Affaires
Les deux tiers des travailleurs marocains n’ont aucun diplôme !
La structure de l’économie est encore peu favorable aux diplômés. Les aides familiales pèsent 23% de l’emploi total. Plus de 40% des actifs occupés ont commencé à travailler avant l’à¢ge de 15 ans.

Le chômage est reparti à la hausse au cours du troisième trimestre de cette année. Il s’est établi à 9,4% de la population active, au lieu de 9,1% à la même période de 2011 et de 8,9% pour l’ensemble de l’année 2011. En valeur absolue, le nombre de chômeurs a augmenté de 50 000 personnes (+4,7%) à 1 099 000 chômeurs (voir encadré).
L’essentiel du surplus de chômeurs (45 000) se recrute en milieu urbain, ce qui porte le taux de chômage dans ce milieu de résidence à 14% contre 13,5% un an auparavant, alors que dans le rural, il a quasiment stagné (4,2% contre 4,1% il y a un an), selon la dernière enquête sur le marché du travail que vient de publier le Haut commissariat au plan (HCP).
Outre sa concentration dans le milieu urbain, le chômage frappe surtout les jeunes, ce qui accentue l’acuité du phénomène. Selon le HCP, en effet, le chômage des jeunes de 15 à 24 ans vivant en milieu urbain a augmenté de 2,8 points, en passant de 32,4% à 35,2%, et de 1,2 point pour la tranche d’âge 25-34 ans (20,4% au lieu de 19,2% un an auparavant).
Il en résulte que la population active en chômage est majoritairement citadine (79,2%), jeune (68% des 15 à 29 ans) et porteuse de diplômes de niveau supérieur (28%). C’est une structure tout à fait inversée de la population active occupée. Celle-ci se caractérise par une quasi-égalité entre les ruraux et les citadins (5,22 millions et 5,33 millions respectivement), une participation… correcte, sans plus, des 15-29 ans (31,1%) et, surtout, une prépondérance d’actifs n’ayant aucun diplôme (65%). En Tunisie, par exemple, si la structure de l’emploi par sexe et par âge est à peu près la même que celle du Maroc, la part des non-diplômés y est en revanche moins élevé qu’ici (46,7%). Les diplômés du niveau supérieur, qui représentent à peine 10% de la population active occupée au Maroc, en représentent 16,2% en Tunisie. Au Liban et en Egypte, les diplômés de l’enseignement supérieur représentaient respectivement 15% et 24% des actifs occupés (statistiques de 2007).
32,4% des actifs occupés au Maroc n’ont aucune instruction
Par niveau scolaire, cette fois (voir détails en graphe), les statistiques du HCP montrent que 32,4% des actifs occupés n’ont reçu aucune instruction, c’est-à-dire qu’ils n’ont même pas fréquenté le fameux “M’Sid” où l’on apprend le Coran ; et que 27,1% n’ont pas dépassé l’école primaire (1er cycle fondamental). En Tunisie, la proportion des actifs n’ayant aucun niveau d’instruction est de 11,1% et ceux de niveau primaire de 35,6%. Il faut dire que la Tunisie se distingue au Maghreb précisément par l’importance donnée à l’instruction dès l’indépendance du pays en 1956. C’est même, d’une certaine manière, la marque de fabrique du pays.
Le poids encore très élevé des sans-diplômes et même des sans aucun niveau d’instruction dans les actifs occupés au Maroc tient à la fois à la structure de l’économie marocaine, encore largement dominée par l’emploi de la main-d’œuvre non qualifiée, et à l’importance des activités primaires, notamment l’agriculture.
Ces deux facteurs (la demande en main-d’œuvre non ou peu qualifiée et le besoin de gager sa vie) explique d’ailleurs le constat établi par le HCP que plus de quatre actifs sur dix (plus de 40%) ont commencé à travailler à un âge précoce (moins de 15 ans), alors que seulement un actif sur cinq (20%) a accédé à l’emploi à 20 ans et plus. Et quand on a commencé à travailler à moins de quinze ans, il va de soi que l’on n’a, dans le meilleur des cas, que le niveau primaire.
Ce phénomène d’accès précoce à l’emploi, on le devine facilement, est plus accentué en milieu rural (63,2%) que dans les villes (21,6%) ; le rural concentrant plus d’abandon scolaire, souvent par nécessité économique. C’est ainsi que ce que l’on appelle les aides familiales (actif occupé travaillant dans une ou plusieurs entreprise(s), pour un membre de sa famille sans recevoir de rémunération, et vivant chez ce dernier, selon la définition du HCP) représentent encore aujourd’hui 23% de la population active occupée. Plus généralement, le secteur primaire (dans l’agriculture essentiellement, mais aussi dans la forêt et la pêche) emploie aujourd’hui 40% des actifs occupés.
En Tunisie, pour rester sur cet exemple, l’emploi dans le secteur primaire représente 17,6% de l’emploi total, et les aides familiales ne dépassent pas 6% de l’ensemble des actifs occupés.
L’agriculture et le commerce fournissent 53% des emplois
Le commerce, activité peu demanderesse de qualifications élevées, se positionne comme la deuxième branche d’activité économique en terme d’emploi : il concentre 13,1% des actifs occupés (11,8% en Tunisie).
Il y a donc, de façon manifeste, une corrélation nette entre les structures de l’économie nationale et le profil de la population active occupée. C’est la raison pour laquelle, c’est déjà maintes fois évoqué ici, d’une part, les produits fabriqués au Maroc ont, globalement, une faible intensité technologique (d’où les difficultés à l’export), et, d’autre part, les recettes fiscales sont encore peu sensibles (quoi que ça s’améliore) à la croissance économique ; laquelle repose encore, dans une mesure relativement importante, sur le secteur primaire, en particulier sa composante agricole qui est toujours défiscalisée.
Les choses ne sont cependant pas figées, et des évolutions se dessinent ici et là. A titre d’exemple, le sous-emploi, qui est généralement plus élevé que le chômage, se situe cette fois-ci presque au même niveau que celui-ci : 9,6%, au lieu de 11,6% à la même période de 2011, et de 13,3% en 2010. Le comportement de l’indicateur «sous-emploi» est tout à fait corrélé à celui du chômage : lorsque celui-ci augmente, le premier diminue et vice versa. Cela signifie que lorsqu’une personne accepte d’être sous-employée, on constate alors que le chômage diminue, et par conséquent le sous-emploi augmente. En ce moment, nous sommes dans le scénario inverse. Si cette tendance se prolonge, et elle se prolongera sûrement à mesure que les demandeurs d’emplois changent de profils consécutivement à l’amélioration du taux de scolarisation, la structure de la population active occupée en sera impactée très naturellement. Ceci est d’ailleurs à la fois une opportunité pour l’économie et un défi pour les pouvoirs publics. Une opportunité parce que l’économie devrait bénéficier de ressources humaines jeunes et de qualité ; un défi, car celle-ci a des exigences qu’il faudra satisfaire. C’est ce que les démographes appellent la «transition démographique», et le Maroc se trouve précisément dans cette phase (depuis déjà quelque temps d’ailleurs). Mais il ne semble pas en profiter vraiment…
