Affaires
Les prélèvements obligatoires sur les entreprises en légère hausse
Les impôts et cotisations sociales payés par les entreprises non financières représentent environ le cinquième de leur valeur ajoutée. Ce sont les charges sociales qui progressent plus que la pression fiscale.
Si la pression fiscale globale se situe, en moyenne, autour de 23% du PIB par an depuis 2009, comme nous l’indiquions dans notre édition de la semaine dernière (www.lavieeco.com), quelle est la part que supportent les entreprises (publiques et privées) non financières, soit le plus gros contributeur à la richesse créée ? Précisons-le tout de suite, l’exclusion des sociétés financières de cette analyse est fondée sur les considérations que voici: elles sont très peu nombreuses, leur contribution au PIB est à moins de 5% et néanmoins les impôts qu’elles acquittent représentent bon an mal an 4% de l’ensemble des recettes fiscales perçues par l’Etat, soit quelque 8 milliards de DH ; ce qui n’est pas mal vu leur nombre.
Selon des données collectées dans les comptes nationaux des secteurs institutionnels, publiés il y a quelques jours par le HCP, les sociétés non financières ont payé 55,84 milliards de DH d’impôts en 2015 (pas encore de chiffres pour 2016), soit une augmentation de 2,8% par rapport à 2014. Ces impôts sont constitués d’impôts sur la production, c’est-à-dire de tous les impôts et taxes que supportent les entreprises du fait de leur activité de production, notamment sur les salaires, et des impôts sur le revenu et le patrimoine, principalement l’impôt sur les sociétés.
Par rapport à la totalité des impôts et taxes collectés en 2015, y compris donc ceux relevant des administrations locales, la part des sociétés non financières (SNF) s’établit à 25,2% au lieu de 24,8% une année auparavant. C’est le plus haut niveau de contribution aux recettes fiscales depuis 2008 et 2009, les deux années au cours desquelles la part des SNF avait atteint respectivement 28,4% et 28,5%. Depuis cette date et jusqu’à fin 2013, la part des SNF était en moyenne de 23% par an. Il y a donc un rebond en 2014 et 2015.
Mais comment apprécier le poids de la fiscalité sur les entreprises ? Certainement pas à travers les taux d’imposition, puisque ceux-ci ne “disent” rien sur l’assiette qui permet de calculer le montant effectif à payer. Non plus guère en adoptant la méthode utilisée pour l’économie nationale où la pression fiscale est le rapport des recettes fiscales sur le PIB.
La pression fiscale des entreprises est d’environ 15%
Dans le cas des sociétés non financières la pression fiscale aurait probablement quelque sens à être rapportée plutôt à la valeur ajoutée qui, d’une certaine manière, représente… le PIB des entreprises. Suivant cette méthode, la pression fiscale des sociétés non financières en 2015 s’établissait à 15,1%, pratiquement en stagnation par rapport à 2014 (15,4%), mais en légère hausse par rapport aux années 2010, 2011, 2012 et 2013 (14,3% en moyenne annuelle). Mais dans tous les cas, on est loin, encore une fois, des niveaux atteints en 2008 (19,3%) et 2009 (18,3%).
Toutefois, même si cette approche donne une idée plus ou moins exacte de la pression fiscale sur les entreprises, il faut malgré tout préciser que, par ailleurs, elle fausse le partage de la valeur ajoutée. Car les impôts payés par les entreprises ne représentent pas tous la part de la valeur ajoutée qui revient à l’Etat. Dans cette valeur ajoutée, la part qui est versée à l’Etat concerne seulement les impôts sur la production, et la part de ceux-ci était d’environ 3%. Le reste de la valeur ajoutée est partagé entre les salariés et les actionnaires ou les apporteurs de capital (voir encadré). Alors pourquoi 15,1% de pression fiscale ? Tout simplement parce que, aux impôts sur la production, nous avons ajouté les impôts sur le revenu et le patrimoine, c’est-à-dire, pour l’essentiel, l’impôt sur les sociétés, lequel, comme on sait, est assis, en gros, sur le résultat d’exploitation.
On peut donc dire, globalement, que sur la richesse qu’elles ont créée (valeur ajoutée), les entreprises ont reversé à l’Etat l’équivalent d’un peu plus de 15% en moyenne.
Généralement, cependant, le niveau de la pression fiscale ne dit pas tout sur les charges qui pèsent sur les agents économiques, ici les entreprises. En Europe, en particulier, l’indicateur le plus souvent utilisé est celui des prélèvements obligatoires. Et dans ce cas, on calcule non seulement la charge fiscale mais aussi la charge sociale. De ce point de vue, les prélèvements obligatoires sur les entreprises (non financières) marocaines représentent 22,6% de la valeur ajoutée de celles-ci, soit le même niveau qu’en 2014 (22,7%). Entre 2009 et 2013, le taux des prélèvements obligatoires était en moyenne de 21,1%. En valeur absolue, les prélèvements obligatoires des SNF se montaient à 82,8 milliards de DH en 2015, au lieu de 80,3 milliards en 2014, soit une hausse de 3,1%. En examinant la série des comptes nationaux des SNF, on constate qu’après avoir baissé en 2009 et 2010, les prélèvements obligatoires ont suivi une trajectoire haussière qui reflète sans aucun doute les efforts déployés pour généraliser la couverture sociale des travailleurs. Car l’augmentation des prélèvements obligatoires, depuis 2011 en valeur absolue et depuis 2014 en proportion de la valeur ajoutée, provient davantage de la croissance des cotisations sociales que de la croissance des impôts. En effet, selon les calculs de La Vie éco, les cotisations sociales versées par les entreprises non financières en 2015 (près de 27 milliards de DH) étaient en hausse de 68,4% par rapport à celles acquittées en 2008 (16 milliards de DH). Le total impôt payé par les SNF, lui, s’établissait à 55,84 milliards de DH, au lieu de 55,3 milliards de DH en 2008.
Les pics de 2008/2009 pas encore atteints
Autre indicateur intéressant, les cotisations sociales versées par les SNF en 2015, par exemple, représentaient plus du tiers (36,2%) de l’ensemble des cotisations sociales. La part des impôts payés par ces mêmes SNF dans les recettes fiscales totales était, elle, de 25,2%. Par conséquent, les cotisations sociales, en proportion, paraissent plus lourdes que les impôts et taxes supportés.
Bref, les prélèvements obligatoires sur les SNF, après un recul significatif en 2010 et 2011, augmentent légèrement ces dernières années, sans toutefois retrouver leurs niveaux de 2008 et 2009. En réalité, si le niveau des prélèvements obligatoires a baissé en 2010 et 2011, c’est très probablement pour deux raisons principales : d’une part, les taux de l’IS et de l’impôt sur le revenu avaient été réduits en 2009 et 2010, et, d’autre part, la valeur ajoutée (le dénominateur) avait, elle, enregistré précisément en 2010 et 2012 des hausses en nominales de 8,6% et 8,2% respectivement. Autrement dit, l’augmentation de la richesse, qui aurait dû théoriquement se retrouver en partie dans la composante impôts des prélèvements obligatoires, paraît avoir été quelque peu neutralisée, à tout le moins diminuée par les aménagements des taux d’imposition alors décidés. La mauvaise conjoncture qui s’en est suivie, avec un fort ralentissement de la hausse de la valeur ajoutée des SNF, a assez logiquement déteint sur le rythme de progression des recettes fiscales.
[tabs][tab title =”Partage de la valeur ajoutée des entreprises : la part des salaires en augmentation“]Le partage de la valeur ajoutée (VA) entre les divers participants, directs et indirects, à sa création a connu depuis quelques années une évolution en faveur des salariés. Jusqu’en 2007, en gros, la part de cette richesse qui revenait aux travailleurs se situait invariablement autour de 31%-32%, tandis que celle qui rémunérait le capital approchait les 65%. Il restait donc à l’Etat quelque 3,5%. Depuis, la part rémunérant le travail n’a cessé de progresser pour s’établir à 34,7% en 2010 et à 36% en 2015, alors que celle qui va au capital retombe à 62,6% en 2015 contre 64,2% en 2010. Cette évolution observée à l’échelle de l’économie totale est encore plus vraie s’agissant des sociétés non financières, entités qui créent le plus de valeur ajoutée. En effet, la part de la VA dans ces entreprises attribuée aux travailleurs s’établit à 37,3% en 2015, contre 36,6% en 2010 et 34,9% en 2008. En revanche, l’excédent brut d’exploitation (EBE), qui représente la rémunération du capital, a reculé de 62,8% en 2008 à 61,4% en 2010 puis à 60% en 2015. Bien entendu, l’EBE demeure encore prépondérant, ce qui expliquerait que la part qui va à l’Etat, sous forme d’impôt sur la production, stagne pratiquement à 3-3,5%.[/tab][/tabs]