Affaires
Les crédits bancaires ont plus que triplé en dix ans
Malgré la progression du taux de bancarisation, les ressources des banques ne suffisent pas à tout financer et Bank Al-Maghrib injecte 28 milliards par semaine pour combler le manque .

Il y a un peu plus d’une année (en juin 2010), le gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, annonçait en conférence de presse que les crédits bancaires représentaient désormais quelque 100% des dépôts. Il soulignait la situation de «sous-liquidité structurelle» des banques, et prévenait que Bank Al-Maghrib ne permettrait pas que des ressources à court terme soient utilisées à des financements à long terme. Un an après, la situation, sur ce point, ne s’améliore pas, elle tend même à se dégrader. Selon un document d’Attijari Intermédiation, retraçant l’état du secteur bancaire au premier semestre de 2011, le coefficient d’emploi (crédits à l’économie/ressources) pour les huit banques commerciales de la place se situait à 105,3%, en hausse de 9,8% par rapport au premier semestre 2010. Dans le détail, le CIH caracole en tête avec un coefficient d’emploi de 182,5%, suivi, loin derrière, par la BMCI (124,2%), la Société générale (121%), le Crédit agricole du Maroc (111,5%), le Crédit du Maroc (111,1%) et Attijari Wafa (107,8%). Seules la BCP et la BMCE ont des coefficients inférieurs à 100%, respectivement 87% et 95%.
Une question se pose alors : dans la mesure où les dépenses, en l’occurrence les crédits, dépassent les ressources, comment les banques s’arrangent-elles pour continuer à fonctionner, c’est-à-dire, d’une part, à distribuer des crédits et, d’autre part, à rembourser leurs dettes à l’instant où elles sont exigées ! La réponse paraît tout aussi simple que la question : la Banque centrale veille aux grains, puisque chaque semaine, depuis fin septembre, elle injecte 28 milliards de DH dans le circuit, soit à un peu moins que le déficit de trésorerie des banques, qui est de 30,3 milliards de DH, selon Bank Al-Maghrib (BAM).
L’autre question est de savoir si, compte tenu de cette configuration des emplois et des ressources, du moins telle qu’elle apparaît dans l’étude de Attijari Intermédiation, les banques respectent ou pas le coefficient minimum de liquidité fixé par BAM. Une circulaire du gouverneur de Bank Al-Maghrib fixe à 100% le rapport entre, d’une part, les éléments d’actif disponibles et réalisables à court terme et les engagements par signature reçus, et, d’autre part, les exigibilités à vue et à court terme et les engagements par signature donnés.
Le coefficient d’emploi des établissements de crédit s’est aggravé de 18 points en 10 ans
En termes plus simples, il s’agit pour une banque de pouvoir faire face, dans un horizon d’un mois, aux exigences à court terme des créanciers (déposants à vue ou épargnants de court terme, grosso modo) en recourant aux éléments de son actif les plus facilement monnayables, comme l’encaisse, les titres rapidement négociables, les investissements temporaires… Pour pouvoir dire si les banques respectent ou ne respectent pas ce coefficient minimum de liquidité, encore faut-il chiffrer l’ensemble des éléments du numérateur (qui sont par ailleurs détaillés dans la circulaire susmentionnée) !
Mais quoi qu’il en soit, et de façon au moins sommaire, il est possible de dire que le fait même que les emplois des banques dépassent leurs ressources, est au minimum révélateur de l’insuffisance de l’épargne des Marocains et, plus généralement, de la faible croissance du taux de bancarisation (en dépit des progrès réalisés sur ces deux points).
«C’est vrai, nos emplois dépassent nos ressources et cela pose problème. Heureusement que la Banque centrale intervient pour combler le manque», reconnaît un haut responsable du secteur. «Pourtant, nous avons fait beaucoup d’efforts pour nous rapprocher des citoyens avec la multiplication des agences, et avons même mis en place le chèque à zéro dirhams» ajoute ce responsable, visiblement dépité.
Que disent les chiffres ? A la fin 2001, les prêts à l’économie accordés par l’ensemble des établissements de crédit (banques commerciales, fonds d’équipement communal, sociétés de financement…) représentaient 81% de l’ensemble des dépôts, selon les statistiques de BAM. A fin août 2011, ce coefficient d’emploi se situe à 99%, soit une augmentation de 18 points. Précisons tout de même que si les chiffres de BAM ne donnent pas un ratio d’emploi dépassant 100% des ressources, c’est parce que dans ces chiffres on intègre tous les établissements y compris ceux qui ne distribuent pas de crédits. Mais même ainsi, l’aggravation du coefficient d’emploi est nette.
En fait, il ne pouvait pas en être autrement lorsque, en dix ans, les crédits à l’économie ont plus que triplé (3,4 fois plus) en passant de 216,9 milliards en 2001 à 739,6 milliards en août 2011 ; pendant que les dépôts, eux, ont été multipliés par 2,8 en s’établissant à 747,3 milliards de DH au lieu de 267,8 milliards en 2001.
Enfin, outre donc la collecte des dépôts, qui, certes, progressent mais à un rythme lent, la pression sur les trésoreries des banques provient également, pour partie, des contre-performances du commerce extérieur. Le déficit du compte courant de la balance des paiements, ou plutôt son aggravation, au premier semestre de cette année (voir La Vie éco de la semaine dernière) a produit une contraction des avoirs extérieurs de Bank Al-Maghrib, ce qui a induit un «effet restrictif» de 1,4 milliard de DH sur les trésoreries bancaires, indique l’institut d’émission dans sa dernière note de conjoncture. Bref, le système bancaire connaît une situation assez tendue de ces ressources (au regard de ces emplois) et la question est de savoir ce qu’en pense le régulateur qu’est la Banque centrale.
