Affaires
Les textiliens contraints de baisser leurs prix pour attirer les commandes
Les exportations des deux premiers mois de l’année dépassent légèrement celles de 2011, mais la situation du secteur reste préoccupante. En 2011, le prix moyen de la pièce avait déjà été réduit. Sur le marché du sourcing de proximité, la concurrence turque et des pays de l’Est devient plus agressive.
Apparemment, le secteur du textile et de l’habillement résiste bien à la crise qui sévit depuis trois ans. C’est en fait ce que suggère, à première vue, une étude réalisée par l’Association marocaine de l’industrie du textile et de l’habillement (Amith). Elle montre que les exportations ont progressé de 2,4% de mars 2011 à février 2012 par rapport à la même période des années 2010-2011, à 29,44 milliards de DH. Compte tenu de la situation économique mondiale caractérisée notamment par la baisse de la demande dans la plupart des pays clients, France et Espagne principalement, cette petite hausse est accueillie avec satisfaction et s’assimile même à un exploit. Pour autant, elle ne fait pas oublier aux professionnels leurs difficultés à maintenir la tête hors de l’eau.
En réalité, la situation est très instable. D’après les statistiques de l’Office des changes, les exportations se sont élevées à 2,25 milliards de DH en février 2012 contre 2,35 milliards pour le même mois de 2011, soit une contraction de 4,4% qui fait suite à une hausse de 6% en janvier par rapport au même mois de l’année précédente. Les chiffres de février 2012 inquiètent davantage parce qu’ils sont en chute de 14,3% par rapport au premier mois. Cette tendance baissière apparaît encore plus nettement dès que l’on pousse plus loin les bases de l’analyse. Par exemple, de mars à août 2011, les exportations ont progressé de 9% par rapport à l’égale période de 2010. Mais entre septembre 2011 et février de l’année en cours, elles ont chuté de 10%, selon le même périmètre de comparaison. Même si à la fin des deux premiers mois on a dépassé légèrement le niveau de l’année dernière (4,88 milliards de DH contre 4,84 milliards), les industriels sont circonspects sur le reste de l’année.
La situation est plus grave à Fès que dans le reste du pays
Les complications que vit le secteur sont en grande partie imputées à la confection, en baisse de 0,47% à fin février par rapport aux deux premiers mois de 2011, à 3,14 milliards de DH, et de 3,6% sur le seul mois de février par rapport à l’année dernière, à 1,5 milliard. Encore une fois, c’est la filière bonneterie qui a amorti le choc puisque ses exportations se sont améliorées de 3% à fin février, passant de 1,15 milliard de DH à 1,19 milliard. Sur le seul deuxième mois, elles ont totalisé 527 MDH, marquant une amélioration de 2,4%. Malheureusement, ce segment est trop limité pour pouvoir sauver l’ensemble du secteur. Selon un industriel de la région de Rabat, «les temps sont durs pour les exportateurs, quelles que soient les villes d’implantation, mais c’est dans la région de Fès que la situation est plus inquiétante».
Pour préserver son activité et son personnel, il a dû, à l’instar de plusieurs de ses confrères, faire des concessions sur le prix. «Les clients placent des commandes, mais pour honorer nos engagements nous sommes obligés d’accepter de bas prix», indique cet industriel dont les propos sont confirmés par un de ses confrères de Casablanca.
D’après une récente étude de Eurostat, le prix moyen de la pièce pratiqué par le Maroc, sixième fournisseur de textile des pays de l’Union Européenne, était le deuxième plus élevé en 2011 après celui de la Tunisie sur un groupe de 10 pays sous-traitants : 5,81 euros contre 8,53 euros.
Les délais de paiement s’allongent
Mais le sourcing de proximité, notamment dans la zone Euromed, a été fortement affecté par le printemps arabe. Les donneurs d’ordre européens, prudents en raison des troubles géopolitiques, ont revu leur stratégie d’approvisionnement. Une situation dont a profité, explique-t-on à l’Amith, la Turquie, deuxième fournisseur de l’UE, qui ambitionne aujourd’hui de tripler ses exportations vers l’Europe. Et pour y arriver, la Turquie, déjà moins chère que le Maroc avec 5,79 euros la pièce, n’a pas hésité à dévaluer sa monnaie de 28% et à accorder une subvention aux industriels. La réaction des industriels marocains face à cette concurrence et la montée en puissance des pays de l’Est, forts en production de pièces à manches, ne se conçoit autrement qu’à travers une nouvelle baisse des prix parce qu’ils les avaient déjà été réduits de 0,83% en 2011 par rapport à 2010. «Aujourd’hui, nous sommes acculés à nous mettre au même niveau que le Bengladesh par exemple où le prix moyen se situe à 2,85 euros», souligne un membre du bureau de l’Amith. Mais pour ceux qui arrivent juste à couvrir leurs coûts de production, une telle hypothèse est synonyme de faillite.
Dans tous les cas, les industriels considèrent que cette baisse des prix va fortement impacter la situation financière, déjà affectée, des entreprises qui seront amenées à allonger les délais de paiement de leurs fournisseurs de matières premières ainsi que les prestataires de services. Dans le secteur, on note que les délais de paiement sont passés de 30 à 90, voire 120 jours.