Affaires
Les dossiers problématiques du prochain Exécutif
La remontée probable du prix de l’énergie pourrait contrarier la volonté de parachever le processus de réforme de la compensation. L’Etat seul ne pourra pas résoudre le problème du chômage, mais il dispose de moyens pour encourager la création d’emplois.
Même si les dossiers qui fâchent, comme la compensation et la retraite, à défaut d’être entièrement réglés, sont assez largement entamés, le nouveau gouvernement qui verra le jour sous peu, aura malgré tout à affronter quelques grandes questions dont voici, arbitrairement, quelques-unes.
Tout le monde l’aura sans doute remarqué, le prix du pétrole, ces derniers temps, est sur une tendance plutôt haussière. Jusqu’au mois de juillet 2016, en effet, le baril de Brent avait atteint 45 dollars en moyenne, soit une hausse de 46% depuis le début de l’année. Actuellement, le Brent de la Mer du Nord se négocie autour de 50 dollars le baril ; et s’il est difficile, compte tenu de l’offre actuelle, de prédire un pétrole à 80 dollars le baril, il y a tout de même une quasi-certitude dans les milieux spécialisés que le cycle baissier, entamé depuis l’été 2014, touchait à sa fin. Outre le fait que l’OPEP est parvenue, il y a quelques semaines, à un accord de principe sur une baisse de la production de ses membres (principe qui devrait être concrétisé lors du sommet de l’organisation le 30 novembre prochain à Vienne), les pays producteurs hors OPEP sont eux aussi intéressés par la régulation du marché via une baisse de l’offre de pétrole. C’est en particulier le cas de la Russie, premier producteur mondial, qui est actuellement en pourparler avec l’OPEP sur le sujet. Bref, une remontée des prix de l’or noir jusqu’à 60/65 dollars le baril en 2017 ou 2018, n’est pas à exclure, c’est même une hypothèse assez probable. Dans ce cas de figure, le déficit de la balance commerciale, qui s’aggrave de nouveau après s’être considérablement allégé entre 2013 et 2015, pourrait s’accentuer, provoquant, in fine, une hausse des besoins de financement de l’économie.
Une augmentation du prix du pétrole n’aurait aucun impact sur le budget
Sur le plan strictement budgétaire, en revanche, une augmentation du prix du pétrole n’aurait aucun impact, puisque les carburants ne sont plus subventionnés. Par contre, le gaz butane, dont le prix est corrélé à celui du pétrole, pourrait, lui, se renchérir, entraînant une hausse du niveau de compensation de ce produit. Depuis le pic de 2012, où le soutien du gaz butane avait atteint 90 DH la bonbonne de 12 kg, la subvention de ce produit n’a cessé de reculer pour s’établir à quelque 33 DH en moyenne sur la période janvier-juillet 2016. Bien entendu et sauf événement extraordinaire, un retournement du marché qui ferait revenir les prix de la période 2011-2014 (où la tonne de butane coûtait respectivement 879 dollars, 893 dollars, 823 dollars et 756 dollars) paraît presque exclu. Le gouvernement a d’ailleurs pris comme hypothèse, pour bâtir le projet de Loi de finances 2017, un prix moyen du gaz de 350 dollars la tonne, sachant que sur les sept premiers mois de 2016, le cours moyen du butane était de 326 dollars la tonne.
Mais la sensibilité de ce produit est telle que même avec le niveau actuel de la subvention (soit 33 DH la bouteille de 12 kg et 9 DH celle de 3 kg), la décompensation projetée du butane paraît déjà difficile. Personne ne peut en effet imaginer que la bonbonne de gaz puisse, sous l’effet de la décompensation, se renchérir de 33 DH ou même de 20 DH. Ce qui était possible avec les carburants ne peut évidemment pas l’être pour le gaz, produit de masse par excellence. Moyennant quoi, la réforme promise par l’ancien (et actuel) chef du gouvernement sera forcément progressive, nonobstant ce que les partenaires de la coalition, qui est en cours de constitution, pourraient en penser. Traditionnellement, l’Istiqlal, qui a déjà annoncé sa participation au prochain gouvernement, n’est pas très favorable à ce genre de réforme. On se souvient en effet de la position sur ce point de Nizar Baraka lorsqu’il occupait, au nom de l’Istiqlal, le poste de ministre de l’économie et des finances. L’USFP, autre participant probable à la coalition gouvernementale, est, elle aussi, au moins philosophiquement, réticente à la suppression des subventions.
Tout cela pour dire que la question de l’énergie, couplée à la réforme de la compensation du gaz butane, pourrait constituer une des difficultés que le prochain gouvernement devra affronter au cours des cinq années de la législature qui s’ouvre.
On peut penser néanmoins que les marges budgétaires réalisées ces dernières années, notamment à la suite de la suppression de la subvention des carburants (la charge de la compensation des produits pétroliers, dont le gaz, tombe de 48,5 milliards de DH en 2012 à 8,9 milliards en 2015), sont tellement importantes que l’Exécutif ne serait pas forcé d’agir dans l’urgence ; du moins en ce qui concerne la décompensation du butane. Mais s’il tient à sa réforme, il devra bien quand même y aller au cours de son mandat.
L’école publique doit être de qualité et accessible à tous
C’est en revanche une tout autre affaire que celle de l’emploi, le casse-tête de tous les gouvernements d’ici et d’ailleurs et, si l’on peut dire, l’objectif ultime de toutes les politiques économiques. L’emploi est le type même de dossier transversal et, vu sous cet angle, sa promotion est affaire de tous. L’Etat, seul, n’y peut pas grand-chose, en particulier dans un contexte où il a plutôt tendance à réduire ses effectifs. Aujourd’hui, pour rappel, 90% du stock des emplois relèvent du secteur privé. Le problème est que ces emplois, pour une grande partie, sont des emplois de faible qualité. Bien plus que cela, depuis quelques années, le problème de la qualité se double d’un problème de quantité, puisque l’économie marocaine n’arrive plus à créer un nombre d’emplois suffisants, proportionnellement à l’offre de travail. Entre 2006 et 2015, il s’est créé 1 050 000 emplois, soit une moyenne de 105 000 par an. De 2012 à 2015, la moyenne a chuté à 42 250 emplois par an, soit un total de 169 000 emplois sur quatre ans. Et si malgré tout le taux de chômage s’est stabilisé autour de 9,5% sur la même période (2006-2015), c’est simplement parce que, en parallèle, le taux d’activité a baissé de 4 points. Autrement dit, la stabilisation du taux de chômage est due moins au nombre d’emplois créés qu’à la faible participation au marché du travail. Pour relativiser quelque peu ce constat, on peut dire que la baisse de la quantité est légèrement compensée par la qualité des emplois créés, même si, une fois de plus, le problème de la qualité demeure posé.
Cette problématique-là, le gouvernement qui se mettra en place prochainement, plus ou moins libéré du soucis des équilibres macroéconomiques à rétablir (ils le sont déjà), devrait la prendre à bras le corps ; et pourquoi pas de la même façon et avec la même vigueur qu’il a mis à détricoter, encore partiellement mais substantiellement, le système de compensation. L’Exécutif, quoi qu’on dise, a les moyens budgétaires (via la fiscalité) et même monétaires non pas pour créer lui-même des emplois, mais pour en favoriser la promotion dans le secteur privé. A cette précision près, et elle est de taille, que l’école, indirectement, est elle aussi impliquée dans cette affaire. L’école (publique s’entend) devrait être non seulement disponible pour tous mais aussi de qualité. Le plan industriel mis en place et, plus généralement, la compétitivité de l’économie en dépend.
Cela fait bien longtemps qu’il est question de réformer l’enseignement, il faut bien que cela commence un jour. D’autant que cette réforme n’est pas et ne peut pas être justiciable d’une législature, c’est un chantier sur une génération au moins. Cependant, la grosse difficulté sur ce sujet tiendrait moins aux moyens matériels et pédagogiques que requiert la réforme, qu’au rôle et à la place qu’il importe d’assigner à l’école et à l’éducation dans la société ; dans l’échelle des valeurs de celle-ci. C’est un fait que, de plus en plus, et presque partout dans le monde, la réussite, au sens économique du mot tout au moins, ne passe pas toujours par l’école. Or, dans l’échelle des valeurs d’aujourd’hui, le savoir est moins coté que la richesse matérielle, pour rester sur le langage de l’économie. Inverser les termes de l’équation, ce n’est sûrement pas une mince affaire, c’est même une tâche quasi herculéenne. Il a fallu des décennies pour démonétiser l’école, il ne suffira pas de quelques années pour lui faire retrouver son lustre.