Affaires
Les menaces qui pèsent sur le système des retraites
La situation des caisses est globalement bonne mais il est urgent de prévenir
une catastrophe prévisible.
Le nombre de retraités croît trop rapidement par rapport à
celui des cotisants.
Lors du Dialogue social, Driss Jettou avait promis que le dossier des retraites serait rapidement ouvert. La promesse est tenue : mardi 16 janvier, un colloque national sera en effet organisé sur la question, avec la participation des opérateurs du secteur et des partenaires sociaux, entre autres.
En début de semaine, Mustapha Mansouri, ministre de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Solidarité, a reçu les représentants des syndicats et des entrepreneurs auxquels il a exposé la situation des retraites au Maroc et remis une documentation pour les besoins de la journée du 16.
Après le Code du travail, Driss Jettou réussira-t-il le difficile et laborieux chantier de la réforme des retraites ? Pour le moment, ce dont il est question, c’est de lancer la concertation sur le sujet sur la base des études actuarielles disponibles, la réforme proprement dite nécessitant, vu son impact social considérable, de prendre le temps qu’il faut ; d’autant que, les experts l’ont dit, même si les difficultés varient d’une caisse à l’autre, la situation globalement est encore maîtrisable. Le Maroc est un pays jeune, il n’a pas les problèmes que connaît l’Europe, occidentale notamment. Et cependant, en ce domaine tout particulièrement, celui de la prévoyance, il vaut mieux…prévenir que guérir. Les opérateurs du secteur, les experts et autres observateurs ont donc raison de souligner, comme ils le font régulièrement, l’urgence qu’il y a à réformer le système des retraites actuel. Bref, l’urgence soulignée ne consistera pas à réanimer des entités qui seraient moribondes, mais à faire en sorte que leur relative bonne santé d’aujourd’hui s’inscrive dans la durée. Surtout, et c’est le challenge que doivent relever les pouvoirs publics, il s’agira, à travers cette réforme, d’étendre la couverture en matière de retraite, limitée aujourd’hui à 20 % de la population active, à l’ensemble des travailleurs.
Mais avant de parler de réforme et des différentes options possibles pour sa concrétisation, revenons sur l’état général du secteur et le diagnostic établi pour les différentes caisses. Comme souligné précédemment, la situation actuelle des régimes, bien que contrastée, demeure globalement favorable, selon une étude réalisée par le cabinet Actuaria. Ainsi, en 2002, et à titre d’exemple, les réserves étaient de 62 milliards de DH, l’excédent de 1 milliard de DH, tandis que le rapport démographique était de 3,3 cotisants pour un retraité. Mais ces indicateurs, dans l’absolu, ne signifient pas grand-chose. Pour en apprécier la pertinence, il faut restituer leur évolution dans le temps : une année seulement auparavant, l’excédent était de 1,6 milliard et le rapport démographique de 5,28 cotisants pour un retraité. La dégradation est nette.
Situation contrastée des différentes caisses
S’agissant des caisses prises individuellement, leur situation va de mauvaise (CIMR) à bonne (RCAR) en passant par médiocre (CNSS) et acceptable (CMR). D’abord le RCAR (Régime collectif des allocations de retraite, qui regroupe, depuis peu, les caisses internes de l’ODEP, l’ONE, la Régie des tabacs, l’OCP et l’ONCF) : couvrant le personnel contractuel de l’Etat, cette caisse doit sa bonne santé principalement au fait que le taux de cotisation y est de 18 %, que l’assiette de calcul de la pension est basée sur le salaire moyen de carrière, et enfin qu’elle fonctionne selon un régime mixte combinant la capitalisation (2/3) et la répartition (1/3). Il s’ensuit que cette caisse a accumulé des réserves qui la mettent à l’abri des difficultés pour une quarantaine d’années encore. Ce diagnostic, déjà connu, est réaffirmé dans le rapport du comité de suivi des études actuarielles, élaboré par la Direction des Assurances et de la Prévoyance sociale (DAPS) du ministère des Finances et de la Privatisation, et remis en début de semaine aux participants au colloque du 16 décembre sur la réforme des retraites. Le même document souligne, en revanche, que la CMR (Caisse marocaine des retraites), aujourd’hui excédentaire (1,6 milliard de DH), connaîtrait ses premiers déficits au plus tard en 2010. Gérant les retraites des fonctionnaires, cette caisse fonctionne selon le régime de la répartition. Bien que le taux de cotisation y soit de 14 %, ses réserves devraient s’épuiser en 2017.
La CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale, gérant les retraites du privé) est, quant à elle, déficitaire depuis 1999. Les spécialistes imputent cette mauvaise posture au fait notamment que les placements effectués par la CNSS l’auraient été à des taux bas. Selon le document de la DAPS, les réserves de la CNSS, qui s’élèvent à plus de 6 milliards de dirhams, s’épuiseraient complètement en 2010 – c’est-à-dire demain. Quant à la CIMR (Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites), la crise qui l’affecte est connue de tous. Ayant un statut d’association, la CIMR est une caisse complémentaire (donc facultative) fonctionnant en répartition, mais en même temps un régime de base pour un certain nombre d’établissements publics. En 1999 déjà, le ratio prestations/ cotisations avait atteint 140 %, alors que celui-ci ne dépasse pas 80% pour les autres régimes. Selon un de ses anciens présidents, «la surévaluation» des taux de rendement des cotisations est considérée au moins comme une des causes de cette crise. Ce dernier avait d’ailleurs tenté de réformer la Caisse en y introduisant une part de répartition, mais en vain.
Le statu quo serait dangereux pour tout le système
Au total, le système de retraite au Maroc peut encore tenir quelques années, voire quelques décennies pour le RCAR et à un degré moindre la CMR, mais ce statu quo, s’il devait persister au-delà, sonnerait le glas de toutes les caisses. Pourquoi ? Parce que, nous disent le rapport de la DAPS et les différentes études actuarielles menées par le passé, le rapport démographique va en se dégradant alors que les prestations servies sont par trop «généreuses».
Dès à présent, soulignent ces sources, le rapport démographique est entré dans une phase défavorable pour presque toutes les caisses : il est en moyenne de 3 cotisants pour un pensionné. Compte tenu de l’amélioration de l’espérance de vie (67 ans en 1987, 69 ans en 2000 et 80 ans en 2060), de la baisse de la fécondité (2 enfants par femme en 2014 contre 3,25 en 1994) et, ne l’oublions pas, de la stagnation des recrutements et de l’atonie du marché du travail, le rythme d’évolution des retraités sera 6 fois plus rapide que celui des cotisants dans les 40 prochaines années. Il s’ensuit que le taux de charge (prestations/cotisations) ira en se détériorant au point que les prévisions donnent un déficit consolidé de 7 milliards de DH en 2010, 30 milliards en 2020 et 114 milliards en 2040. Pour rétablir l’équilibre et en n’agissant que sur un seul levier, celui du taux de cotisation, il faudrait, selon les experts, doubler ces taux en 2010 déjà, les multiplier par 4 en 2030 et par 8 en 2040. Est-ce possible ?
Alors que l’ensemble des caisses va au-devant de difficultés majeures – à des rythmes différenciés certes-, les prestations qu’elles fournissent sont jugées généreuses: la base de calcul de la retraite est souvent déterminée sur le dernier ou la moyenne des trois derniers salaires (sauf pour le RCAR qui a adopté un salaire moyen de carrière) ; la revalorisation des pensions sur la base de l’augmentation du salaire moyen; les majorations familiales qui représentent environ 30 % de la pension principale ; et, depuis peu, les départs en retraites anticipées, une politique encouragée par le gouvernement et dont l’effet peut être ruineux pour les caisses qui paient des prestations sans percevoir de cotisations.
Le système des fonds de pension a peu de chances de prendre au Maroc
A ces difficultés intrinsèques, il faut ajouter des contraintes qui sont d’ordre plus général : volatilité de la croissance, hypertrophie du secteur informel, absence de loi-cadre pour le secteur et de réglementation pour le placement des fonds, etc.
A partir de ce diagnostic, la conclusion s’impose d’elle-même : «le système marocain de retraite n’est pas viable en l’état», selon le rapport de la DAPS. Il faut donc réformer, mais comment ? Plusieurs pistes sont déjà explorées. Il y a d’abord la réforme des paramètres du système actuel: relèvement de l’âge de la retraite et du taux de cotisation et diminution du niveau des prestations, principalement. Cette approche, qui a peut-être l’avantage de soulager momentanément les caisses de retraite, ne fait en réalité que différer les problèmes, selon des experts. Il y a ensuite la réforme du montage financier à système multiple : création d’un premier pilier obligatoire qui fonctionnerait selon la technique de répartition avec couverture minimum et qui pourrait être géré par le CMR pour le public et la CNSS pour le privé ; mise en place d’un deuxième pilier, toujours obligatoire, selon le principe de la capitalisation, assurant une couverture complémentaire et qui serait confié au RCAR tant pour le public que pour le privé ; mise en place d’un troisième pilier qui serait, lui, tout à fait facultatif.
Il y a enfin, comme piste de réforme, le passage du système actuel à un système géré entièrement en capitalisation et en cotisations définies : c’est le système des fonds de pensions. Les exemples les plus connus dans ce sens sont ceux de l’Amérique du Sud où le modèle chilien semble avoir fait tache d’huile. Au Maroc, cet exemple ne risque pas de prendre pour de multiples raisons. Les scandales financiers qui ont surgi ces derniers temps aux Etats-Unis ont fini par en dissuader plus d’un…
Les chiffres de la retraite au Maroc
* Total actifs cotisants : 2 600 000
* Total bénéficiaires : 800 000
* Rapport démographique : 3,3
* Cotisations collectées : 13 milliards de DH
* Prestations payées : 12 milliards de DH
* Rapport des charges : 92 %
* Réserves constituées : 62 milliards de DH (20 % du PIB, ou 5 années d’allocations)