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Les conventions collectives n’arrivent pas à  démarrer

Plus d’une quarantaine de conventions collectives de travail ont été conclues depuis 1958, mais seulement 12 sont aujourd’hui en vigueur et 4 en préparation.
En lieu et place, les accords informels conclus avec les délégués du personnel prolifèrent.

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Après un long sommeil, un relatif dynamisme est observé dans la conclusion de conventions collectives de travail depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code du travail en juin 2004. Depuis cette date en effet, ce sont cinq conventions collectives qui ont été conclues entre les partenaires sociaux. En tout, cela fait douze conventions collectives qui sont encore en vigueur, sur plus d’une quarantaine conclues depuis 1958 ; les autres, pour cause de non-renouvellement, étant tombées en désuétude. Mieux, trois ou quatre conventions sont en préparation, selon le ministère de l’emploi, dont une concerne l’agriculture dans la région d’Agadir (convention régionale sectorielle).
Il reste que c’est «très peu, voire insignifiant, par rapport à des pays comme la Tunisie ou l’Algérie», estime Ahmed Bouharrou, chef de la division de la réglementation et organismes internationaux au ministère de l’emploi.
Rappelons que la toute dernière convention collective a été signée le 19 avril 2010 dans le secteur du transport routier (voir tableau ci-contre).
Ce que les spécialistes du droit du travail observent, en revanche, c’est la «prolifération» d’accords atypiques ou informels. Ceux-ci sont venus se substituer aux conventions collectives qui, il faut le rappeler, furent assez nombreuses durant les années qui ont suivi l’indépendance du Maroc.
C’est quoi un accord atypique et pourquoi ce mode s’est-il imposé dans les relations professionnelles ? Ahmed Bouharrou explique cette prolifération d’accords atypiques par «l’institutionnalisation, depuis 1962, de la représentation professionnelle élue au sein de l’entreprise et le passage de l’unité syndicale au pluralisme syndical». Autrement dit, avec la naissance d’autres syndicats aux côtés de l’Union marocaine du travail (UMT), et la consécration dans les textes du délégué du personnel, la Convention collective commençait à décliner au profit d’accords informels. Et ceci pour une raison évidente : les protocoles d’accords informels sont plus facilement conclus et plus facilement remis en cause, car ils ne sont pas opposables aux parties (employeurs et représentants du personnel). D’où d’ailleurs les grèves à répétitions déclenchées justement pour faire respecter ces accords ou en conclure de nouveaux.

Un accord avec les délégués du personnel n’est pas opposable aux tiers

Pour être complet, disons que si en effet les employeurs avaient une préférence pour les accords atypiques, donc des négociations avec les représentants du personnel, c’est aussi parce que les syndicats, trop nombreux, ne parvenaient pas et ne parviennent toujours pas à se constituer en force incontournable. L’émergence de cette représentation alternative que sont les délégués du personnel fait dire à M. Bouharrou que «la négociation et la signature d’accords informels s’inscrivent dans la logique de la marginalisation de la présence syndicale au sein de l’entreprise».
Le Code du travail de 2004 est venu établir un droit de la négociation collective et un nouveau cadre juridique de la Convention collective dans l’esprit des engagements pris dans les accords sociaux antérieurs : l’accord du 1er août 1996 et sa «déclaration commune», l’accord du 22 avril 2002 dit du 1er Moharram et, enfin, le fameux accord du 30 avril 2003. Dans ces accords, l’Etat et les représentants des employeurs et des travailleurs s’étaient engagés justement à promouvoir les relations collectives de travail, à travers notamment la conclusion de conventions collectives. Le Code du travail a consacré ces engagements notamment dans ses articles 92 à 134.
Mais contrairement à l’ancienne législation du travail, fragmentaire et par trop dirigiste, si le nouveau Code du travail est certes plus évolué sur cette question, il apporte aussi une sorte d’entrave indirecte au développement de la convention collective, du moins au regard du champ syndical marocain actuel : il exige en effet d’un syndicat qu’il soit représentatif pour pouvoir conclure une convention collective. Or, avec l’état d’éparpillement des syndicats que l’on sait, il est difficile d’imaginer une multiplication de conventions collectives. C’est du moins ce que pensent plusieurs syndicalistes. En réalité, le problème ne réside pas dans l’obligation faite à un syndicat d’être représentatif pour prétendre négocier une convention collective, mais dans la difficulté qu’ont les syndicats à se regrouper et même dans leur propension à se disloquer.

Un problème de représentativité à l’intérieur de l’entreprise

Rappelons ici que la représentativité pour un syndicat est fixée à 35% des délégués du personnel dans l’entreprise et à 6% de ces mêmes délégués à l’échelle nationale. Mais modifier ces valeurs n’est pas une affaire simple : chaque syndicat, selon sa situation actuelle, accusant les pouvoirs publics de vouloir privilégier tel ou tel autre syndicat ! Pour Ahmed Bouharrou, le Code du travail aurait dû confier le droit de conclure les conventions collectives «à tout syndicat le plus représentatif à l’échelle nationale». Car, explique M. Bouharrou, vu la carte syndicale actuelle, on peut observer que des syndicats ne sont pas représentatifs au niveau de l’entreprise mais le sont au niveau national.
 Une chose est en tout cas admise : le nombre très limité de conventions collectives fait que les relations de travail au Maroc sont très largement régies par les textes de base. L’apport d’un droit conventionnel qui prend sa source de conventions collectives et autres accords d’entreprises est encore squelettique. Or, c’est connu, la législation du travail (le code en l’occurrence), et pas seulement au Maroc, se contente généralement de poser les minima que chaque partenaire est tenu de respecter. Et elle ne peut pas aller plus loin : la loi étant générale et impersonnelle.
C’est donc à la négociation d’abord, puis à la convention collective ensuite de “créer” un droit spécifique pour chaque secteur d’activité ou ensemble de secteurs. «C’est cela qui fait avancer le droit du travail et apporte une certaine sérénité dans les relations professionnelles», déclare un membre de l’UMT.
Est-il normal, par exemple, que le salaire minimum soit fixé par décret, certes après consultation des organisations les plus représentatives des employeurs et des travailleurs (article 356 du Code du travail) ? Pourquoi ne serait-il pas le fruit de conventions collectives sectorielles et régionales ?
En cette matière, l’ancienne législation (dahir du 31 octobre 1959) semble plus évoluée, rappelle M. Bouharrou. Ce dahir avait institué une commission centrale des prix et salaires à structure tripartite, chargée de suivre les fluctuations de l’indice du coût de la vie, en liaison avec le service central des statistiques, et de proposer l’augmentation des salaires.
«Lorsque la commission aura constaté que l’indice d’ensemble du coût de la vie à Casablanca  a subi une hausse au moins égale à 5% par rapport à l’indice de référence (…) le ministre du travail saisira le président du conseil du relèvement des salaires dans la même proportion. Le décret pris (…) aura effet à compter du premier jour du mois suivant la date de l’avis émis par la commission» (article 2).
Mais c’est une autre époque ! Aujourd’hui cette indexation est rejetée à cause des dérives inflationnistes qu’elle peut générer, disent les pouvoirs publics. Cela ne devrait pas empêcher d’encourager mieux que ne le fait le Code du travail la conclusion de conventions collectives de travail où les parties contractantes mettraient ce qu’elles ont envie d’y mettre ; c’est-à-dire plus d’avantages pour les salariés en tenant compte des contraintes qui peuvent être celles de l’entreprise.