Affaires
Les start-up marocaines en mal de financement
Le marché est peu mature et un vrai tissu de business angels fait défaut. Maroc Numeric Fund et Réseau Entreprendre Maroc ont néanmoins contribué à de belles réussites, notamment dans les nouvelles technologies.
L’essentiel des fonds est porté sur le développement.

Il n’est pas rare d’entendre un porteur de projet de start-up se plaindre du manque de financement d’amorçage au Maroc. Bien sûr, ce sont ceux qui n’ont pas les fonds propres suffisants ou qui n’ont pas croisé le chemin d’un associé qui le regrettent le plus. «Il est très difficile pour un jeune entrepreneur de trouver des fonds pour lancer et développer sa start-up. Il existe trop peu de structures spécialisées. C’est un véritable problème qui peut étouffer le développement des jeunes entrepreneurs», affirme Fatim-Zahra Biaz, fondatrice de New Work Lab. Le capital d’amorçage, c’est-à-dire quand la start-up en est encore au stade de R&D, et le capital-risque, lorsque la start-up est en cours de création ou déjà créée, sont en effet peu pratiqués au Maroc.
D’après les données de l’Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC), depuis les débuts des fonds d’investissement au Maroc, avec le fonds Moussahama de la Banque Populaire en 1993, sachant qu’ils n’ont vraiment démarré qu’au début des années 2000, 10 milliards de dirhams ont été investis en capital investissement dont 5% ont été consacrés au capital-risque et seulement 2% à l’amorçage. «Ce n’est pas une particularité du Maroc. Partout ailleurs, même aux Etats-Unis, l’amorçage et le capital-risque sont des activités minoritaires», relativise Françoise De Donder Giraudon, déléguée générale de l’AMIC. Le mythe de la bonne idée qui a injustement des difficultés à se faire financer a pourtant encore de beaux jours devant lui dans la communauté des «start-upers», révélant un décalage éternel entre les aspirations des uns et la réalité des autres. «Une bonne idée n’a pas beaucoup de valeur et a très peu de chances de se faire financer au Maroc, en France ou aux Etats-Unis», rappelle pourtant Mme Biaz. «Le plus difficile est de passer de l’idée à un produit disponible sur le marché et qui se vend», résume-t-elle.
Le vrai problème est l’accès au marché
Quoi qu’il en soit, les mécanismes de financement, même peu nombreux, existent bel et bien au Maroc. Maroc Numeric Fund (MNF), Réseau Entreprendre Maroc ou encore le Centre marocain de l’innovation (CMI) accompagnent depuis des années les créateurs d’entreprises. Le premier vient d’ailleurs de boucler sa 13e participation avec manavette.ma. A ce jour, plus de 70% des 100 MDH mobilisés auprès de BMCE Bank, la BCP, Attijariwafa bank, CDG et Technopark ont été engagés. L’équipe travaille déjà à un autre fonds qui bénéficierait d’une enveloppe supérieure et serait à vocation régionale. «Les 2/3 de notre portefeuille sont en ligne avec les prévisions.
Le taux de réussite est donc très louable et nos taux de rendement plutôt confortables», confie Dounia Boumehdi, DG de MNF. Il reste suffisamment de ressources pour investir dans six à sept entreprises d’ici fin 2015, début 2016. La priorité sera néanmoins accordée à celles qui ont déjà vendu pour deux raisons. «Beaucoup de sociétés nous sollicitent et il existe d’autres sources de financement pour l’amorçage», ajoute Mme Boumehdi.
Le Réseau Entreprendre Maroc, quant à lui, a déjà accompagné une quarantaine de lauréats dans la création d’une trentaine de sociétés parmi lesquelles Stagiaires.ma, Rekrute, Mobiblanc, Infomineo ou encore Virtual Building Solution. Près de 180 emplois ont ainsi été créés. Grâce à la rigueur de son processus de sélection, dont les critères sont la création de 3 à 5 emplois sur 3 ans et un maximum de 18 à 24 mois d’activité, et d’accompagnement, avec un suivi régulier de l’entrepreneur par des chefs d’entreprises ou des cadres dirigeants, cette structure peut se targuer d’un taux de réussite de 100%, même si certains projets n’ont pas encore atteint la maturité nécessaire pour qu’un bilan global puisse être dressé.
Grâce au partenariat noué avec trois banques de la place et avec l’OCP, en plus d’une convention de don signée pour trois ans avec le Conseil régional de Rabat, Réseau Entreprendre Maroc a prêté, sans garantie ni intérêts -ce sont des prêts d’honneur destinés à renforcer les fonds propres- et avec une année de différé, environ 3,8 MDH à ses lauréats. Le montant moyen des prêts étant d’environ 70 000 DH.
«Le problème des start-up n’est pas le financement mais le manque de confiance des grandes entreprises. Les start-up ont besoin qu’on croit en elles. Elles ont besoin de bons de commandes», soutient Mme Boumehdi qui a reçu plus de 250 demandes depuis le démarrage de MNF. «Les grandes entreprises n’achètent pas beaucoup de technologie. Or, il est primordial pour une start-up d’avoir des débouchés privés. La première commande est toujours la plus difficile. Ces entreprises doivent faire confiance à ces PME d’où l’idée de les faire se rencontrer au sein de la CGEM», confirme Omar Balafrej, DG du Technopark. Le mois dernier, 10 start-up ont ainsi pu échanger avec quelques entreprises membres de la Confédération patronale.
L’initiative, bien accueillie, pourrait bien devenir un rendez-vous régulier.
Du côté des entrepreneurs, on maintient que le Maroc pourrait faire mieux. «Il y a trop peu de structures aujourd’hui qui permettent le financement de start-up dans leur phase d’amorçage. Il y a un décalage entre la culture entrepreneuriale start-up qui nécessite de l’innovation, de la prise de risque, de la prise d’initiative et les structures de financement existantes qui, elles, sont frileuses, n’aiment pas le risque et préfèrent investir dans des projets qui génèrent du revenu et qui ont des business models bien connus», regrette Mme Biaz. Ce décalage pourrait pourtant facilement être comblé si un tissu d’investisseurs privés se développait au Maroc, à l’image de Kima Ventures, le fonds d’investissement de Xavier Niel, cité en 2010 comme étant le plus actif du monde par son nombre de participations, ou encore Marc Simoncini, fondateur de Meetic, et Jacques-Antoine Granjon, fondateur de Vente-privée.com.
Les business angels se font toujours aussi rares
«Ailleurs dans le monde, amorçage et capital-risque sont pris en charge par les business angels, ce que nous n’avons pas au Maroc», constate Mme Giraudon. Si quelques initiatives ont bien tenté d’émerger, force est de constater qu’aucune n’a vraiment réussi à tisser un véritable réseau de business angels. Qu’il s’agisse du club Atlas Business Angels, fondé en 2010 par Zakaria Fahim ou du club des business angels du MNF, lancé en 2012, ces deux groupes sont encore restreints. Néanmoins, tous deux préparent leur redémarrage. «Notre club de business angels a accompagné trois de nos sociétés. Aujourd’hui nous voulons l’élargir car nous recevons des sollicitations pour des tickets d’entrée inférieurs aux nôtres (au moins 1 MDH, ndlr)», explique Mme Boumehdi.
«Je pense qu’il y a plusieurs “solitaires” : peut-être une quarantaine de business angels et entre 200 et 300 investisseurs individuels font office de business angels au Maroc», relève toutefois Zakaria Fahim, président d’Atlas Business Angels, jusqu’à l’élection prochaine d’un nouveau bureau. Ce dernier a d’ailleurs lui-même investi plus d’un million de DH dans 4 projets durant ces 3 dernières années. Il milite également pour l’adoption d’un projet de loi qui non seulement définit le concept de business angels, mais surtout intègre des incitations fiscales, comme le crédit d’impôt et l’exonération de la taxe sur les plus-values et dividendes à la sortie de l’investisseur. Le texte est à l’étude au ministère des finances.
Si le concept a du mal à prendre pour l’instant, ce n’est pas par manque d’entrepreneurs fortunés. Ces derniers doivent d’abord être sensibilisés pour mieux comprendre ce qu’être un business angel implique, et notamment l’obligation de sortie maximum 5 ans après l’entrée au capital. «Le niveau d’échec est réduit de 3 à 5 fois lorsque l’on est accompagné par un business angel», rassure M. Fahim. C’est également une culture à revoir. «On préfère investir dans la pierre car on est sûr du retour sur investissement», remarque Mme Biaz. «Les fortunes marocaines sont peut-être davantage portées sur l’immobilier», relève également Mme Giraudon. «Il faut que ce véhicule décolle. Les grands entrepreneurs sont souvent passés par les mêmes travers et il serait bien qu’ils rendent la pareille», martèle Mme Boumehdi.
