule signature des banquiers s’entassent.
Se déplacer sur autorisation des conseils régionaux des notaires… qui n’existent toujours pas
Les promoteurs eux aussi ont du mal avec la délégation de signature. A vrai dire, parmi les grands opérateurs structurés, la désignation de mandataires reste relativement gérable, mais les structures de petite et moyenne taille s’en trouvent grandement gênées.
Du fait de toutes ces complications, tout le monde perd au change, à commencer par les notaires qui ont vu leur activité ralentir considérablement ces derniers jours : le rythme de traitement quotidien a baissé de 60% chez certains professionnels spécialisés dans le logement social. Dans ces conditions, certains notaires bravent la loi pour préserver leur activité, selon les témoignages concordants des promoteurs. Du fait de l’allongement des délais de transaction, les propriétaires sont eux aussi pénalisés puisqu’il n’est pas rare qu’ils commencent à payer leurs crédits sans pouvoir occuper leurs logements. Les banques, elles aussi, accusent le coup et la baisse d’activité des transactions immobilières, tous segments confondus, est chiffrée à 50% durant les derniers jours par l’un des établissements du financement immobilier.
Ces professionnels avaient pourtant pris les devants en avertissant depuis septembre dernier le ministère de la justice des blocages observés actuellement. En guise de réponse, la tutelle s’est contentée de rappeler que, selon la loi, «le notaire peut, pour des raisons exceptionnelles, recevoir les déclarations et les signatures des parties en dehors de son étude, et ce, sur autorisation du président du conseil régional des notaires». A ceci près que les membres du conseil régional n’ont jusqu’à présent pas été désignés dans la plupart des villes. En outre, selon certains notaires, les «raisons exceptionnelles» évoquées par la loi tendent à désigner des cas où les cosignataires sont des personnalités de haut rang ne pouvant faire le déplacement, ce qui ne résout en rien le problème.
A vrai dire, outre l’immobilier, c’est toute la marche de l’économie qui pourrait pâtir de ces nouvelles procédures. «Toute facilité de caisse accordée à une entreprise garantie par acte notarié nécessitera désormais un délai supplémentaire», déclare un professionnel. Au final, la nouvelle loi sur les notaires, en voulant parer à certains problèmes, n’en générera-t-elle pas d’autres ?