Affaires
Les patrons n’ont pas le moral en cette rentrée
Les trois premiers trimestres ont été décevants et une amélioration notable n’est pas attendue pour le quatrième. Les délais de paiement se sont dégradés, mais ne dépassent pas trois mois pour la majorité. En dépit de la crise et de la baisse de la confiance à l’égard du gouvernement, les patrons gardent espoir pour 2013.
L’analyse d’une conjoncture économique n’est pas un exercice aisé. Et pour cause, il peut y avoir un écart plus ou moins large entre la réalité des chiffres et la perception des entrepreneurs et dirigeants d’entreprises. La situation économique de l’heure au Maroc en est un parfait exemple. En effet, dans ses dernières sorties, le Haut commissariat au plan (HCP), même s’il ne se montre pas euphorique, expose une photographie tout à fait satisfaisante de l’activité économique dans un environnement international perturbé par tout genre de difficultés, particulièrement dans l’Union européenne, principal partenaire commercial du Maroc. En dépit d’une campagne agricole médiocre, le PIB a progressé de 2,8% au premier trimestre et de 2,6% au deuxième. Le rythme de croissance devrait être plus soutenu au troisième trimestre pour lequel on s’attend à une croissance de 2,9%. Toujours selon le HCP, le PIB hors agricole a augmenté de 4,6% et 4,7% aux premier et deuxième trimestres, et devrait croître de 4,8% au troisième. A cette cadence, il pourrait monter à plus de 5% comme avant 2008, année marquant le début de la crise internationale qui persiste.
D’après un sondage réalisé du 4 au 10 septembre 2012 par DS Marketing pour le compte de La Vie éco auprès de 206 responsables d’entreprises, la situation est moins idyllique que ne le suggèrent les chiffres, même si l’on peut considérer que nombre d’opérateurs analysent presque toujours l’évolution de l’activité sous l’angle du verre à moitié vide. Dans leur grande majorité, ils commencent par souligner leur insatisfaction à l’égard de la conjoncture économique en cette rentrée : 13,6% de l’échantillon la jugent très défavorable et 42,7% considèrent qu’elle est plutôt défavorable, soit 56,3%. Ce sentiment est partagé dans les différents secteurs. Ils sont 60,5% à se plaindre dans les services et 62,3% dans le commerce.
La majorité a enregistré un chiffre d’affaires en stagnation ou en baisse
Le pessimisme est un peu moins répandu dans l’industrie et les BTP dont les patrons interrogés ne sont que 48,8% à émettre des réserves sur ce mois de rentrée. Néanmoins, sur l’axe Casablanca-Rabat comme en province, et quelle que soit la taille de l’entreprise, le niveau de satisfaction est en dessous de 50%. Cet état d’esprit tranche avec celui manifesté au début de l’année (voir Article : Crise ? 227 patrons parlent de l’année 2012) durant lequel la tendance était à l’optimisme. Malgré le déficit pluviométrique, la majorité des patrons espérait une bonne année. Dans une enquête de Bank Al-Maghrib, les entreprises anticipaient même une évolution favorable de l’activité.
En regardant dans le rétroviseur, on peut considérer que cet optimisme était démesuré. Sur les 206 responsables approchés, 132, soit 64,1%, répondent que l’activité de leur entreprise a été affectée par un ralentissement au cours des trois premiers trimestres. La proportion est plus élevée dans les BTP et l’industrie (68,3%) que dans le commerce (64,2%) et les services (59,2%). Les difficultés sont plus prononcées en province (66,7%) que sur l’axe Casa-Rabat (62,4%). Selon la taille, les entreprises de moins de 50 personnes et de plus de 200 ont davantage souffert (67%) que celles de 50 à 199 (56,7%). S’il est convenu que les petites entreprises sont beaucoup plus vulnérables aux facteurs exogènes, l’écart entre les grandes et les moyennes peut difficilement s’expliquer.
Le sondage révèle que la trajectoire de l’activité des entreprises a été essentiellement déterminée par l’environnement économique : 90,2 % des personnes interrogées le disent. Les taux sont pratiquement similaires quel que soit le critère retenu (secteur, taille ou localisation).
Carnets de commandes : repli et stagnation prédominent
Au demeurant, très peu ont enregistré une hausse de leur chiffre d’affaires : 17,5% annoncent une amélioration par rapport aux trois premiers trimestres de l’année précédente. Du point de vue sectoriel, les BTP et l’industrie, qui affichent des signaux parfois contradictoires (68,2% disent faire face à un ralentissement), s’en sortent mieux avec 25,6%, tandis que le commerce et les services sont en net retrait : 85 à 90% ont concédé une baisse ou, au mieux, une stagnation. Les entreprises de province (88,9% en baisse ou en stagnation) ont eu plus de mal à résister que celles des deux grandes localités du pays (78,4%). Par taille, les entités de 200 employés et plus s’en sortent mieux : 27,5% annoncent un chiffre d’affaires en hausse, dont 12,5% de moins de 10%, et 15% de plus de 10%. Chez les entreprises de moins de 50 salariés et de 50 à 199, cette part est respectivement de 16% et 13,4%.
Dans cet environnement morose, les délais de paiement se sont naturellement dégradés en comparaison avec les trois premiers trimestres de 2011 : 57,3% des sondés en souffrent, 35% en sont au même niveau et 16% ont constaté une amélioration. Dans tous les secteurs comme dans les différentes régions, plus de la moitié des sondés disent avoir constaté un allongement des délais de règlement des factures. Quand on sait qu’une fois enclenché, le mouvement s’entretient de lui-même par l’effet boule de neige, les entreprises peu capitalisées, les PME en particulier, courent de gros risques.
Ce problème doit cependant être relativisé. En effet, pour 75,7% des personnes interrogées, les délais de paiement ne dépassent pas un trimestre: 31,1% annoncent trois mois, 25,2% deux mois et 19,4% un mois. En gros, les factures sont recouvrées trois mois au plus tard pour plus de 60% des entreprises, indépendamment du secteur et de la taille.
A ce niveau, on peut affirmer que les mœurs en matière de traitement des factures avaient commencé à évoluer dans le bon sens durant ces dernières années, alors que les textes réglementant les relations entre créanciers et débiteurs n’étaient pas encore adoptés.
Pour le dernier trimestre de l’année, les prévisions des opérateurs sont très contrastées. On relève que 16% de l’échantillon présentent un carnet de commandes plus étoffé que d’habitude quand 46,1 % annoncent une stagnation et 37,9% un repli. Dans l’industrie et les BTP, 20,7% des entreprises font état de commandes en hausse et 42,7% déplorent un recul. Pour le reste, 36,6%, la situation est inchangée. Dans le commerce et les services, la proportion des entreprises ayant profité d’une amélioration des commandes reste faible. La température est identique sur l’ensemble du territoire et dans l’ensemble des catégories d’entreprises.
Ils refusent cependant de céder à la fatalité
Une petite minorité voit le dernier trimestre en rose. Le gros de la troupe se contente de préserver les acquis, s’il ne voit pas leur situation se détériorer.
En dépit de toutes les incertitudes, les patrons ont envie d’y croire : 67,5% se disent optimistes sur le climat général des affaires au Maroc pour 2013. Surprenant, quand on sait que dans un environnement international où la moindre mauvaise nouvelle peut avoir des retombées négatives sur une bonne partie du monde et la tension est persistante sur le marché mondial des produits agricoles et du pétrole (61,2% de l’échantillon pensent que la hausse des cours aura un impact négatif sur leurs résultats).
Le sentiment d’espoir est partagé dans tous les secteurs. Les optimistes ont même atteint la barre des 70% parmi les entreprises de 50 personnes et plus. Pourtant, ceux qui espèrent la fin de la crise internationale sont minoritaires : 31,6% contre 54,4% de sceptiques. La même tendance prévaut dans tous les secteurs et zone géographique. On présume que les chefs d’entreprise considèrent maintenant comme une donne les perturbations que subit l’économie mondiale. «Nous vivons les mêmes problèmes que les autres pays. Si nous voulons sortir indemnes de la situation actuelle, il n’y a qu’une seule solution : être plus compétitifs et veiller à la qualité tant à l’extérieur qu’au marché intérieur où nous sommes de plus en plus concurrencés», analyse un patron. En l’occurrence, il est impératif de se retrousser les manches pour convertir les espoirs en résultats tangibles. Bref, mieux garnir les carnets de commandes.
En effet, malgré l’optimisme affiché pour 2013, les projections sont encore mesurées. Le quart seulement de l’échantillon s’attend à une demande en hausse pour le premier semestre de l’année prochaine, un peu plus (26,7%) évoque une stagnation et le tiers avoue n’avoir aucune visibilité. Encore une fois, l’industrie et les BTP sont légèrement en avance. 31,7% des patrons de ces secteurs annoncent une hausse des commandes et 24,4% une préservation du niveau d’activité. Au regard de leur comportement, il est clair que toute reprise forte de l’économie domestique passera par ces deux secteurs. Dans les services et le commerce, le futur proche est donc moins reluisant. Seulement 22,5% et 17% des patrons contactés dans ces activités déclarent une amélioration des carnets de commandes. Une partie fera face à une stagnation (26,8% dans les services et 30,2% dans le commerce) ou à un repli (7% dans les services et 20,8% dans le commerce).
En s’appuyant sur l’approche territoriale, on remarque sans surprise que les entreprises de Casablanca et Rabat ont une plus grande disposition à capter des commandes : 28,8% annoncent une hausse pour le 1er semestre 2013 contre 18,5% en province.
Le plus important est que le chiffre d’affaires soit en hausse. Sur ce volet, et c’est entre autres ce qui pourrait motiver leur sérénité, plus de la moitié des patrons anticipe une augmentation et le tiers une stagnation. Il n’y a donc pas de péril en la demeure d’autant que seulement 14% de l’ensemble tablent sur une baisse.
Dans leur majorité, les chefs d’entreprise ne s’attendent pas à la fin de la crise internationale, mais à une baisse de son intensité qui favorisera l’amélioration du chiffre d’affaires. Sur les 108 sondés qui anticipent cette hausse, 41,7% l’imputent à ce facteur. Les autres paramètres à la base de l’amélioration des recettes sont une bonne orientation de la demande (18,5%), l’amélioration des indicateurs internes de l’entreprise (22,2%), la baisse ou la disparition de la concurrence dans un secteur donné (15,7%) et l’adaptation à la crise (1,9%). Ce vent d’espoir fait que seulement 35,7% de l’échantillon prévoit une réduction des charges.
Faute d’informations précises à leur disposition, très peu d’entreprises se prononcent sur la Loi de finances 2013. Vu les facteurs contribuant à l’élévation de leur chiffre d’affaires, il semble qu’ils n’en attendent pas beaucoup. Cela traduit en quelque sorte une baisse de la confiance vis-à-vis du gouvernement.
Par rapport au dernier sondage, qui coïncidait avec ses 100 premiers jours, réalisé par DS Marketing, l’équipe de Abdelilah Benkirane a perdu 22 points de confiance en moyenne sur les différents thèmes soumis à l’échantillon. Sur le plan économique, 53,4% lui accordent encore leur crédit, 51,4% sur le plan social et seulement 46,1% sur le plan politique. Il semble que cette équipe, tenaillée entre les attentes des populations et les contraintes budgétaires, a fini de manger son pain blanc et sera désormais jugée sur pièce. Compter davantage sur soi. Pour les entreprises, cela a encore plus de sens dans les circonstances actuelles.