Affaires
Les entreprises peuvent-elles ne pas répercuter la baisse de l’IR ?
Elle est censée profiter aux salariés, mais dans le cas d’un contrat basé sur le salaire net, l’entreprise peut arguer d’une rémunération inchangée.
Le salaire net est-il valable dans un contrat de travail ? Rien ne l’interdit. Une faille dans le dispositif réglementaire. Code du travail et Code des impôts sont muets sur la question.
L’Etat doit réagir pour éviter les abus.
Le premier janvier 2009, le barème donnant lieu au calcul de l’impôt sur le revenu devrait connaître un changement substantiel. Après avoir, dans un premier temps, effectué des simulations donnant lieu à des abattements généreux, le gouvernement a revu ses calculs concernant cette baisse d’impôt qui devrait se traduire par un manque à gagner fiscal qui s’établira à 4,8 milliards de DH. Les principaux changements concernant la hausse du plafond de revenu exonéré qui passe de 24 000 à 28 000 DH par an ainsi que le réaménagement des tranches et la baisse de certains taux. Ces baisses seront de deux points pour les taux concernant les deux tranches supérieures, d’un point sur les deux tranches intermédiaires et de trois points sur la première tranche non exonérée. In fine, l’impact sur les salaires nets devrait se traduire – selon le poids des cotisations sociales – par une hausse de 3 à 5% (voir tableau de simulations). Sauf que… est-ce réellement les salariés qui en profiteront ?
Toute la question est là. En effet rien dans la loi n’oblige l’entreprise à répercuter la baisse de l’IR au profit des salariés si ce n’est la condition bien connue que le salaire ne doit pas connaître une baisse sans raison valable. Mais de quel salaire parle-t-on ? Le brut, le net, l’imposable ?
Interrogés, différents acteurs qu’ils soient spécialistes, corporatistes ou encore étatiques semblent s’étonner de la question. Pour eux, la philosophie même de la baisse de l’IR est que le salarié puisse en profiter. Ainsi, Bouchaïb Serhani, dg de Gesper Services, spécialiste en questions de rémunérations, se base sur le Code général des impôts pour se prévaloir du droit du salarié à la baisse. «C’est le salarié qui paie l’IR, l’employeur n’étant qu’un intermédiaire qui fait le recouvrement à la source. En aucun moment il n’est question pour l’employeur de tirer profit d’une loi fiscale relative aux revenus salariaux». Il est rejoint en cela par Jamal Maâtouk, conseiller juridique, qui estime que «l’employeur n’a aucun droit à vouloir profiter d’une baisse de l’IR. C’est un impôt payé par le salarié à l’Etat. L’employeur n’est qu’un percepteur. S’il y a une baisse du taux, c’est bien au bénéfice de l’employé». Sauf que le Code général des impôts en question n’apporte pas de réponse précise au bénéficiaire d’une éventuelle variation du taux de l’IR. L’article 21 énonce que cet impôt «s’applique aux revenus et profits de personnes physiques (…)» et l’article 156 impose à l’employeur d’opérer une retenue pour le compte du Trésor.
Contrat basé sur le salaire net illégal ? Quel texte le dit ?
Dans tous les cas, rappelle-t-on, ne pas répercuter la baisse de l’IR revient à baisser le salaire brut de l’employé ce qui est illégal.
Quid alors d’un contrat de travail qui fixe seulement le salaire net et non pas le brut ? En vertu d’un tel contrat, l’employeur pourrait valablement se prévaloir d’empocher à son profit la baisse de l’IR sachant que le salaire de son employé ne sera pas affecté. «Un contrat de travail basé sur le salaire net est illégal», répond Moulay Hafid Elalamy patron de la CGEM. Illégal ?
A voir, le droit c’est la preuve et aucun texte de loi ne fixe ce qui doit figurer précisément dans ce cas dans ledit contrat. Le Code du travail, s’il fait obligation, dans son article 370, à l’employeur, de délivrer un bulletin de paie «qui doit mentionner obligatoirement les indications fixées par l’autorité gouvernementale chargée du travail», notamment le montant de la rémunération brute gagnée par l’employé(*), ne dit rien quant à l’obligation contractuelle. «Dans la pratique, la plupart des contrats sont basés sur le salaire brut», estime maître M’Hamed Fekkak, avocat au barreau de Casablanca qui ajoute qu’un contrat de travail mentionnant le salaire net «n’est pas régulier, mais n’est pas interdit non plus».
Pour Mohamed Hdid, expert-comptable et président de la commission fiscale à la CGEM, et à l’inverse de l’estimation de Me Fekkak, dans la pratique, le nombre de contrats basés sur le salaire net est bel est bien important, ce qui pose un problème juridique. «En principe, la notion de salaire net n’existe pas donc c’est le salaire brut qui compte. Si l’employeur déclare un salaire brut aux caisses et organismes de prévoyance sociale, pourra-t-il un mois déclarer moins en cas de baisse d’impôt, quand bien même il servirait un salaire net inchangé ?»
En fin de compte, l’entreprise peut-elle se prévaloir d’un contrat basé sur un salaire net pour ne pas répercuter la baisse de l’impôt sur le revenu au profit de ses salariés? «Un tel contrat n’étant visiblement pas en contradiction, ni avec le Code de travail, ni avec celui des impôts, ses clauses deviennent logiquement opposables à tous, en tant qu’engagement de parties, régi par le Dahir des obligations et contrats. Il faudrait que les juristes se penchent sur la question», raisonne Abdelouahid Khouja, secrétaire général au ministère de l’emploi.
Devant le flou qui subsiste, alors que la logique, la morale et l’éthique même voudraient que la baisse de l’IR effective depuis le 1er janvier profite aux employés, il serait sans doute utile que l’Etat précise par décret, arrêté, ou tout autre moyen légal qu’il a à sa disposition, que la baisse de l’IR doit impérativement aller dans la poche du salarié.
(*) «Droit du travail»,M’hamed El Fekkak, Imprimerie Najah Al Jadida, janvier 2008.