Affaires
Les exportations réelles ne représentent que le tiers du global annoncé !
Plus de 70% de la valeur des exportations proviennent des admissions temporaires.
Seulement 10 entreprises réalisent un chiffre d’affaires à l’export supérieur à 1 milliard de DH.
77% des exportations sont constituées de produits primaires, de produits de base transformés et de produits de «basse» technologie.
Principal canal à travers lequel la crise économique mondiale est transmise au Maroc, les exportations font l’objet de sollicitudes de la part du gouvernement, qui s’apprête à annoncer un plan de relance et de promotion à ce sujet, mais aussi de débats, nombreux, au sein de cercles tout aussi divers. L’association des polytechniciens du Maroc, par exemple, a initié une rencontre intéressante sur le sujet, vendredi 28 février. Le constat, vieux de quelques années déjà, d’une structure des exportations peu diversifiée et des produits à faible intensité technologique, a été renouvelé à cette occasion. A vrai dire, crise ou pas crise, les problèmes que connaît le commerce extérieur ne sont pas nouveaux, ils sont donc structurels.
Certains chiffres que la présidente de la Société marocaine d’assurance à l’exportation (Smaex), Nezha Lahrichi, présente à la manifestation des polytechniciens, n’a pas eu le temps d’exposer, mais que La Vie éco a pu obtenir, en disent assez long sur l’état des exportations marocaines. Songez que sur les 5 600 entreprises exportatrices, plus de la moitié (3 031) ont réalisé en 2007, donc bien avant la crise, un chiffre d’affaires à l’export inférieur à un million de DH. Seulement dix entreprises ont dépassé un milliard de DH à l’export ! (voir tableau). Par secteur d’activité, un seul, l’industrie minière, avec seulement 25 entreprises, a réalisé 25,6 % du chiffre d’affaires total à l’export en 2007.
Troisième indicateur, enfin, confirmant la faiblesse du secteur exportateur, les exportations réelles de biens représentent moins de 30% des exportations totales de biens ; le reste étant constitué des admissions temporaires. Un processus qui confère aux produits exportés peu de valeur ajoutée produite au Maroc, la matière étant entièrement – ou presque – importée, sans compter la sortie de devises consentie. In fine, l’écart constaté entre ressources mobilisées pour importer des intrants et celles encaissées à la vente du produit fini aurait pu être nettement plus important si le taux d’intégration (tissus, fils, accessoires produits localement) avait été plus élevé. Et cette situation n’est pas le fruit de la crise, c’est ainsi depuis au moins 2002.
Evidemment, tout cela concerne les exportations de biens. Car, lorsque la question est appréhendée sous l’angle de la balance commerciale élargie, c’est-à-dire en intégrant les exportations de services, la donne change. Tout le monde le reconnaît, y compris la Banque mondiale dans son dernier rapport sur le climat de l’investissement au Maroc (que La Vie éco avait dévoilé en exclusivité). Les exportations de services (tourisme, offshoring, services aux entreprises…) se sont bien développées ces dernières années. Entre 2000 et 2006, par exemple, elles sont passées de 9% à 15% du PIB, soit un niveau «nettement supérieur à la moyenne des pays émergents», note la Banque mondiale.
Néanmoins, non seulement cette performance est loin de contrebalancer le déficit de la balance des biens (la preuve, le compte courant est désormais déficitaire), mais aussi, plus généralement, il n’est pas d’exemple de pays émergent, nous dit la Banque mondiale, qui ait réalisé une croissance de ses exportations soutenue simplement en s’appuyant sur les exportations de services. Autrement dit, les exportations doivent «marcher» sur deux jambes : les services et les biens. Or, depuis 2000, les exportations manufacturières du Maroc ont évolué à un rythme inférieur à celui observé dans le monde, en particulier au rythme des pays émergents.
Sur un échantillon de 30 pays étudié par la Banque mondiale, le Maroc se classe à la 26e place en termes de performance. C’est ainsi que la part des exportations manufacturières a représenté 13% du PIB du Maroc en 2007, contre une moyenne de 25% dans les pays émergents. Dans la plupart de ces pays, observe la Banque mondiale, les exportations se développent plus rapidement que le reste de l’économie et constituent «le moteur de la croissance économique et des gains de productivité». Au Maroc, c’est même le contraire qui s’est produit ces dernières années. Hassan Abouyoub, qui sait de quoi il parle pour avoir été ministre du commerce extérieur au début des années 90 et négocié plusieurs accords de libre-échange, a même estimé, lors de la manifestation des polytechniciens, que les échanges extérieurs «contribuent négativement» à la croissance économique du Maroc – ce que confirment du reste les statistiques du Haut commissariat au plan (HCP).
Sur une nomenclature de 5 000 produits, le Maroc en exporte 1 200
Plusieurs causes expliquent cette situation ; deux, notamment, méritent d’être rappelées. La première est que l’économie marocaine est moins diversifiée que la moyenne des pays émergents. Selon le rapport de la Banque mondiale, sur une nomenclature de 5 000 produits, le Maroc en exporte 1 200, soit 42 produits par million d’habitants. En valeur absolue, certes, le Maroc avec ses 1 200 produits est au même niveau que la Tunisie, mais ce pays est trois fois moins peuplé. A titre de comparaison également, la Turquie exporte 55 produits par million d’habitants, le Chili 102 et la Malaisie 160. Certes, le nombre de produits exportés a augmenté de 25% entre 1995 et 2006, mais, relativise la Banque mondiale, compte tenu du «niveau initialement bas», cette progression aurait dû être de 40% pour s’aligner sur la performance moyenne des pays émergents.
La deuxième cause de l’atonie des exportations (en valeur bien entendu) tient à la faiblesse du contenu technologique de la production. Là aussi, le constat est déjà connu, mais le chiffrage effectué par la Banque mondiale est intéressant : les activités intensives en technologie comme l’électronique et les équipements automobiles et autres ne représentent que 28 % de la valeur ajoutée industrielle marocaine. Et dans la structure technologique des exportations marocaines, ces produits ne représentent que 23,2% du total des exportations ! Ce qui revient à dire que 77% des exportations sont constitués de produits primaires, de produits de base transformés (dérivés de phosphates et agroalimentaire) et de produits manufacturés de «basse» technologie (cas de l’industrie du textile et de l’habillement). A titre de comparaison, en Thaïlande, en Malaisie ou au Mexique, les produits à forte intensité technologique constituent 50% des exportations.
Bien sûr, il y a eu des progrès au Maroc depuis au moins une décennie, notamment avec le développement du secteur électrique et électronique, faisant passer les exportations de haute et moyenne technologie de 17% en 2000 à 23% en 2006. Mais, disent les experts, globalement, la structure technologique de l’industrie marocaine n’a pas subi de changement significatif : plus de 70% du secteur manufacturier marocain sont dédiés à la transformation des produits de base (51%) et des produits de basse technologie (21%).
Sur les 7 500 entreprises manufacturières, à peine 200 entreprises opèrent dans les secteurs électrique et électronique, réalisant seulement 7% de la valeur ajoutée industrielle et 6% des emplois manufacturiers.
Il coule de source que c’est sur ces problématiques que les décideurs devraient se pencher s’ils veulent faire rattraper aux exportations leur retard. La Malaisie et la Thaïlande, exemples de pays ayant réussi leur décollage, avaient un même niveau technologique que le Maroc au début des années 80. Mais pour cela, il ne suffit pas de faire de la promotion ou d’accorder des exonérations, il faut commencer par le commencement : l’éducation. «Les exportations, c’est à l’université que ça commence», dixit Hassan Abouyoub.