Affaires
Les cotisations sociales au Maroc pèsent de plus en plus lourd sur les revenus
Sur un salaire de 5 000 DH, on prélève 22% de cotisations sociales. La pression fiscale a augmenté en 2012, mais reste stable sur une longue période. Les prélèvements obligatoires plus élevés au Maroc qu’en Tunisie.

Avec l’aggravation du déficit budgétaire en 2012 (plus de 7% du PIB), des interrogations se posent pour savoir quel moyen utiliser afin de redresser les finances publiques ? Faut-il compter uniquement sur le rebond de l’activité économique, sachant que l’élasticité fiscalité/croissance demeure encore assez limitée ? Sur les économies à réaliser sur les charges de compensation, si jamais la réforme a lieu rapidement ? Ou bien faudra-t-il envisager une hausse des impôts, via la réduction des niches fiscales qui, pour rappel, s’élèvent aujourd’hui à 37 milliards de DH ? De nombreux analystes pensent que la fiscalité dérogatoire mérite au minimum d’être réétudiée. Ne serait-ce que pour connaître l’impact qui en est attendu. «L’ensemble de ces mesures [fiscales dérogatoires, NDLR] ne donnent pas lieu à des analyses périodiques quant à leur efficacité, ou à l’effet d’éviction qu’elles peuvent induire en favorisant un secteur productif par rapport à un autre», écrit le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son étude sur le système fiscal marocain qu’il a rendu public en octobre 2012.
On peut se demander toutefois si les entreprises peuvent supporter un surcroît de fiscalité, dans le contexte d’une économie ouverte où la concurrence est de plus en plus rude. De la même manière, les contribuables personnes physiques, s’ils ne ploient pas vraiment sous le poids des impôts réels (et non pas nominaux) qu’ils acquittent, ont néanmoins le sentiment qu’on leur prélève trop, in fine. Ceci vient du fait qu’outre les prélèvements fiscaux, les salaires subissent également des prélèvements sociaux élevés, en particulier pour les tranches basses et moyennes. Le CESE estime en effet à 22% le taux des prélèvements sociaux sur un salaire de 5 000 DH, par exemple, alors que le prélèvement fiscal réel sur ce même salaire n’est que de…4% (même si le taux facial frappant ce salaire de 5 000 DH est de 20%). Mieux, ou pire, un salaire brut de 2 500 DH, exonéré fiscalement, subit par contre un prélèvement social de 22% !
L’examen des agrégats de la comptabilité nationale confirme bien l’importance (relative) des prélèvements sociaux dans le total des prélèvements obligatoires. Ainsi, en 2007, les prélèvements sociaux représentaient 18,1% des prélèvements obligatoires. Ce taux en 2011 (dernière statistique disponible) est de 22,8%. Par rapport au PIB, les cotisations sociales sont passées de 5,4% en 2007 à 6,8% en 2011 (voir tableau).
Il faut cependant rappeler que ces cotisations sociales pèsent à la fois sur les salariés et l’entreprise ; et même davantage sur les entreprises que sur les salariés. En particulier dans le secteur privé où la part patronale, pour les cotisations à la CNSS, représente le triple (18,5%) de la part salariale (6,29%). Dans le public, en revanche, et suivant les cas, les cotisations sociales sont réparties à parts égales entre l’employeur et le salarié (pour la CNOPS), 2/3 pour l’employeur et 1/3 pour le salarié (RCAR), et moitié/ moitié pour les cotisations à la CMR. Très clairement, les salariés du public supportent plus de cotisations sociales que ceux du privé.
Les cotisations sociales croissent plus vite que le PIB
Mais au-delà des niveaux de cotisations dans le privé et le public, ce qui a fait progresser le poids des prélèvements sociaux, c’est moins la hausse des taux que l’élargissement de l’assiette. La mise en place de l’assurance maladie obligatoire, d’une part, et les contrôles de plus en plus serrés de la CNSS pour ce qui est du secteur privé, d’autre part, ont sans doute été les facteurs qui ont permis que la base socialement taxable s’élargisse. L’amélioration des salaires découlant du dialogue social y est également pour quelque chose. Il est significatif à cet égard qu’entre 2007 et 2011, les prélèvements sociaux, en valeur, ont augmenté en moyenne de 13,3%. Un rythme très largement supérieur à celui du PIB nominal. Dans le même moment, le poids des prélèvements fiscaux dans le PIB (appelé communément pression fiscale) semble en revanche se stabiliser, si l’on excepte le pic de 2008, année au cours de laquelle les recettes fiscales avaient littéralement explosé, en enregistrant une hausse de 23,7%. Ainsi, de 24,4% en 2007, la pression fiscale s’établit à 23,5% en 2012.
Est-ce beaucoup ou pas assez ? Il n’y a pas de réponse tranchée, définitive, et la comparaison avec d’autres pays est à manier avec prudence, tant il est vrai que les assiettes diffèrent d’un pays à l’autre, sans parler des objectifs que chacun choisit de poursuivre. Ces précautions prises, et s’il fallait absolument voir ce qui se passe ailleurs, il est loisible de constater, par exemple qu’en Tunisie, que les prélèvements obligatoires au titre de 2010 (dernier chiffre disponible) représentaient 26,3% du PIB, au lieu de 28,9% au Maroc. Cette différence de 2,6 points entre les deux pays s’explique par une pression fiscale plus faible en Tunisie (20,1%) qu’au Maroc (22,7%), tandis que le poids des cotisations sociales était exactement le même (6,2% du PIB pour les deux pays).
En Egypte, les prélèvements obligatoires, à en croire des chiffres publiés dans “Statistiques mondiales” se sont établis à 19,3% du PIB en 2011 au lieu de 22,9% au Maroc la même année. En Afrique du Sud, ce taux était de 25,6%. Il est toutefois difficile d’en tirer des conclusions en terme de compétitivité fiscale ou sociale de l’un ou de l’autre de ces pays. Pour une raison simple : cela dépend de la consistance de la base imposable. Avec environ 23% de pression fiscale au Maroc, on peut considérer que le niveau est très faible au regard des 49% du Danemark ou des 44% en France. Mais lorsqu’on sait que l’essentiel de l’impôt au Maroc est acquitté par une minorité de contribuables (73% de l’IR payés par les salariés et 80% de l’IS acquittés par 2% des entreprises), on peut estimer que la charge est lourde. Autrement dit, il serait possible avec des taux d’imposition moindres, mais avec une assiette plus large, de réaliser des recettes fiscales aussi importantes sinon plus importantes que celles récoltées aujourd’hui. Idem pour les cotisations sociales. Les niveaux de cotisations pourraient certainement baisser si la couverture médicale, par exemple, était étendue aux 80% des actifs qui n’en bénéficient pas aujourd’hui.
Cela étant, le poids des prélèvements obligatoires sur les agents économiques privés (entreprises privées et ménages) mérite tout de même d’être un peu relativisé. Etant une construction statistique, ces prélèvements incluent les impôts et les cotisations sociales que les administrations publiques se versent entre elles.
Par ailleurs, l’importance des ces prélèvements s’analyse (ou devrait) à l’aune des contreparties qu’ils assurent. Car, logiquement, ces contributions sont censées revenir vers le citoyen sous forme d’équipements publics et de services (santé, éducation, sécurité) de qualité et accessibles pour tous. L’exemple typique est celui des pays nordiques où les prélèvements obligatoires atteignent des niveaux stratosphériques mais où les citoyens, parce qu’ils en perçoivent les contreparties, ne protestent pas.
Au total, les prélèvements obligatoires au Maroc, tout en restant globalement à un niveau proche de ce qui est en vigueur dans les pays à niveau de développement comparable, semblent néanmoins peser assez lourd dans leur composante sociale.
